Métros

Magali Gasnault

Vers une destination que vous n'oublierez pas!

Chaque jour est une victoire. Chaque jour est une défaite aussi.  Quittant le lycée Raymond Queneau à Villeneuve d'Ascq, je savourai une victoire, somme toute bien dérisoire, mais qui me remplissait de joie.

 Je venais de terminer ma matinée de cours et, la dernière heure de cette matinée, je l'avais consacrée à l'étude d'un passage du conte philosophique Candide. Plus particulièrement le début du chapitre 6. Candide est à Lisbonne sans vraiment comprendre ce qu'il fait là. Pauvre Candide ! Et c'est le tremblement de terre ! Maisons qui s'écroulent ! Habitations en feu ! Je dresse ce tableau apocalyptique auprès de ma classe de première. Et là, je demande à Adrien de lire. Sa voix grave de baryton capte l'attention de ses camarades : «  Après  le tremblement de terre qui avait ravagé les trois quart de Lisbonne, les sages du pays n'avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel autodafé » Autodafé ? C'est quoi ça ? Un châtiment décidé par un tribunal inquisitorial ! Pour quoi faire ? Punir les mauvais croyants! Quels mauvais croyants ? Et bien, regardez ce qu'écrit Voltaire «On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d'avoir épousé sa commère, et deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard : on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l'un pour avoir parlé, et l'autre pour avoir écouté avec un air d'approbation. » Comment ! Par le feu ! En les brûlant ? Oui. Pourquoi ? Regardez à nouveau le début du passage « …prévenir une ruine totale..» Empêcher que la terre ne tremble à nouveau. Mais c'est stupide ! Je ne te le fais pas dire, jeune fille !! Et nous voilà dans les délices de l'ironie voltairienne. Une vive discussion s'engage. Un fil relie alors un philosophe du XVIII ° siècle à des adolescents d'aujourd'hui. Et cela me remplit de bonheur !

C'est donc dans cet état d'esprit que je quittai le lycée pour prendre le métro, station Pont de Bois. Et me voilà en conflit avec le tourniquet. Le composteur habituellement vorace mais visiblement de mauvaise humeur, refuse absolument de prendre mon ticket. Il me le vomit systématiquement, empêchant le tourniquet de se déclencher. Après la victoire du matin, voici ma défaite face à une machine. Je me sens tout à la fois  ridicule et terriblement furieux. Je suis à deux doigt de lancer comme Raoul Volfoni  dans les Tontons Flingueurs: «  Moi,  quand on m'en fait trop j'correctionne plus, j'dynamite... j'disperse...j'ventile »Finalement, mon sens des convenances reprenant le dessus, du plat de la main, je lisse plusieurs fois mon maudit ticket, tâchant ainsi de lui donner une platitude digne du composteur. Et ô miracle, le tourniquet s'abaissa. Alléluia ! Mazel Tov ! J'adressai un clin d'œil satisfait  à l'Homme du métro comme si cette sculpture de bronze qui orne la station m'accueillait. D'un pas léger, sifflotant, j'empruntai alors l'escalator menant à la rame. Et quelques secondes plus tard, la rame du métro pénétrait dans le tunnel, s'arrêtant délicatement, prête à recevoir, une fois les portes automatiques ouvertes, le flot perpétuel de passagers. Etudiants, lycéens et collégiens pour la plupart.

A chaque fois que je m'engouffrais dans ce métro entièrement automatique, j'avais le sentiment de confier ma vie à une puissance supérieure. Ou plus exactement à des puissances supérieures comme les Parques, ces trois mystérieuses filandières, maîtresses de la destinée humaine. Je l'admets, ce  sentiment était  quelque peu excessif. Ma culture latine me faisait parfois percevoir le monde qui m'entourait d'une manière un peu sombre, sans doute.

