MERKH ET LA FLIDGE DU LAKH

warmless

défi et aventure attendent une fois de plus Mërkh

MËRKH ET LA FLIDGE DU LAKH (à la fin, elle meurt)


Un jour ensoleillé que Mërkh folâtrait dans la lande, il lui prît l'envie de se rafraîchir, d'immerger son corps transpirant dans le doux berceau d'une eau caressante. A peine cette idée l'eut-elle effleuré, qu'il aperçut, à un jet de pierre seulement, une surface miroitante, promesse de réconfort. Un lakh. En s'y dirigeant, il n'aperçut âme qui vive: Il en scruta vainement les berges, méfiant de nature. "Or donc, se rengorgea-t-il, plongeons sans plus attendre dans ce liquide tentateur". Faisant un tas de ses possessions, il fendit le plan horizontal d'une posture qu'il voulait virile, quoique élégante.

Après quelques brasses sous-marines (au cours desquelles il aperçut des tas d'ossements au fond du Lakh), il perça le bord de l'eau d'une tête avide d'air…. Mais d'air, il n'y en avait point. Surpris, affolé et déjà suffocant, il chercha encore et encore autour de lui l'endroit où le ciel aurait dû se tenir. Alors qu'il sentait son regard s'obscurcir irrémédiablement, il sentit qu'une main l'empoignait et le hissait à la surface. Il sombra dans l'inconscience..

 

Un rêve le visita. Il avait neuf ans et se tenait debout aux côtés de son grand-père. Celui-ci était assis et faisait quelque chose à une bête encagée. Mërkh reconnut avec effroi Phizhou, l'animal familier avec lequel il avait grandi.

"Regarde, Mërkh ! Ce petit animal semble gentil et accommodant, mais si je fais.. ceci !! (là, il poussa vivement un bâton à travers les barreaux)…. il devient fou furieux et est prêt à broyer la main qui le nourrit. N'oublies jamais ça ! Regardes sous la surface des choses, creuses un peu pour en révéler la vraie nature."

Le jour de ses 14 ans, Mërkh suivit les conseils du vieil homme, et avant de partir sur les routes de l'aventure, il creusa effectivement, mais sous.. la cabane, pour lui voler ses économies, et pour se venger également, car le vieillard n'avait cessé de l'asticoter pour lui enfoncer, parfois de façon un peu rude, telle ou telle leçon essentielle selon lui. Après les mauvais traitements qu'il avait subis, Phizhou n'avait plus jamais été le même. Il était devenu hargneux, craintif et à demi-sauvage.

Mërkh avait appris une tout autre leçon de son grand-père : l'Homme était un animal nuisible qui gâtait son environnement, et dont il fallait se méfier à tout instant. Il avait grandi dans la haine des siens, solitaire et désabusé. Le résultat ? Un homme rusé, sournois et désespéré qui ne reculerait devant aucune action, si elle lui permettait de prendre l'avantage. Mais il était aussi d'une prudence bordant la lâcheté, mesurant soigneusement les dangers et les châtiments possibles pouvant résulter de chacune de ses actions. Homme de l'ombre, il avançait dans le monde sans savoir ce qu'il en attendait, croyant que son destin était pavé d'orties pourpres. La rédemption ? Qu'une vierge l'aime sans retenue, pour ce qu'elle devinait de bon en lui, et le voile serait levé, le vrai Mërkh révélé, la peur et la haine dissipées. Mais cela, il ne lui était pas permis de l'espérer, car il ne pouvait le comprendre.

