"MILAREPA"

gautier

Une chronique sur une des pièces du 50 ième festival d'Avignon OFF , aujourd'hui " Milarepa" d'Eric-Emmanuel Schmitt (retrouvez le format audio sur le lien média.)


Le conte est de loin la plus belle manière de philosopher, de se poser les bonnes questions et ainsi d'apprendre sans en avoir l'air. Qu'il soit d'essence bouddhique, coranique, chrétienne ou agnostique, la forme même de la narration amène l'individu beaucoup plus loin que sa compréhension naturelle ne le permet. C'est un apprentissage tout en finesse par l'exemple et la suggestion, plutôt que par la persuasion et le rabâchage. Dans cette école, L'imaginaire est le maître et la raison, son élève. Mais pour autant, point de classes buissonnières en perspective, le sujet doit prendre le temps d'écouter le conte sans tenter d'en écourter le cheminement, ni d'en éviter les détours étranges et les contours sinueux qui peuvent lui paraître inutiles. Ceux-ci font partis du voyage, comme la gradation des étapes de l'initiation est nécessaire à la connaissance par la révélation.

Cette pièce d'Eric-Emmanuel Schmitt, emprunte la voix de la tradition du bouddhisme Tibétain, pourtant c'est bien de nous tous, Européens en particulier dont elle parle. C'est toute la grandeur de ces mythes intemporels, de ces personnages transfrontaliers, transcontinentaux même, imaginés par Eric-Emmanuel Schmitt, ils frisent avec onirisme une forme d'universalité, qui enseigne la constance de l'humain à travers la planète, c'est aussi cela la fraternité.

Au bout de 20 minutes de spectacle, vous avez la curieuse impression d'en avoir déjà fait le double et ainsi de suite de façon presque exponentielle jusqu'à la fin de la pièce. C'est un sentiment étrange et jouissif de voir s'étirer le temps sans en éprouver l'ennui, de voyager juste par l'imagination, d'être comme suspendu dans l'espace aux cordes d'une simple voix. Les comédiens Emmanuel Vacca, Slimane Baptiste Berhoun et Séverine Poupin-Vêque ne sont pas étrangers à cette alchimie-là. La mise en scène de Stanislas Grassian utilise, elle,  au mieux les petites dimensions du plateau de jeu pour suggérer ceux immenses du Tibet. Les rêves, les incantations et les malédictions  sont chorégraphiés par des effets de transparence à travers des tulles éclairés en arrière-plan. Et dans un décor qui n'existe pas, des questions essentielles nous sont suggérées.

Ce que nous vivons, ce que nous percevons, est-ce la réalité ou une réalité parmi tant d'autres? Est-ce que tout est écrit? Si oui, notre destin dépasse t'il notre maigre existence ? A-t-il besoin de 100 000 réincarnations pour s'accomplir enfin ? Ne suis-je alors qu'un bout de puzzle dérisoire et pourtant nécessaire dans ma gigantesque vie? À l'image de Milarepa, célèbre ermite tibétains du 11 ième siècle, dois-je arriver jusqu'au bout de mon existence pour comprendre que même la sagesse est éphémère et jamais définitivement acquise comme tout ici-bas. Car en se dépouillant jusqu'à l'extrême, le sage se retrouva encore plus attaché à son dernier objet terrestre, cet ultime lien qui fera de lui une nouvelle fois un esclave. Le dénuement le plus total semble bien être la mort. Car après avoir arraché de leur richesse et de leur gloire les vivants, elle viendra à bout,  années par années,  des dernières miettes de notre corps. Carpe Diem !                                                  

                          Thierry Gautier (copyright SACD Avignon 2015)

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