J'avisai une place libre sur la banquette au fond de la rame. Je m'y installai, jetant un regard autour de moi. Observant les autres passagers, je ne pus m'empêcher d'avoir un petit sourire ironique en constatant que bon nombre d'usagers s'enfermait dans leur petit monde, écouteurs et casques vissés sur les oreilles, le visage impassible. Nous voyagions  ainsi sous terre, dans un univers sombre, mécanique et quasi silencieux. Exception faite de la voix éthérée qui égrenait laconiquement  les noms des stations : Pont de Bois …Lezennes…Hellemmes…Marbrerie…Tout un programme. Je me mis à farfouiller dans mon cartable en cuir fatigué, à la recherche d'un antidote à l'indifférence ambiante. J'avais l'habitude de glisser dans mon cartable, un livre, sans nul rapport avec mes cours du moment. Tel un talisman, il m'accompagnait, de salles de  classe en salle des profs, de métro en déambulation.

Mes doigts s'enroulèrent autour d'un bloc de 376 pages environ et extirpèrent du cartable le roman de Tonino Benacquista, Malavita. Mon sourire moqueur se transforma tout aussitôt en un sourire de plaisir et de contentement. J'appréciai l'humour décalé nous présentant une famille, banale en apparence.  Derrière le masque lisse du quotidien, les Blake, cachait une vie d'anciens notables de la mafia. Quittant quelques minutes l'installation de cette famille dans un village normand, je regardai autour de moi. Qui sait ? Peut-être que le vieux monsieur assis à ma gauche, lui aussi, cachait un passé à vous glacer le sang. Tout comme Fred  Blake alias Giovanni Manzoni se remémorant ses hauts faits d'armes. Clairement, quelques lignes du roman surgirent dans mon esprit : « En guise de vendetta, et pour l'exemple, Giovanni avait fait preuve d'une imagination sans pareille : on avait retrouvé la tête de Lou flottant dans un aquarium du restaurant La Pagode d'Argent, à l'angle de Mott et Canal Street ». Je grimaçai d'horreur à cette vision. Et je jetai à nouveau, à la dérobée, un regard  à mon voisin de gauche qui se leva en me souriant. Station Fives. Au revoir.

Stupidement soulagé, je me replongeai avec délice dans mon roman. Je l'ouvris tout simplement au début : « Ils prirent possession de la maison la nuit. Une autre famille y aurait vu un commencement. Le premier matin de tous les autres. Une nouvelle vie dans une nouvelle ville. » Je connaissais quasi par cœur les lignes qui défilaient sous mes yeux et volontairement, je freinai la lecture. Je savourai encore mieux chaque mot. Et je me disais in petto que je n'aimerai absolument pas vivre ainsi. De toute façon, tout cela n'était que de la fiction et c'était bien cela qui me plaisait. L'imaginaire.

 « Très bon choix de livre! » lança une voix douce à mes côtés.  Mi agacé, mi surpris, j'interrompis ma lecture et découvris mon nouveau voisin. C'était un vieux monsieur, l'air distingué, les cheveux blancs coupés en brosse, sûrement un instituteur à la retraite.

 « Voyez-vous continua-t-il en souriant, je crois avoir lu la majeure partie des romans de Tonino Benacquista, et celui-ci est mon préféré. Je le relis très régulièrement et à chaque fois, j'enchaine avec la projection des Affranchis de Scorsese. Vous connaissez sans doute ? » Je me contentai d'opiner. Mon regard avait été attiré par le livre qu'il venait de poser entre nous et je n'arrivai pas à apercevoir le titre.

«  Je suis libraire, un petit libraire, tout nouveau libraire. J'ai pris ma retraite et quitté L'Education Nationale (Bien deviné, pensai-je) pour réaliser mon rêve. Une librairie, proposant également des expositions photographiques et une fois par mois, une séance cinéma. Tout cela, ajouta-t-il, autour d'un thème commun. 

Quel est le thème actuel ? demandai-je intrigué.

Jusqu'à la fin de la semaine, c'est le thème de la famille. Des Rougon-Macquart jusqu'aux Malaussène. Vous connaissez ? »

Je plissai rapidement le front. La famille Malaussène, oui, je connaissais. J'avais englouti la saga imaginée  par Daniel Pennac. Comment ne pas s'attacher à une telle famille ? Comment ne pas être séduit par le grand frère, Benjamin, garçon généreux et bouc émissaire de son état.