 

.. Mërkh s'éveilla. Au sortir de ce rêve étrange il ouvrit des yeux perplexes sur ce qui l'entourait. Il était affalé sur la berge du lakh, encore humide de son bain. A quelques mètres de lui se tenait une maisonnée qu'il n'avait pas aperçue auparavant, d'où s'élevait une fumée blanche, synonyme de bombance, à tout le moins de repas. Il se dirigea vers elle. La porte en était entr'ouverte. Prudent, Mërkh glissa un œil dans l'espace offert. Il ne vit rien d'autre qu'une pièce de dimensions confortables, garnie d'une table en bois rude, de deux chaises, d'un placard, d'un lit sommaire, d'une armoire, et de la cheminée où brûlait un feu nourri. Mais d'occupant point. Aux aguets, Mërkh traversa la pièce, qui se révéla n'être qu'une pièce, rien de plus. S'approchant de l'armoire, il vit qu'elle contenait quelques effets vestimentaires; le placard, lui, recelait des nourritures simples. Sur le lit il s'assit, songeur. Qui était l'occupant de cette maisonnée ? Reviendrait-il bientôt ? Serait-il hostile ? Possédait-il quelque richesse ? Tout à ces pensées et fatigué par son bain mouvementé, Mërkh s'allongea et s'assoupit aussitôt.

Un fumet agréable le réveilla. Prenant garde d'avertir quiconque de son éveil, il entrouvrit prudemment les paupières. Une forme indistincte se tenait près du feu, s'affairant. La main de Mërkh glissa vers son couteau : Il n'était plus là !

Furieux, il coula un regard fielleux vers son hôte involontaire. La silhouette confuse prit peu à peu les formes (et quelles formes !) d'une jeune femme fort avenante. "Ah ! Tu es enfin réveillé ?" dit-elle abruptement. "Excuse-moi, mais j'ai si peu l'occasion de recevoir, que.. c'est sans importance. Viens, le repas est prêt.

Mangeons, et peut-être me conteras-tu quelque aventure?"

Mërkh, sentant le poids de la faim (comme le lui indiquaient ses gargouillements d'estomac), s'assit avec circonspection pour se surprendre rapidement à dévorer le contenu de son assiette, et même en redemander. Son hôtesse se contentait de picorer du bout des lèvres, et le gourmanda gentiment pour sa gloutonnerie, en esquissant un demi-sourire charmeur qu'il ne remarqua pas.

Mërkh cessa bientôt sa bâfrée, et s'adossa bruyamment au dossier de sa chaise pour digérer. Il s'aperçut enfin de la beauté ravageuse de cette femme mystérieuse qui le recevait sans crainte apparente. Ses craintes propres, loin d'être apaisées, redoublaient d'intensité et menaçaient de le faire imploser. La drôlesse, cependant, captivait maintenant son attention, et il lui fallait trouver un exutoire à ces terreurs naissantes. Se levant d'un air avantageux, il s'approcha à pas lourds de l'objet de son désir. Elle le regardait avancer sans surprise, et leva un doigt impérieux lorsqu'il ne fut plus qu'à un demi-baiser d'elle. "Non, non.. Tu es trop entreprenant.. et de toute façon, il t'est absolument impossible de faire ce que tu veux si puissamment. Essayes et tu verras." Mërkh se rendit compte en effet qu'il ne pouvait faire un pas de plus dans sa direction. C'est comme si une force invisible maintenait la jeune femme hors de sa portée. Mërkh, qui faisait de l'échec un stimulant, tendit ses muscles, ahana sous l'effort, et finalement céda. La femme, amusée, reprit. "Tu dois d'abord faire quelque chose pour moi, avant de me conquérir. Il y a dans l'eau du Lakh quelque chose qui trouble ma quiétude. Je voudrais que tu m'en débarrasses.

Ce te sera aisé, car tu es jeune et vigoureux."

Mërkh sentit à nouveau la peur gravir quatre à quatre l'escalier de ses entrailles. Il demanda : "Cette chose que tu crains.. quelle est sa nature ? Tu dois m'en dire plus afin que je puisse l'occire. Est-elle de componction organique, minérale, magique même ?" La jeune femme baissa ses paupières exquises et soupira : "Puisque tu vas risquer ta vie pour moi, il est juste que je tire pour toi les pans du rideau de la vérité. Ecoute ! Je vais te conter à présent ma triste histoire..

