MEURTRE EN ORANGE FEU

lunule-campanule

sixième meurtre en couleur ou comment une vague envie d'exploration conduit droit au meurtre

Je passais souvent par la même route, familière par ses virages, ses arbres et chemins de traverse. Un en particulier, annoncé par une planche sur laquelle était tracé quelques mots maladroits.

Longtemps je suis passé devant ce panneau, minable et intriguant :

Fleamarket – marché aux puces

De temps à autre, mon esprit s'égarait sur les trésors poussiéreux que recelaient les hangars gris à peine visibles derrière les arbres.

Jamais, non jamais, je n'aurais du m'engager sur cette route.

Mais un jour, j'avais un peu de temps, j'ai pris cette petite route, pour voir ce que ces mots cachaient.

 

C'était en fin d'après-midi, une belle journée d'automne. La route donnait sur une cour, bordé d'arbre à droite et d'un hangar sur la gauche. Je me garai en retrait du hangar.

L'endroit se révéla décevant. De vieux hangars gris, de l'herbe folle.

Nulle indication sur le marché aux puces. Nulle indication sur rien.

Que faire ? Repartir ou persévérer ?

Planté au milieu de la cour, j'hésitais quand il me revint les quelques chiffres à demi effacés, sous le mot fleamarket, sur le panneau à l'entrer. Était-ce ce genre d'endroit n'ouvrant qu'à la demande ?

Le portable à la main, j'hésitais à retourner lire le numéro sur le panneau quand quelque chose attira mon attention. Un bruit ou un mouvement perçu du coin de l'œil. Je fixais le hangar, en cherchant la source.

Je me demandais alors s'il ne suffisait pas de pousser simplement la porte pour découvrir la caverne aux merveilles.

De fait, il fallait tirer une grande porte coulissante, étonnement silencieuse pour ces lieux abandonnés. Mais point de merveille.

Des voitures. Le hangar était juste un grand garage. Perplexe, j'examinais les véhicules. Il ne semblait pas qu'ils soient en exposition. Au contraire, ils semblaient appartenir à un panel de citoyens des plus ordinaires les utilisant quotidiennement. Je repérais un caducée, un siège bébé, une camionnette rouillée, une berline haut de gamme. Intrigué par cette réunion hétéroclite, je devinais aussi la présence d'un policier ou d'un gendarme voisinant un paysagiste. Tout au fond du hangar, je vis une petite porte, laquelle menait à un autre hangar, légèrement plus déglingué que le premier. Il me sembla aussi entendre une sourde rumeur émanant du hangar.

La petite porte fut aussi silencieuse que les deux premières et donnait sur un petit bureau, un simple cube vitré posé dans le hangar. Il ne contenait que quelques meubles dans un état de délabrement avancé. Il y avait effectivement des sons. Une sorte de chant, une mélopée sinistre. Les fenêtres étaient occultées par de vieux rideaux moisis, sauf sur une bande au ras du plafond, d'une trentaine de centimètres. Levant les yeux, je ne compris pas ce qui s'offrait à mon regard. Mon esprit butait, refusait de comprendre. Quelles étaient ces choses pendues aux poutres ? C'était gros, marbré de marron sur un fond plus clair. J'en voyais une demi douzaine. Je reconnu enfin un élément. Ça ressemblait à des cheveux pendants dans le vide. C'étaient des cheveux pendants dans le vide. Des cheveux accrochés à une tête. Une tête appartenant à un corps pendu par les pieds. Me concentrant sur le corps le plus proche, je compris que les marbrures marron étaient des traces de sang séché, provenant de plaies béantes.

Je restais figé, le temps de comprendre. Mais ayant compris, je fus pris d'un brusque frisson en réalisant que j'étais en présence de gens morts. Je me mis à trembler nerveusement quand je pris conscience que leurs assassins étaient probablement très près de moi.

Ma première impulsion fut de me précipiter vers la sortie, mais je ne fis qu'un pas. Et s'il y avait un guetteur ? N'allais-je pas me jeter dans ses bras ? Pris de panique, je me cachais derrière la porte affaissée d'un placard. Dans cette illusoire sécurité, je pris le temps de réfléchir un peu.

Je ne pouvais pas rester longtemps ici. Si je n'étais pas découvert, ce serait ma voiture qui le serait. Tout dépendait des gens que j'entendais chanter. Mon téléphone ! Je pouvais appeler la police ! Mais s'ils tardaient à venir ? S'ils arrivaient après ! Et me croiraient-ils seulement ?

