Mioche

milton-edouard

Un sifflement respiratoire entra dans la bande son de mon rêve : Une Marlène JOBERT sans taches de rousseur me chevauchait. Ses seins dansaient  au rythme du pas Espagnol : j’étais cheval Andaloux sur le dos, avec une cavalière sur le ventre. Un sifflement bronchiteux m’agaçait. Une goutte de sueur parfumée, coulait de son aisselle tendue. Je me cambrais, elle se cabrait. Je galopais, la tête à l’envers dans le réfectoire, ma crinière trempait dans le gratin de céleri et tout le monde s’en foutait. Si seulement ils avaient pu nous voir : on se retrouvait dans le verger de la colo, nus, sous un poirier … Elle se penchait, toute langue dehors comme pour se lécher les sourcils et la fourrait dans ma bouche en émettant un sifflement bronchiteux. Soudain… Marlène… N’était plus JOBERT .

Je crachais sa salive mélangée à la mienne… Elle avait à présent les traits de ma mère.

Je me réveillais sans oublier d’oublier instantanément ce que j’avais vu pendant la nuit. Tout était passé dans le passé du présent, excepté, le sifflement asthmatiforme qui persistait…

Mioche me regardait en souriant ; assis sur son lit, en position de recherche d’air, il faisait monter  et descendre ses épaules au rythme de sa respiration empêchée. A la base de son cou (où mon vieil oncle s’était asphixié en coinçant son mouchoir après une trachéotomie) une petite cavité se formait sous la peau de Mioche, aspirée vers l’intérieur, elle formait un petit ballon de peau diaphane. Il sifflait comme une bouilloire. Ses expirations étaient inexistantes, il ne sifflait qu’en inspirant… Après s’être hyperventilé comme un con, il daignait redonner un peu de gaz carbonique à la nature qui certes ne l’avait pas gâtée, mais c’était ainsi et un jour, après la puberté, avait dit le médecin chef, tout cela s’arrangerait, sûrement… Mioche avait de l’asthme…. Rien de bien original dans cette cure des alpes de haute Provence où tous les enfants de 7 à 14 ans étaient traités pour cette saloperie. Mais Mioche était  atteint d’une forme d’asthme « bleu » que j’avais diagnostiqué lors d’une méchante crise qui l’avait clouée au lit le lendemain de son arrivée :

Les bâtiments de la cure bordaient un large torrent , La Guisane.

Les sommets n’étaient pas visibles ce jour là. Bonnetés, écharpés, gantés, crachant de la vapeur à chaque expiration, les enfants de La guisane courraient dans tous les sens en criant  leur joie ; il neigeait. Un coup de klaxon fit sursauté un petit groupe de filles qui s’éparpillèrent en sifflant des poumons. Une 404 blanche passa au milieu de l’allée humaine que nous avions formée naturellement en toute curiosité. A ma hauteur, la vitre arrière de la 404 descendit. Un petit paquet de neige dentelé tomba à mes pieds. Je vis le visage d’un garçon à l’arrière de la voiture. Une bouffée d’air chaud s’échappa de l’habitacle laissant à mes narines un parfum de déjà vu.  

- « Ferme cette glace ! tu vas attraper du mal ! » : c’était sa mère.

L’allée humaine se referma derrière la 404 comme pour qu’elle ne reparte jamais. Elle s’arrêta devant la salle de gym. Le médecin chef, directeur de la cure vint à la rencontre des deux adultes et du jeune garçon. Je détaillais la petite famille de loin. Elle : 35 ans, Brushing, anorak matelassé marron et beige, fuseau orange en velours côtelé planté dans des bottines poilues. Lui : plus vieux, moustache noire, cheveux aussi, veste en mouton retourné(pauvre bête), jean patte d’Eph et chaussures en poil. Pendant tout le briefing d’arrivée, planté entre ses parents et le directeur, le garçon regardait dans notre direction, mais je crois que c’était la sortie qui l’attirait. Le directeur l’observa en souriant et le poussa vers nous comme pour dire : «  n’y compte pas… » Le garçon s’approcha du groupe sans avoir jeté un regard indéfinissable à sa mère. Le père fit un signe rassurant  à son fils: «  Va ! on se voit tout à l’heure… » A chaque fois c’était la même scène, le temps s’arrêtait, on croyait tous au miracle : les parents reprenaient leur môme en saluant le directeur, montaient dans leur voiture et retournaient chez eux, au complet. Mais ce n’était jamais arrivé. Quand on entrait à la Guisane, il fallait faire son temps, compter les jours, les mois, les années pour certains… C’était ainsi. Je ne sais quel élan me poussa vers ce garçon, mais j'avançai dans sa direction. Je lui tendis la main comme un homme. Il s’appelait : Mioche. Instantanément, j’oubliais son prénom. Il avait une bonne gueule, des taches de rousseur, des yeux ronds marrons pigmentés d’un vert un peu triste.

Nous avions un truc en commun, nous les asthmatiques : l’asthme.

Le processus était simple et répétitif : une contrariété = une crise.

J’appris presque tout de Mioche en quelques minutes, tant il avait besoin de se confier, de se faire une nouvelle famille. Il savait que ses parents partiraient  sans lui et qu’il ne leur en voudrait pas ou presque. Je crois qu’il était moins triste qu’eux… La culpabilité choisissait ses victimes sur le mode aléatoire, chaotique… Quand la 404 s’éloigna dans un ultime coup de klaxon déchirant, Mioche me prit par l’épaules, sans pleurer. Mais c’était limite. En marchant vers le réfectoire, je le vis courir derrière la voiture, je me suis vu courir aussi, tout le dortoir était essoufflé d’avoir couru ou courait encore. Les monitrices passaient entre les lits, chatouillant tendrement ceux qui dormaient encore,  secouant avec angoisse ceux qui ne sifflaient plus , tapotant les fesses de quelques simulateurs, adeptes de la main au cul.

 Mioche réapparu souvent dans ma vie, parfois plus jeune , plus vieux, sous les traits d’un collaborateur musicien, d’une fille que je trouvais belle, le personnage d’un film. Mais en réalité je ne revis jamais Mioche.

Mon asthme avait disparu avec lui.

2005

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