Il y a bien des âges, le Magicien Suprême Miltlulja régnait sur une cour de magiciens et sorciers mineurs, qu'il avait rassemblés. Et, afin que la paix régnât sur le monde des mortels, il instaura quelques préceptes simples mais incontournables, dont le moindre n'était pas l'absolue interdiction pour ses disciples de copuler, ou se reproduire, par quelque moyen que ce soit, naturel ou magique. Il voulait éviter toute interférence entre les "Grands", ainsi qu'ils s'appelaient, et les "moindres", les êtres normaux. Tous prêtèrent serment et ainsi fut fait.

Les ères s'écoulèrent. Vint à passer une jouvencelle, qui attirait les regards comme le soleil aspire l'eau. Et bien sûr, l'un des magiciens s'éprit d'elle, à tel point qu'il se périssait d'amour, retenu par l'interdit. Elle s'amusa de la situation, et usa de tous ses artifices pour faire qu'il succombât à ses charmes. Et il céda finalement, possédant sa chair par une nuit de lune ronde. Elle le repoussa peu après, car il n'était qu'un jeu pour elle, qui avait tous les hommes à ses pieds. Le magicien éconduit ne le supporta pas. . Non content d'avoir outrepassé ses devoirs et trahi son serment d'abstinence, il lui jeta un sort terrible : de sa semence naquit une fille belle comme le jour, sereine comme la nuit et seule comme le Bignal des cimes.

Car sa malédiction était irrévocable : l'enfant ne pourrait jamais trouver l'amour, et pour être plus sûr de la préserver des hommes, le sorcier lui adjoignit un gardien : la créature du Lakh. Mais il est dit que Souljia, la beauté hors du monde, serait délivrée de son sort lorsqu'un héros tuerait la créature du Lakh, tâche communément jugée irréalisable. Elle pourrait alors quitter cet endroit et parcourir les terres inconnues pour y jouir des aspects de la vie." Miltlulja, pour sa part, punit le magicien d'une façon qu'il n'est pas séant de décrire : Qu'on sache juste que ce fut assez éprouvant !" Telle me fut contée l'histoire.

 

Comme Souljia demeurait silencieuse, Mërkh risqua une question. "Me donneras-tu des armes pour vaincre la bête ?" Souljia répondit en secouant la tête : "Ton bras et ton ardeur seront tes seules armes. Cependant, je dois te mettre en garde. La Flidge, la bête du Lakh, est protégée par une amulette contre toute attaque magique, et les armes d'acier ne peuvent entamer sa vitalité. Trouves l'amulette et tu vaincras."

Mërkh sentit son courage s'évanouir devant les terribles épreuves qui l'attendaient, mais un seul coup d'œil à la peau de satin de Souljia ranima sa vaillance. Voulant récolter quelque récompense au cas où l'aventure tournerait mal, il s'empara d'un plateau d'argent qu'il avait remarqué auparavant dans le placard, et le fourra sous sa chemise alors qu'elle lui tournait le dos. "Attends-moi, car, si je suis vainqueur, tu seras mienne !" Souljia baissa modestement les yeux. "Il en sera fait comme tu le désires…. .quelle que soit l'issue du combat (ajouta-t-elle en aparté, quand Mërkh eut franchi le seuil)."

Mërkh sortit de la maisonnée et se dirigea vers le Lakh. Le soleil était au zénith, brûlant son visage farouche. Comme il approchait de la berge, une ride plissa la surface de l'eau, noire comme un miroir d'obsidienne, reflétant le paysage alentour, faisant des arbres proches les témoins muets du drame imminent. Lentement une créature d'eau prit forme. Elle parla. "Homme, je t'ai laissé la vie le première fois que tu es venu à moi, car tu étais ignorant de la malédiction. N'abuses pas de ma patience. Pars ! Souljia ne t'es pas destinée, pas plus qu'à quiconque. Laisse-la mener la seule vie qui lui ait été allouée, aussi solitaire soit-elle. Pars, ou crains mon ire !"