« C'est une exposition qui m'a l'air bien intéressante! Mais je crains de  ne pas avoir le temps de venir y jeter un coup d'œil !

C'est bien dommage ! répondit le libraire tout en malaxant la couverture blanche du livre posé entre nous d'eux.

Bah ! J'aurais d'autres occasions, du moins, je l'espère.

Sans nul doute ! lança-t-il tout en souriant à pleines dents.

Trop de dents pour un retraité !pensai-je. Bien que sympathique, je trouvai mon voisin un tantinet envahissant. Mon côté misanthrope lançait des signaux d'alerte et j'avais envie de me retrouver seul face à ma lecture du moment. Néanmoins, je faisais tout mon possible pour me montrer le plus urbain possible.

 «  A partir de la semaine prochaine, j'ai programmé une thématique autour du Portugal. Romans, expo photos, films aussi. Vous connaissez  le roman Train de Nuit pour Lisbonne Non ! Et les devinettes style Questions pour un champion, très peu pour moi. Lisbonne, le Portugal et sa culture, à vrai dire, je n'y connaissais pas grand chose. Mes lumières sur la ville se limitaient à ce que j'en avais lu dans Candide. Pas de quoi fouetter un chat. D ‘ailleurs,  dans le conte de Voltaire, c'est le malheureux Candide qui se fait fouetter à Lisbonne ou plus exactement il est fessé en place publique. Mais je m'égare.

             «  Tenez ! dit le libraire Voici ma carte et je vous donne aussi ce livre. J'ai vu qu'il avait attiré votre regard, ajouta-t-il avec malice. N'hésitez pas à venir ! »

Avant même que j'eus le temps de le remercier, l'homme s'était levé et s'était faufilé hors du métro. Une véritable salamandre.  Station République susurra la déesse de la rame. Mince ! Flûte et tout le reste. J'avais raté mon arrêt. J'aurais du descendre  à la station précédente, Gare Lille Flandres car de cette station, on accédait à la ligne 2, direction Saint Philibert.  Ma discussion avec le libraire m'avait distrait. Je devais patienter quelques stations avant de récupérer la ligne 2 et enfin, rentrer dans mon chez moi.

Des pleurs stridents me firent sursauter. Derrière moi, un gamin de cinq ans piquait une affreuse colère. Je me retournai, furax, et lui lançai mon pire air de prof, mi - bouledogue, mi - rottweiller. Les cris restèrent bloqués dans la gorge du bambin. Voilà une  bonne chose de faite.

«  Ecoutez, Madame, dis-je à la mère dépassée par les événements, deux claques, un Témesta et au lit sans manger. Votre fils ne s'en portera que mieux. »

Satisfait, je me levai sans tenir compte du regard assassin que me jetait la mère. Alors qu'elle s'apprêtait enfin à me répondre,   les portes de la rame coulissèrent et je me glissai, station Porte des postes.

Hop, hop, hop ! D'un pas leste, je zigzaguai parmi les hommes et les femmes dispatchés le long de l'escalator. Au bout de celui-ci, je n'aurai plus qu'à tourner à droite, et j'accèderai enfin à la ligne 2. Un vieux monsieur et son caddie d'où dépassent des poireaux me barrent le chemin. Qu'importe ! La délivrance est pour bientôt. Un, deux, trois…je me retrouvai à l'extrémité d'une grande place carrée bordée de magnifiques arcades, un peu comme la place des Vosges. Machinalement, je secouai la tête comme pour chasser cette vision .Ces arcades n'ont rien à faire à l'intérieur d'un tunnel de métro. Qu'est-ce qui m'arrive ? Où suis-je ? Pas d'affolement ! Reprends-toi, mon gars ! C'est surement  un gag, genre caméra cachée. Ou bien, tout ce qui m'entourait n'était en fait qu'un déco pour une série quelconque. Tout peut s'expliquer, y a pas à tortiller. Enfin presque car devant moi, se dessinait une longue ligne bleue, identique à ce que serait un long fleuve bleu, scintillant sous le soleil de midi. Je m'approchai en mode furtif , la tête entrée dans les épaules. Surtout ne pas se faire remarquer de toutes ces personnes qui allaient  et venaient  sur cette place. Intimement, je sentais bien que ma présence en ce lieu était des plus incongrue. Pris dans mes pensée, je heurtai une jeune femme à l'allure déterminée, enfin c'est ce que je crus sur l'instant car, en fait, je la traversai. Non ! Je ne délire pas. J'étais bien passé à travers cette jolie passante  sans que cela ne lui occasionna  le moindre désagrément. Elle souriait toujours, avançant, preste comme un oiseau. Ainsi, je n'avais aucune réalité matérielle. Je voyais tout ce qui m'entourait mais personne ne me voyait.

