Mireille
keltouma--2
Mireille finit de ranger calmement sa grosse valise qu’elle fait remonter tant bien que mal depuis une cale regorgeant de senteurs au moment où, sur le pont, une dizaine de personnes agitent déjà leurs mouchoirs.
Rieuses, les mouettes planent allégrement dans le ciel clair lorsque trois coups de sirènes élaguent leur quiétude.
La silhouette d’un grand paquebot se dessine de plus en plus nettement depuis le quai fourmillant et largement encombré.
Faisant escale sur sa route vers le Sénégal, Le « Lyautey » ralentit pour se tenir par la barre à l'écart de la côte, alors qu’alertés, les grosses barques, se lancent dans une course effrénée.
Même curieuse de connaitre ce qui l’attend au sol, Mireille reste en retrait des bousculades à contempler la plénitude de cet océan qui la sépare désormais de son passé récent !
L’occasion de voir enfin la lumière et respirer de l’air frais tout en suivant des yeux l’étrange ondulation qui sillonne encore derrière le bateau en instance d’arrêt.
« Il embrassa la mer d’un regard et se rendit compte de l’infinie solitude où il se trouvait.
Toutefois il continuait à apercevoir des prismes dans les profondeurs ténébreuses. La ligne s’étirait à la proue, d’étranges ondulations parcouraient l’eau calme. Les nuages se portaient à la rencontre des alizés. En avant de la barque, un vol de canards sauvages se découpait contre le ciel, il disparut, puis reparut, et le vieux sut que nul n’est jamais complètement seul en mer ».
Heureusement qu’Ernest Hemingway l’accompagnait dans sa solitude durant cette pénible traversée.
Elle partageait avec émotion chaque scène de la lutte du vieil homme avec son squale et vivait ses sensations mitigées de courage et de peur, d’espoir et de désespoir comme si c’était sa propre histoire combien même elle n’avait jamais vu la mer auparavant.
C’est son premier voyage hors de son pays natal, et jamais elle ne s’était doutée qu’elle le vivrait ainsi esseulée dans ce petit carré tout étriqué semblable à une geôle.
Une vingtaine de mètres qu’elle partageait avec d’autres voyageurs, des gens de couleur pour leur majorité, qui, par crainte ou par respect, ne lui ont jamais adressé la moindre parole.
Elle ne quittait son interlocuteur unique que le temps de grignoter un pain au fromage rassis par cette chaleur infernale trempé dans du vin rouge.
C’était tout son unique met durant cette longue traversée où elle avait eu aussi tout son temps pour penser à cette aventure qui la jetait sur la terre africaine au moment où elle croyait avoir enfin trouvé un sens à sa vie.
Sa voie dans le journalisme était toute tracée, et ses deux derniers articles sur « les conséquences des doubles nationalités au Maroc sous protectorat français », et « le statut juridique du Maroc » avaient fait couler beaucoup d’encre.
Elle n’en était que plus fière d’autant plus qu’elle était tout le temps félicitée, mais elle ne pouvait se douter que le fait de dire la vérité était dangereux surtout en ces temps d’instabilité politique.
Pourtant elle n’avait fait que relever la contradiction entre le traité du protectorat Français sur l’empire chérifien et l’état de siège décrétée depuis 1934.
Elle y avait parlée des tortures et séquestration de simples citoyens marocains sous couvert de cet « état d’exception ».
Elle avait aussi évoqué certaines de ces libertés qui se sont retrouvées complètement mises en veille par un Etat qui considère la liberté comme l’une des soubassements de sa démocratie.
C’était le sujet de l’heure depuis que, déchiré par les deux longues guerres, l’empire français commençait à se cisailler et laissait filtrer des revendications de liberté qui s’étaient transformées en débuts de révoltes.
Cela se remarque aussi à travers la guerre de mots qui faisait des colonnes des journaux une plateforme de controverse passible de changer beaucoup de choses, mais pas seulement à la métropole.
Les colons eux aussi avaient peurs pour leurs privilèges et les plus pessimistes ameutaient les décideurs sur la nécessité de briser la révolte, mais les plus clairvoyants préparaient déjà un avenir basé sur une collaboration avec l’élite locale.
Bousculée par quelques passager pressés, elle revient de ce passé qui n’est pas aussi loin pour s’isoler encore plus sur ce pont qui se vide de plus en plus.
A suivre
Merci à vous, il y a une suite à ce roman en cours d'écriture et j'aurais besoin de toutes vos critiques.
· Il y a plus de 12 ans ·keltouma--2