Mina&Sacha
etmacom
« Il était une fois… » Non, c’est trop banal ça. Hum… Il n’aime pas faire comme tout le monde. Il n’aime pas écrire sur lui-même mais voudrait écrire quelque chose, voir son livre dans les librairies, être interviewé pour toucher les gens et entrer dans la grande sphère médiatique. Il se dit aussi que tout livre, donc tout auteur doit savoir faire face à la critique, et avant cela, à l’angoisse de la page blanche. Mais lui, ça ne l’angoisse pas, puisqu’il ne sait pas si son livre sera publié !
Donc c’est l’histoire d’un mec et d’une nana. C’est compliqué, mais quand on y met du sien, c’est simple. Enfin, en fait, quand on est dedans c’est compliqué, mais quand on le lit, comme ça, qu’on n’y est pas lié, c’est facile.
Le gars, c’est lui, il s’appelle Sacha. La fille, c’est Mina. Ils ont la trentaine, ne savent pas où ils en sont, vivent ensemble en France, ont un job qui ne les passionne pas, se sont rencontrés il y a quelques années, quoi, et, il faut bien le dire : ils s’emmerdent ferme !
S’emmerder, c’est s’ennuyer seul ou avec quelqu’un, se lasser très vite, soupirer comme si son existence était trop lourde pour soi-même, rire sans avoir la joie accrochée aux lèvres, aimer sans avoir des étoiles dans les yeux, être blasé de tout, frustré pour un rien, pâle... Tout le monde voit à peu près de quoi il s’agit.
En effet, Sacha n’aimait pas la routine. Quand il était petit, il aurait voulu être aventurier ! C’est le genre de métier qui « ne rentre pas dans les cases ». C’est ça de trop regarder Indiana Jones ! J’vous jure ! Du coup, il bosse tant bien que mal dans un supermarché. Il a une rémunération pourrie. A la limite, l’ambiance avec les collègues est rigolote, mais ce n’est pas non plus l’extase. La direction n’est pas vraiment cool. Limite à exploiter les employés. Mais comme c’est monnaie courante, il ne se plaint pas plus que ses petits camarades. Un peu d’humilité, que diable ! On trouve toujours pire que soi !
Mina, elle, est handicapée. Elle est en fauteuil roulant depuis l’âge de 14 ans. « Rien d’bien grave » comme elle dit. Mais elle souffre en elle-même. Et cette douleur inextricable et inexplicable la fait morfler depuis bientôt 15 ans. Mina, elle est jolie pourtant. Les accidents de la vie, ça vous gâche les potentiels les plus forts, les caractères les plus immuables. Ce qu’elle aime par-dessus tout, Mina, c’est d’entendre les enfants s’amuser dans les cours de récréations. La cloche sonne, on peut déjà palper l’excitation des élèves (petits et grands), les imaginer en train de soupirer alors qu’un prof leur « prend le chou » avec des choses chiantes, qui pourtant feront bientôt partie d’eux ! Ou encore les grands impatients devant l’éternel qui ont déjà rangé la trousse dans le sac après avoir lancé des boulettes de papier au plafond pendant 55 minutes.
Mais Mina n’est pas prof. Enfin… Si, mais pas une prof dans une école, non, elle joue du piano et donne des leçons. A son domicile. C’est sympa, ça lui permet de rencontrer des gens sans trop se montrer – parce qu’en France, le handicap, ce n’est vraiment pas bien perçu. Les abimés de la vie doivent rester terrés chez eux. Dans un sens, ça bouge un peu, mais si peu ! Les urbanistes croient bien faire en mettant des pentes devant les bâtiments publics. Mais n’ont pas compris que si le trottoir mesure 20 cm de haut… la pente, c’est un peu comme l’âne et la carotte ! Ca donne envie d’y accéder, mais on n’y arrive jamais.
Et donc, ces jeunes gens s’ennuient. Pourtant, lui, dans ses temps libres il écrit, elle, elle joue du piano à s’en scier les doigts. Il est fier d’elle et n’a qu’elle ; elle l’aime pour ce qu’il est.
C’est rare, de nos jours, les gens qui s’aiment pour ce qu’ils sont et non ce qu’ils ont ! Mais eux, ils marchent comme ça. Mais ils s’emmerdent. Et ça, ce n’est pas terrible.
En fait, on devrait plutôt dire qu’ils s’emmerdaient. Parce qu’ils ont sympathisé avec un couple. Des voisins. Elle fait des ménages et il est pompier. Des gens charmants, agréables, avec qui on peut parler de tout et de rien. Même de politique dis donc ! Et sans se fâcher en plus. Des idées, ce ne sont que des idées… Et comme disait Brassens… Enfin, vous connaissez le couplet.