Ma gorge se serra. Je glissai ma main dans la poche de mon blouson à la recherche de mon téléphone portable. A qui vais-je pouvoir téléphoner ? Est-ce que le réseau passe ? Je ne me sentais  vraiment pas bien. Un bruit sourd attira mon attention. Tiens, le livre du libraire est tombé à mes pieds. Je l'avais complètement oublié celui-là. L'esprit embrouillé, je le ramassai. Incroyable ! La première  de couverture ne comportait pas de titre. Rien. Nada. Niente. Elle était toute blanche.

Bouche bée, je reste là, à fixer le néant de cette imbécile de page. J'ai tout l'air d'une tanche , mes neurones ont définitivement capitulé. Définitivement ? Crénom de nom, j'en aurai le cœur net ! Un flot de colère me submergea, j'avais l'impression de m'être transformé en une cocotte minute. Je ramassai le bouquin ,  m'élançai vers la galerie en arcade qui se trouvait à ma gauche. Le jaune citron des bâtiments m'aveuglait et accentuait ma colère. Hagard, je longeai la galerie, passant au travers des personnes qui me faisaient face. Cette brusque invisibilité s'avérait, au final, bien pratique. Elle eut même sur moi, un effet apaisant, réussissant à me dérider. J'arrêtai ma course devant un splendide café-restaurant. Je levai la tête et la lecture de son nom me fit l'effet d'un coup de massue. CAFE RESTAURANTE MARTINHO DA ARCADA.Quésaco? Pour reprendre Jean-Claude Dusse , c'est mes yeux ou quoi ?  Mais où suis-je donc, bon dieu ? Pas à Lille! C'est sûr! Et ce que je viens de lire , ne ressemble , ni de près, ni de loin à du français, du ch'ti , du picard. Pestant, je glissai une main à l'intérieur de  mon cartable, j'expulsai le livre du libraire qui s'ouvrit en son milieu. Sur la double page, s'inscrivirent , en gras, Praça de Comércio et Lisboa. Je secouai le livre comme si j'étais brutalement atteint d'une foudroyante crise  de parkinson. Je crus entendre ricaner derrière moi.

«  Par tous les diables de l'enfer ! C'est quoi , ce bordel ? »hurlai - je. Je pouvais donner libre cours à ma fureur, personne ne m'entendait. Autant en profiter.

Sans réfléchir, je m'engouffrai à l'intérieur du café. Je jetai un regard circulaire, à la recherche du propriétaire de la voix inconnue, de la traitreuse voix , planquée derrière moi. Je fulminai. Des paroles, des discussions en anglais, français , portugais, chinois se mêlaient, m'enveloppaient. Un véritable concentré de Babel. Malgré ce charmant exotisme linguistique, ma colère n'était toujours pas retombée. Je suis, selon les circonstances, d'un naturel conciliant. Je peux même à l'occasion être extrêmement sympathique. Mais là, j'ai versé dans le côté obscur.

Je m'adosse alors contre le comptoir. Je me cale près d'une vieille anglaise, genre Maggie Smith à qui je subtilise le fond de sa tasse de thé et je scrute. Un regard mutin vient s'accrocher au mien . Un homme  agite la main, me fait signe de le rejoindre. C'est mon libraire ! Celui du métro ! Mille questions encombrent alors mon esprit mais sans hésitation, je vais vers lui, traversant au passage un serveur peinant à retenir la commande qu'une tablée d'Allemands lui jacte.

