Mes deux perles noires (2)

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Une agence internationale ferait toutes les démarches à notre place. Mais nous ne nous inscrivons pas. Car pour les adoptants prioritaires, c’est-à-dire, ceux qui n’ont pas la joie, comme moi, d’avoir des enfants biologiques, l’attente se compte en années, alors pour nous…

Sur Internet, je récolte les coordonnées de tous les orphelinats d’Haïti et j’écris à chacun d’eux. Une lettre avec tout mon cœur de maman et ma plus belle écriture. Au bout d’interminables semaines, enfin quelques réponses.
Notre dévolu s’arrête sur « Maison d’Espoir », une crèche au nom prédestiné.  En Haïti, les orphelinats sont appelés ainsi, sans doute pour ne pas ajouter à la condition misérable de ces petits abandonnés, une étiquette supplémentaire écrite avec les larmes.

Avec patience et persévérance, nous constituons notre dossier pour cette petite nation. De longs mois à récolter les papiers. Passeports, lettres de recommandations, garanties bancaires, certificats médicaux et de bonnes mœurs, copies en tous genres, photos des pièces de la maison. Sans compter la somme de signatures légalisées et sur légalisées de tous ces documents. Le tout classé dans le Lutin.
L’hiver a rangé son manteau blanc, le printemps parfume et habille de vert tendre le tilleul centenaire. Et le pommier envahi d’oiseaux de toutes plumes, semble gazouiller.

Fébriles, nous restons à portée d’oreille du téléphone.

Ce matin, lorsque je décroche, une voix très lointaine à l’accent créole nous apprend que l’on a deux enfants. Pouvons-nous avoir des photos ? Quelques renseignements sur leur état de santé ? Leur âge ? En fin de conversation, nous ne savons presque rien, si ce n’est leur prénom, Ludy et Elisé, leur âge et que c’est un garçon et une fille. Mais pour nous, c’est déjà beaucoup.
Le pays est tellement pauvre qu’aucun examen médical n’est pratiqué, et l’acte de naissance est établi à l’adoption de l’enfant. Pourquoi s’embêteraient-ils à les déclarer quand on sait que le taux de mortalité avoisine tristement les 60 %.
Nous nageons en plein bonheur. Nouvel appel de la Directrice de la crèche, les enfants sont attribués à un autre couple. Grosse déception, Même sans connaître leur frimousse, Ludy et Elisé, faisaient déjà partie de notre famille. 

Mais quelque part à Piéton-ville, il y a deux enfants… nous le savons qui nous attendent.
Les fleurs du pommier s'étiolent, volètent comme des flocons neigeux pour laisser la place aux fruits de l'année.

Chacun résume sa journée à l’autre, mon mari à la scierie et moi à la clinique où je suis secrétaire de bloc opératoire, c’est ainsi chaque soir au dîner.

Nous sursautons et quelques secondes sont nécessaires pour réagir à la sonnerie hurlante du téléphone... A cette heure-ci, sans doute un client pressé.

— Allez réponds ! me dit mon mari anxieux

Je me lève avec lui collé à mes basques comme un gamin impatient … je décroche… je reconnais la voix…

— Allo, bonjour madame Violette, oui. Je vous écoute.

La conversation est très mauvaise. L’accent créole n’arrange rien. Je traduis à voix haute ce que je comprends :

— Deux et quatre ans, garçon et fille, Getho et Lila… Merci, merci.

Nous explosons littéralement dans un bond de joie.

Avant de raccrocher, la directrice me liste tout ce que doit comporter notre dossier et jette négligemment le prix en dollars américains pour cette adoption multiple.

Eh oui j’avais oublié ce point… crucial.

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