Serrant mon téléphone contre moi, je me rappelais avec effroi le véhicule à la carte tricolore.

J'inspirais et expirais posément. J'enfouis mon portable sous mes vêtements pour l'éteindre, craignant que sa sonnerie ne me dénonce. Je me résolus à prendre le risque de les observer. Gardant un œil sur la porte, je fis un pas jusqu'aux rideaux. J'en écartais un légèrement.

Le hangar était sombre, rempli d'ombres mouvantes. Ils étaient assez loin, mais je pus distinguer certains détails de leur accoutrement. Ils portaient des peaux de bêtes, velus et hirsutes, les pattes tressautantes au rythme de leurs gesticulations. J'étais trop loin pour voir autour de quoi ils tournaient, mais je vis un câble qui rejoignait une poutre, évoquant sinistrement les corps pendus. Ils s'arrêtèrent subitement, levèrent les bras en poussant un hululement sauvage et repartirent dans l'autre sens. J'étais sur qu'ils avaient levés des armes tranchantes. Si elles n'avaient pas brillé dans la lumière, c'était à cause du sang qui en dégoulinait.

Je retournais précipitamment me cacher. Ces gens étaient bien une bande de dangereux malades.

Et je n'étais pas plus avancé.

Je pouvais sûrement sortir, me faufiler entre les hangars, rejoindre ma voiture et faire comme si je n'avais rien vu. Ou envoyer un message anonyme, en espérant que la police trouve les corps et assez de preuve pour mettre fin à ces cérémonies barbares.

Mais il n'y avait pas de guetteur.

Pourquoi ? Comment ?

Je repensais aux véhicules, à coté. Humbles et puissants réunis par la soif du sang. Ils avaient sûrement une excellente raison de ne pas avoir de guetteur pour s'assurer de n'être pas surpris pendant leur massacre.

Je retournais aux rideaux.

Le câble bougeait, il remontait lentement. Je fermais brièvement les yeux, refusant la vision prochaine du corps. Je me forçais à me concentrer sur l'examen du hangar. Il était conçu sur le même modèle que son voisin, à part que la grande porte était visiblement condamné. La seule issue était donc le petit bureau.

Je sursautais presque quand je vis le second câble.

Merveilleux ! Les cinglés n'en n'ont pas fini ! J'ai du temps !

Du temps pour quoi ? Les enfermer ? Il ne leur faudrait pas longtemps pour enfoncer la porte.

Du temps pour m'enfuir.

Et les laisser continuer.

 

Je repassais dans l'autre hangar à la recherche de quelque chose, n'importe quoi, qui pourrait les stopper. Je parcourais le hangar en tout sens, scrutant chaque véhicule.

 

Je trouvais de l'essence.

 

Le jardinier avait un bidon pour sa tondeuse. Le bidon était là, accessible, horriblement facile à attraper.

Mon esprit vacilla. Le feu. Implacable et purificateur.

étais-je vraiment prés à faire un holocauste ? À un dieu quelconque ou à l'humanité ? Ou n'était-ce que pour moi ? Pour pouvoir supporter ma vie après cela ?

Je faillis rire. Vivre en laissant faire cette annihilation de l'humanité ou vivre en ayant tué quinze ou trente personnes.

 

Je pris le bidon. Et son voisin.

 

J'en répandis un soigneusement sur les meubles pourris du bureau et fis couler l'autre sous la porte. La chaise coincée sous la porte ne les retiendrait guère, mais comme elle n'ouvrirait que sur des flammes, cela n'avait pas d'importance.

Je coinçais un mouchoir dans la porte extérieure en guise de mèche, puis je la fermais avec sa chaîne et son cadenas, fort opportunément pendu au chambranle.

Voila, il ne restais plus qu'à l'allumer et à m'enfuir.

 

 

Personne ne m'a jamais soupçonné. Et c'est tant mieux.

L'affaire a eu un grand retentissement dans la presse. Il y a eu énormément de révélations mais derrière le sensationnalisme, il n'en reste pas moins cette triste réalité : ils n'étaient pas seuls.

Mais je laisse leur traque à d'autre. J'ai payé mon tribut à l'humanité en révélant l'horreur. J'ai effacé ce souvenir de ma mémoire et continué mon petit bonhomme de chemin. Et tant pis pour les cauchemars.

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