Mireille

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Mireille finit de ranger calmement sa grosse valise qu’elle fait remonter tant bien que mal depuis une  cale regorgeant de senteurs au moment où, sur le pont, une dizaine de personnes agitent  déjà leurs mouchoirs.

Rieuses, les mouettes planent allégrement dans  le ciel clair lorsque trois   coups de  sirènes élaguent leur quiétude.

La silhouette d’un grand paquebot se dessine de plus en plus nettement depuis le  quai fourmillant et  largement encombré.

Faisant escale sur sa route vers le Sénégal, Le « Lyautey » ralentit  pour se tenir   par la barre à l'écart de la côte, alors qu’alertés, les grosses barques, se lancent dans une  course effrénée.

Même curieuse de connaitre ce qui l’attend  au sol,  Mireille reste  en retrait des bousculades  à contempler   la plénitude de cet océan qui la sépare désormais de son passé récent !

L’occasion de voir enfin la lumière et respirer de l’air frais tout en suivant des yeux l’étrange ondulation qui sillonne encore derrière le bateau en instance d’arrêt.

«  Il embrassa la mer d’un regard et se rendit compte de l’infinie solitude où il se trouvait.

Toutefois il continuait à apercevoir des  prismes dans les profondeurs ténébreuses. La ligne s’étirait à la proue, d’étranges ondulations parcouraient l’eau calme. Les nuages se portaient à la rencontre des alizés. En avant de la barque, un vol de canards sauvages se découpait contre le ciel, il disparut, puis reparut, et le vieux sut que nul n’est jamais complètement seul en mer ».

Heureusement qu’Ernest Hemingway  l’accompagnait dans sa  solitude durant  cette pénible traversée.

Elle partageait avec émotion chaque scène de la lutte du vieil homme avec  son squale et vivait ses  sensations mitigées  de courage et de  peur, d’espoir et de désespoir comme si c’était sa  propre histoire combien même elle n’avait jamais vu la mer auparavant.

C’est son premier voyage hors de son pays natal, et jamais elle ne s’était doutée qu’elle le vivrait ainsi esseulée dans ce petit carré  tout étriqué semblable à une geôle.

Une  vingtaine de mètres  qu’elle partageait  avec  d’autres voyageurs, des gens de couleur pour leur  majorité, qui, par crainte ou par respect, ne lui ont jamais adressé la moindre parole.

Elle ne quittait son interlocuteur  unique que le temps de grignoter un pain au fromage rassis par cette chaleur infernale trempé dans du  vin rouge.

C’était tout son unique met durant cette longue traversée où elle avait eu aussi tout son temps pour penser à  cette aventure  qui la jetait sur la terre africaine au moment où  elle croyait avoir enfin trouvé un sens à sa vie.

Sa voie dans le journalisme était toute tracée, et ses deux derniers  articles sur « les conséquences des doubles nationalités  au Maroc sous protectorat français », et « le  statut juridique du Maroc » avaient  fait couler beaucoup d’encre.

Elle n’en était que plus fière d’autant plus qu’elle était tout le temps félicitée, mais elle ne pouvait se douter que le fait de dire la vérité était  dangereux surtout  en ces  temps d’instabilité politique.

Pourtant elle n’avait fait que relever la contradiction entre le traité du protectorat  Français sur l’empire chérifien et l’état de siège décrétée depuis  1934.  

Elle y avait parlée  des tortures et séquestration de simples citoyens marocains sous couvert  de cet «  état d’exception ».

Elle avait aussi évoqué   certaines  de ces  libertés  qui se  sont retrouvées  complètement mises en veille par un Etat qui  considère  la liberté  comme l’une des soubassements de sa démocratie.

C’était le sujet de l’heure depuis que, déchiré par les deux longues guerres, l’empire  français commençait à se cisailler et  laissait filtrer des revendications de liberté qui s’étaient  transformées  en débuts de révoltes.

Cela se remarque  aussi à travers  la  guerre de mots qui faisait des colonnes des journaux une plateforme de controverse passible de changer beaucoup de choses,  mais pas seulement à la métropole.

Les colons  eux aussi avaient peurs pour leurs privilèges et les  plus pessimistes ameutaient les décideurs sur la nécessité de briser la révolte, mais les  plus clairvoyants  préparaient  déjà un avenir basé sur une collaboration avec l’élite locale.

Bousculée par quelques passager pressés, elle revient de ce passé  qui n’est pas aussi loin pour s’isoler encore plus sur ce  pont qui se vide de plus en plus.

A suivre

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