MEURTRE EN ROSE BONBON

lunule-campanule

cinquième meurtre en couleur parce qu'il n'est jamais bon d'accepter les bonbons d'inconnus

 Elle referma la porte d'entrée en bois massif et aux panneaux sculptés. Son mari, confortablement installé dans un fauteuil de cuir, ne leva pas le nez de son journal pour lui demander :

- Qui était-ce ? - Ho, c'était une adorable petite princesse avec une adorable robe rose et un adorable diadème avec des pierres roses !

- Hum, et que voulait cette adorable enfant ?

- Figure-toi qu'elle vendait des bonbons roses pour nourrir des bébés chats abandonnés ! - Quelle adorable enfant !

Elle posa une petite boite ronde, maladroitement peinte en rose, contenant, sur un morceau de tulle rose, des bonbons industriels roses à la forme et au goût rappelant la fraise.

Elle fronça délicatement ses sourcils parfaitement épilés en voyant surgir sa fille, une adolescente morose au style gothique. Celle-ci se planta devant les bonbons en les regardant d'un air méprisant.

- Qu'est-ce que c'est que ces saloperies !

- Des bonbons, ma chérie. Prends-en un. - Je ne mange pas ces saletés industrielles. C'est plein de colorants toxiques.

Le père poussa un soupir irrité sans se détourner de son journal.

- Ne dit pas de sottises. Les colorants alimentaires ne sont pas toxiques.

La jeune fille haussa les épaules et se dirigea vers la vaste et étincelante cuisine et prit ostensiblement une pomme dans le compotier. Un jeune homme au style décontracté nettement plus proche de celui de leurs parents, entra en coup de vent et se précipita sur le frigo.

Sa mère l'interpella d'une voix tendre depuis le salon :

- Mon chéri, tu es allé à la cave aujourd'hui ?

- Heu, non, pas encore…

Tout en triant distraitement le courrier posé sur une console Louis XIV, elle le réprimanda gentiment :

- Nous nous étions pourtant mis d'accord, et il me semble que hier non plus tu n'es pas descendu à la cave. La réponse se perdit dans le sandwich que le jeune homme mangeait gloutonnement. Sa sœur répondit à sa place :

- Moi, j‘y suis allée, à la cave, hier et aujourd'hui.

- Et bien c'était à ton frère d'y aller. Je n'aime pas que tu fasses les choses à sa place.

La jeune fille répondit acidement :

- En même temps, ce n'est pas comme si c'était un hamster ! mère.

Cette dernière piocha avec irritation dans la boite de bonbons roses avant de tendre la boite à son époux. L'adolescente resta appuyée au comptoir de la cuisine, croquant une autre pomme et contemplant sa famille avec hostilité et mépris. Son frère s'était affalé sur un canapé, une canette de soda à la main. Si leur mère évitait soigneusement de regarder sa cadette, lui soutenait son regard sans détour. Il prit quelques bonbons roses et les avala un par un.

- Tu désapprouves ? petite sœur.

- Oui, je désapprouve. Grand frère.

- Et bien je m'en occuperais mieux, à l'avenir. Petite sœur.

- Tu sais très bien que je ne parle pas de ça !

Le père sortit enfin de sa réserve et tout en pliant soigneusement son journal, il s'adressa à sa fille :

- Peux-tu cesser de tout désapprouver systématiquement ? ton attitude négative est pénible pour tout le monde. Sans compter ton accoutrement ridicule.

- Mais c'est mal ! - Tout de suite les grands mots. A ton âge, on voit tout en noir et blanc, ça te passera. En attendant, tant que tu vivras sous ce toit, tu te conformeras à nos règles !

Elle ne répondit pas. Elle observait avec attention sa mère. D'une soudaine pâleur, elle se tenait la gorge et semblait avoir du mal à respirer. Elle observa la même pâleur chez son père et son frère et s'installa plus confortablement sur un tabouret pour la suite du spectacle. Sa mère tendit la main vers la canette posée sur la table basse, peut-être pour soulager sa gorge douloureuse. Les deux hommes portèrent aussi leurs mains à leur gorge.

- Un problème peut-être ?

Ils la regardèrent et elle se réjouit de voir leurs yeux envahis par la panique. Elle les écouta pousser de faibles appels au secours. Elle continua sur un ton badin.

- On dirait du poison, non ? qui m'a dit que les colorants n'étaient pas toxiques ? ha oui, c'est toi, papa.

A présent, ils ont glissés au sol, incapables de contrôler leurs gestes, et respirant de plus en plus difficilement.

- Je pense que ça vient des bonbons. Franchement maman, tu ne te rappelles pas ce que tu nous disais : « il ne faut pas accepter des bonbons d'un inconnu » ? et toi tu te jettes sur les bonbons de la première gamine venue sous prétexte qu'elle porte du rose ! c'est trop drôle !

Elle lâche son trognon de pomme qui va rouler sur le tapis.

- Je me demande ce que c'est comme poison, je ne reconnais pas les symptômes. En tout cas, il est rapide. Donc même si j'avais appelé les secours, ils ne vous sauveraient pas. Ça va être terrible pour moi, découvrir ma famille morte, comme ça. Je vais faire un peu de ménage dans la cave. Juste un peu. Et puis, j'appellerai … j'hésite, les pompiers ou la police directement ?

Elle les regarde attentivement.

- Vous êtes morts ? on dirait bien que oui.

Elle descend de son tabouret et prend une paire de gant de cuisine neuve sous l'évier. Elle va ensuite récupérer avec beaucoup de précaution une clé sur le cadavre de son père. Elle se rend ensuite dans la cave. Elle s'arrête au bas des escaliers et allume la lumière.

- Mon père, ma mère et mon frère viennent d'être empoisonnés. Comme je suis à présent seule au monde, je vais vous libérer. Après je vais appeler la police et faire mon plus beau numéro d'orpheline éplorée.

Elle entrouvre d'abord la porte extérieure de la cave puis enlève le cadenas de la cage avant de remonter l'escalier sans se retourner.

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