La rencontre ? Euh, ça date de la semaine dernière ! Oui, c’est tout frais. Alors, à l’époque à laquelle on vit, il faut se méfier de tout le monde, rester le plus anonyme possible et tout… Et en fait, c’est pour ça qu’on s’emmerde ! Si, tous, on s’emmerde tous ! Ne nous voilons pas la face. Et profondément, même ! Citez quelqu’un d’épanoui ? L’Homme par défaut s’emmerde. C’est comme ça. Il y en a qui gèrent mieux la situation que d’autres, mais dans le fond… On est tous dans le même sac. On travaille pour s’occuper, on tue le temps, comme on dit, avant que ça soit l’inverse.
Donc il y a une semaine, la voisine a sonné chez Mina et Sacha. Il était 15h00. Mina attendait un élève, elle va ouvrir. La dame entre. « Le truc, quand on regarde les handicapés, se dit-elle, c’est qu’on sourit un peu, mais la peur que se soit pris pour de la fausse compassion m’oppresse ! ». Elle voulait savoir si Mina n’avait pas besoin d’aide pour le ménage. Mina dit que oui, pourquoi pas, mais les finances, c’est pas rayonnant, parce que les leçons de piano et la paie de Sacha, ça suffit à les faire vivoter, payer le loyer, les charges, et que le ménage, Sacha le fait de temps en temps rapidement. Comme elle dit « Pour un garçon, il se débrouille bien ! ».
La voisine observe cet intérieur qui la met tout de suite à l’aise. Pourquoi ? Allez savoir ! Une ambiance chaleureuse se dégage de cette maison. Mais Mina est pâle. Elle n’a pas l’air triste, mais elle ne doit pas sortir souvent !
Elle propose à Mina un compromis : 2 heures de ménage par semaine contre 1 heure de piano et 1 heure de sortie en ville.
« Pourquoi autant de gentillesse ? » se demande Mina d’un air suspicieux. « Le piano, j’en ai déjà joué, il y a longtemps… Je n’ai jamais eu l’occasion d’en rejouer et j’aimerais m’y remettre ! ». Mina sort son agenda prend un stylo posé sur le beau piano (tout propre) et dit : « On commence lundi prochain, o.k. ? A 14h00 ? ». La voisine cherche dans sa tête et se dit que si elle se dépêche de rentrer de chez M. Loubin, elle pourra être ici à 14h00. Elle prévient qu’elle sera peut-être en retard de 5 minutes. « No problémo ! »
Et de fil en aiguilles… Une heure de piano – silence entre les deux femmes. Et une heure de sortie dans les parcs, dans les musées les journées de tarif réduit, au cinéma d’essai pour voir des œuvres de célèbres inconnus et parfois incompréhensibles – mais pour 3€ la place, ça va.
Mina – resplendissante – en parle à Sacha la semaine suivante. Sacha ne paraît pas emballé. Mina lui fait la réflexion : « Tu préfères t’emmerder que de rencontrer des gens, comparer des opinions, apprendre à connaître ? Tu sais, elle est mariée depuis 5 ans avec son copain !
- Ah ?
- Oui ! Mais ils ne peuvent pas avoir d’enfant. Mais bon, ce n’est pas non plus obligé !
- Oui… D’ailleurs, Lora, la caissière, elle a avorté. Son gars s’est barré au bout de 2 mois.
- Hum… Et elle ne veut pas le garder ?
- Non, elle a déjà du mal à vivre toute seule… Elle ne veut pas prendre ce genre de risque.
- Je peux comprendre. Et sinon, ton livre, ça donne quoi ?
- Ben… J’ai un peu abandonné, là. Je n’ai pas de suite à mon histoire d’aventure », mentit-il.
Cette histoire de rencontre perturbait Sacha. Il se disait que Mina avait de la chance de s’être fait une amie, d’en avoir le temps, de pouvoir s’aérer un peu l’esprit.
« Mais elle s’appelle comment ? Et son mec, c’est quoi son nom ?
- Elle c’est Félicia, et lui, c’est Douglas, répondit-elle, assurée ».
Il l’enviait presque. Presque, parce qu’il avait la routine en horreur et qu’elle s’était pourtant immiscée en lui et il avait maintenant peur de la quitter ! Comme l’Homme est paradoxal ! Si Mina les invitait… Il… Il… ne saurait pas comment réagir. Mais il lui donnerait peut-être l’idée, un de ces quartre.
Et effectivement, Mina invita Félicia et Douglas à manger un soir. Un vendredi soir. Et ce soir là… L’emmerdement était parti. Littéralement envolé, comme par magie.
Ces quatre là, ils allaient former une belle équipe. Le dimanche, Douglas convia Sacha à jouer au tennis avec lui. Mina et Félicia prépareraient le repas pendant ce temps.
Félicia avait un cousin libraire. Elle proposa à Sacha de lui prêter un livret de ses aventures pour avoir l’avis d’un professionnel…
Comme quoi, l’amitié peut « désemmerder » beaucoup de choses !
j ai beaucoup aimer lire ce texte et comme mathieu est ce qu il y aura une suite ???
· Il y a plus de 12 ans ·anonymous