Mërkh dégaina son épée et frappa la créature. De l'eau jaillit sous la lame, sans effet notable sur la Flidge, qu'elle traversa sans dommages. Sa forme se gonfla, gagna en hauteur et se précipita vers Mërkh, qu'elle empoigna. Elle le tint levé un moment, comme pour l'étudier, puis le laissa choir dans l'eau à sa base.

Un rire tonitruant s'éleva, tandis que la Flidge contemplait cette chétive créature qui osait l'affronter.

Mërkh était furieux et effrayé d'être malmené comme un jouet, mais que pouvait-il y faire ? Etendu sur le dos, et profitant de ce court répit, il contemplait l'astre diurne qui frappait son corps de mille rayons. Un rayon de soleil frappa le plateau d'argent, qui était à moitié sorti de sa chemise lors de la chute, et ricocha vers le monstre, qui se mit à fumer.

Une pensée soudaine traversa Mërkh : L'eau, le feu, l'EAU ! le FEU ! Il glissa prestement la main sous sa chemise et, le sortant entièrement, orienta le plateau vers la Flidge. Le soleil était vraiment CHAUD aujourd'hui, et la Flidge ne réalisa ce qui lui arrivait que lorsque sa masse se mit à rapetisser en s'évaporant rapidement. Des bouillonnements géants de vapeur s'élevèrent vers le ciel; la Flidge partait en sucette. Mërkh agrippait le plateau avec l'énergie du désespoir, alors que la Flidge parvenait encore à le saisir. Elle l'amena à portée de sa tête. Ses yeux étaient humides.

Mërkh entrevit alors dans sa masse un médaillon, noyé par les flots de son cou. Il lança le bras en avant et le tira violemment à lui. Ce fut comme si la Flidge avait cessé d'exister. Mërkh chut lourdement, et une masse d'eau le frappa en retombant dans le Lakh, qui reprit son aspect lisse primordial. Mërkh était debout et tenait le médaillon dans ses mains. La Flidge n'était plus, désintégrée. Mërkh se tourna vers la maisonnée. Un cri retentit. Il courut, ouvrit la porte à la volée, s'engouffra dans la pièce pour y trouver le corps tordu de souffrance de Souljia qui se désagrégeait rapidement et se liquéfiait. Elle eut le temps de souffler : "Je croyais pouvoir.. je croyais que…. ", avant de disparaître. Bientôt, il ne resta plus qu'une flaque d'eau, qui s'écoula rapidement par les interstices du plancher.

 

Au sol se trouvait un médaillon identique à celui de la Flidge. Ouvrant les deux médaillons, Mërkh remarqua que leurs motifs semblaient s'accorder. Il les plaça côte à côte, déclenchant ainsi le processus magique. Une voix s'éleva.

"L'impossible est devenu réel. Tu as tué la Flidge, et donc Souljia qui en était l'émanation. La Flidge était la véritable Souljia, du moins son essence. Elle avait choisi de créer un double charnel d'elle-même, afin de jouir de ce qui lui était refusé : le contact avec les hommes. Malheureusement, elle était aussi jalouse que désespérée, et ne pouvait supporter que son double profite de ce qu'elle ne pourrait jamais avoir. Aussi prit-elle soin d'entourer le corps du double d'un champ de force qui empêchait quiconque de la toucher. Elle a ainsi envoyé à la mort moult héros qui, croyant la séduire, se sont noyés dans les bras puissants du Lakh, en tentant de tuer la Flidge. Ce lui était une torture sans fin. A présent, Souljia a trouvé le repos, et je vais te laisser méditer là-dessus. Bonne route, Mërkh, et puisses-tu trouver ce que tu cherches ! Tu peux conserver les médaillons."

 

La présence avait disparu. Mërkh laissa l'air envahir à nouveau ses poumons, et ramassa les deux médaillons pour les examiner : Ils étaient d'or fin et sertis de joyaux. Il se rappela qu'une foire se tenait non loin : Il pourrait en tirer un bon prix !

 


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