Mental d'acier (Rouge glace)

Caïn Bates

      Liberté de vivre et d'agir, exister comme bon nous semble, naître dans la fange des rues pavées pour mourir à l'abri des remparts de Buckingham. Vivre dans les égouts, errer dans les rues et tuer du haut des remparts de pierre et de rouille. Le monde est ainsi fait, nous voulons tous grandir pour ne plus qu'on nous regarde de haut mais, ensuite, on ne voie plus le danger qui se terre sous nos pieds. Du moins, le commun des mortels ne s'en rends pas compte.
      Permission de vie ou de mort sur chaque être de ces terres, sur chaque créature foulant le sable et la poussière de notre glorieuse patrie. Dans les allées, le scintillement de l'argent a remplacé les rares éclats de l'or, l'un a toujours attiré l'autre contre la gorge de certains malheureux qui ne rêvaient que de respect et de richesse. La gloire met à l'abri n'importe qui, du moins, c'est ce que le commun des mortels semble croire.
       Interdiction d'approcher notre grande reine, de prononcer son nom ou même de le murmurer dans une prière. Elle n'est pas juste une jeune dame au plaisant visage, elle est un symbole pour les citoyens de mon espèce. En retour, elle a fait de nous ses plus loyaux sujets, ses protecteurs divins. Du moins, c'est ce qu'elle croyait.

       Plus on s'approche d'un sommet, plus les pentes qui y mènent deviennent traîtres et meurtriers. Combien ont perdu la vie en s'asseyant au bord d'une falaise avant de dévaler ses roches escarpés et de sombrer dans la mer sous une auréole écarlate ? Le plus haut perchoir de notre cité est le trône de notre vénérée monarque, d'ébène et de velours côtelé brun et incrusté d'un grenat, d'une aigue-marine et d'une améthyste.  Bien sûr, ce n'est pas vraiment un endroit élevé, il n'est même pas difficile d'accès (du moins, pas si vous êtes toléré sur son chemin) mais nous nous efforçons à faire penser le contraire. 
      En vérité, il y a très peu de lieux plus hauts que ma tanière, je vis dans un grenier miteux. Il est aussi crade que les fosses à cadavres, aussi bruyant que le marché aux esclaves et le port un matin de pêche miraculeuse mais même les mouettes n'osent pas s'en approcher à cause du vertige. Autrefois, le bâtiment tout entier était habité par mes semblables mais beaucoup ont péri cette fameuse nuit, celle de mon vingt-septième anniversaire. Cette soirée où nous avions tenté de tuer la reine et que j'ai regardé le seul œil visible de chacun de mes comparses m'implorait de les épargner lorsque ma lame s'enfonçait dans leurs chairs.
      J'avais tout manigancé et déjà plus de la moitié n'avait pas su atteindre les premiers remparts de la ville. Sur une trentaine, seulement cinq ont pu apercevoir la salle du trône et deux d'entre eux ont péri à ses pieds. Le troisième, le plus jeune a été simplement banni du royaume car il n'était pas armé et avait tenté de nous trahir. Comment avais-je pu douter de mon petit frère ? Le quatrième avait fui par je ne sais quel moyen et encore aujourd'hui, je n'en ai pas retrouvé la moindre trace. Le cinquième c'était moi, posté au même endroit que lorsque j'avais prêté serment quelques heures plus tôt pour devenir le Protecteur, l'Ombre de la reine. Cette nuit là, j'ai donc obtenu deux titres: celui d'unique garde du corps de la Couronne mais aussi le Dernier survivant des Masques.


        Et dire que naître pendant le mois des Ténèbres est un mauvais présage, j'ai pu offrir à mes parents une vie agréable à la campagne, sauver la vie de mon petit frère qui m'avait pourtant voler l'amour de ma vie et me suis mis à l'abri derrière la plus violente et la plus efficace des armées qui me pourchassait alors. Et, exploit le plus important de ma carrière, je suis désormais un spectre à Epöna. 

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