« Bom dia ! me lança le libraire alors que je m'installe face à lui. Je suis heureux de vous revoir ! »

J'avais l'impression d'avoir littéralement explosé en vol à la vue de cet homme souriant, et là, face à lui, je tâchai de me rassembler. Non, aucune erreur. Vous pensez que je me trompe, vous allez me dire qu'on ne peut se rassembler ou alors c'est avec d'autres personnes, ou encore que l'on rassemble ses esprits. Non, je sais ce que je ressens. Tel l'Homme Sable, je me reconstitue, je me regroupe, je fais tout mon possible pour être solide .

« Voyez-vous, cette Place du Commerce, a été reconstruite suite au terrible tremblement qui, en 1755,  avait ravagé les trois quart de Lisbonne. Comme l'écrit Voltaire. N'est-ce pas l'auteur que vous travaillez en ce moment avec vos élèves ? demanda le libraire.

- Comment le savez-vous ?  Je ne vous en ai pas parlé, tout à l'heure . Cela rime à quoi , tout ça ? »

Les comment, les pourquoi se heurtaient dans ma bouche sans que je puisse aligner une question complète. L'autre, en face de moi, ne perdait pas une miette du spectacle pathétique que je lui offrais pour pas cher. Pour être franc, il se gondolait sec

«  J'appartiens à la Guilde des Passe Murailles, lâcha-t-il  d'une voix grave. Et je m'appelle Jean-Emmanuel. 

- Désolé, mais cela ne me rassure pas plus. Et si vous croyez m'impressionner avec votre titre à rallonge, c'est raté. Non mais franchement ! Guilde des Passe Murailles ? Jamais entendu parler ! 

- Ecoutez –moi bien, mon p'tit bonhomme. Je vais vous la faire le plus court possible. Je suis le maître et vous, le pantin.  Est-ce clair ? Ai-je toute votre attention ? »

Toute envie de sarcasme m'avait quitté. Mon silence fut la réponse la plus intelligente que je pouvais faire à Jean-Emmanuel. J'étais pétrifié.

« Je ne suis pas plus libraire que vous êtes George Clooney. Je suis tout et rien. Je suis un agent du Destin. Et je m'ennuie. Vous n'avez pas idée à quel point je m'ennuie ! « soupire-t-il .

La situation me dépassait. Je remisai, quelque part, dans mon cerveau, le « What else » qui avait failli m'échapper.

«  Pourquoi moi ? murmurai-je.

- En tant que Passe Murailles, je navigue à travers le temps, je joue avec le temps. J' ai gravi tous les échelons de la Guilde, ce qui m'a conduit à être un agent du Destin, classe 100. Le top du top ! Et mon jouet, c'est les humains.

- Hey, minute !  lançai-je un peu trop vivement pour mon interlocuteur. Si vous êtes vraiment ce que vous affirmez, je devrais vivre des trucs sympas, je devrais rencontrer la femme de ma vie, être le gagnant de l'euro million. C'est ça , le Destin !

- Tout doux, monsieur le professeur, répliqua Jean – Emmanuel. Pourquoi croyez-vous, pourquoi d'ailleurs, les gens en général, croient que le Destin leur veut du bien ? Grossière erreur !

- Mais, c'est quoi , le Destin ?

- C'est me marrer de ton pitoyable besoin de certitude, de ta lamentable envie d'une vie meilleure. Alors que je parcourrai le Grand Livre des Maîtres du Destin, ah oui, parce que la grande classe, c'est d'intégrer cette confrérie bien plus prestigieuse. Je prépare l'exam d'admission. Donc, je parcourrai le Grand Livre et je t'ai entendu. J'ai entendu ton cours sur Candide, sur le chapitre 6 et tout le tralala. J'ai ressenti ton immense satisfaction et là, je me suis dit, je vais bien m'amuser. Et te voilà, à Lisbonne. Et voilà, pourquoi tu as atterri Place du Commerce . La boucle est bouclée. »

Avec élégance, il se leva, se saisit du livre blanc et disparut, non sans m'avoir

 copieusement souri. J'étais condamné à errer à Lisbonne, invisible, transparent. J'en avais la nausée. Une seule question cependant tournait en boucle dans mon esprit : mes copies ? Quand rendrai-je mes copies ?

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