Mireille (suite)
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« Merci monsieur ! s’exclame Mustapha alors que ses petits pieds étaient déjà dans la rue.
Malek demande au concierge qui peine à placer la valise dans une petite soupente d’aller lui chercher un paquet de cigarette et fait un geste de la main, dès que ce dernier quitte les lieux.
Aussitôt un homme grand et mince se présente et procède à l’ouverture de la grande valise.
Rien de bien intéressant sauf un grand carnet de notes comprenant plusieurs citations ainsi que des aperçus sur la vie d’auteurs ou d’hommes politiques.
Parmi les citations qui ont attirés sont attention celle d’Yves guyot dont certains mots souligné par la jeune journaliste en rouge« Il est étrange qu'il faille employer le canon contre les opprimés pour les délivrer de leurs tyrans, ainsi que celle purement contradictoire de Jules Ferry « il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures »
Dans la citation de Léon Blum elle avait souligné des mots qui attestent bien de sa position dans ce conflit de la colonisation : « Nous admettons qu'il peut y avoir non seulement un droit, mais un devoir de ce qu'on appelle les races supérieures, revendiquant quelquefois pour elles un privilège quelque peu indu, d’attirer à elles les races qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de civilisation »
Des annotations qui renseignent bien sur la vision de la jeune journaliste mais rien qui puisse réellement l’inculper, par contre une information capitale attire aussitôt son attention : l’intérêt de Jacques Lemaigre Dubreuil pour l’acquisition de journaux marocains souligné de plusieurs traits par la jeune journaliste.
« Information de taille qui peut bien changer la donne dans la lutte entre la patronnât et la grande syndicale ouvrière « la CGT » de plus en plus présente sur la scène politique, reconnait le policier en civil à l’adresse du journaliste.
« Effectivement, et d’après mes renseignements, ce monsieur est le patron et président directeur général de « Lesieur Maroc », qu’il a fait délocaliser de Dunkerque après l’invasion allemande. Il avait beaucoup fait parler de lui lors de la deuxième guerre mondiale et parait-il , il a joué un grand rôle dans l’opération Torch.
« C’est quoi ça ?
« Je te le dirais plus tard, referme la valise, le gamin peut paraitre d’un moment à l’autre !
Le rédacteur en chef raccompagne son compère l’air quelque peu préoccupé par cette découverte.
L’acquisition de journaux au Maroc par ce magnat, laisse présager une lutte acharnée pour les médias et son journal, déjà en baisse de vente n’a pas besoin d’un concurrent de plus.
« Il est évident que nous allons faire face à une guerre de presse sans précédent et dont personne ne peut prévoir l’aboutissement.
« Mes craintes d’hier sont donc fondées, n’est ce pas ?
« Cela m’en a tout l’air !
« Je sens une connivence entre cette jeune journaliste et ce grand patron et j’ai très peur pour notre mouvement. Il y a surement quelque chose de grand qui se trame derrière notre dos, ou est ce qu’elle est partie cette emmerdeuse?
« Au siège du journal Maroc Presse »
« Alors il ne faut pas la quitter d’un pas, et j’aimerais avoir un rapport complet sur tous ses mouvements ;
« Kader la conduit et il sait ce qu’il a à faire ;
« Alors tu me tiens au courant et si c’est nécessaire tu demandes une nouvelle réunion du comité !
« C’est bon ; Cela se corse et l’intérêt de Dubreuil pour la presse ne me dit rien qui vaille ! Se dit Malek une fois resté seul dans son grand et beau bureau.
Tout le luxe où il vit risque de tomber comme un château de carte s’il venait à perdre les privilèges que lui accordait son statut.
En fait il avait tout à fait raison d’avoir peur et les craintes exprimées par ses amis de toujours n’étaient que plus fondées.
Gérard, celui là même qui avait procédé à la fouille de la grande valise, est son ami de classe et inspecteur principal à la police secrète et c’est lui qui est en charge du dossier de la « journaliste ».
Dans un grand appartement sis juste au dessus de « café de France », ils avaient organisé la veille et tard dans la soirée une réunion secrète pour discuter de l’arrivée de la journaliste.
Etaient aussi présents leurs deux amis intimes, Sami, directeur d‘une société d’imports exports et Christophe le cinéaste.
Ces quatre jeunes dont le plus âgé avait à peine vingt cinq ans sont tous nés à Casablanca et avaient fréquentés les mêmes bancs d’écoles et les mêmes terrains de foot et à ce titre ils se considèrent comme des franco-marocains à part entière.
Pour ces fervents patriotes, issus de familles de mercantiles nouvellement enrichis, il n’était pas question de donner à quiconque l’occasion de jeter le discrédit sur l’action de la France protectrice de ses colonies, ni sur celle de leurs parents qui avaient longtemps soufferts avant de parvenir à faire de ce pays ce qu’il est devenu.
Face à la montée d’un nationalisme « arabe et musulman», ils avaient crée un petit mouvement appelé « conscience France » afin de contrecarrer ce corant considéré comme « fanatique et extrêmement dangereux ».
Leur association secrète avait vite prit de l’ampleur à tel point qu’il était représenté sur tout le territoire du Maroc sous protectorat Français.
L’afflux des dons et l’appuie de l’administration y avait été pour beaucoup.
L’objet de la réunion était justement la place que prennent de plus en plus les journalistes dans cette lutte sans merci pour l’avenir du Maroc en ébullition.
L’arrivée d’une journaliste dont la prise de position en faveur de l’indépendance de l’empire chérifien ne pouvait passer inaperçu et Gérard qui était dans tous ses états, menait la discussion afin de débattre de la meilleure façon de la neutraliser sans attirer l’attention.
Il avait concocté un petit plan qu’il voulait discuter avec ses camarades avant de le soumettre à son supérieur hiérarchique.
« Vas-y accouche, quand je vois cette lueur dans tes yeux je pense immédiatement que tu prépare une diablerie, lui avait aussitôt lancé Malek en apprenant l’objet de la réunion.
« Le contact a été appréhendé, et la journaliste n’a trouvé personne d’autre à sa descente !
« Alors ?
« J’ai un petit plan en tête : Il suffit le bon moment pour l’enlever avant qu’elle n’entre en contact avec qui que ce soit, puis, par les temps qui courent un petit accident passerait surement inaperçu »
Mais ses amis ne semblaient pas épouser cette thèse.
« Attention c’est une journaliste et sa disparition de la sorte mènerait d’autres confrères sur sa trace. Et si jamais on découvre que nous sommes derrière cette disparition cela mettra mal à l’aise tous ceux qui continuent à nous soutenir par leurs plumes, mais nous met nous-mêmes en danger de mort. Réplique Malek.
Avis partagé par l’industriel dont l’instabilité politique ne fait que compliquer les médiocres résultats de l’exercice en cours :
« Je pense qu’il faudrait abandonner l’idée de sa liquidation même sous forme de suicide car les résistants peuvent passer à l’action et tuer l’un des nôtres et de toute façon nous n’avons pas intérêt à le faire car auparavant nous devons connaitre ses « amis » et par la suite nous déciderons …..
« Alors qu’est ce que vous proposez ?
« Je suis d’avis à l’approcher d’un peu plus près afin de sonder ses intentions réelles et découvrir ses liens internes et pourquoi pas, essayer de la persuader de travailler pour nous quitte à lui « vider » un bon poste dan l’un de nos journaux le temps qu’elle se calme !.
« Oui cela me donne bien des idées intervint le cinéaste, depuis le début bien enfoui dans son petit coin, une histoire d’amour entre deux journalistes où le prix à payer serait de se ne pas se mêler des affaires des autres !
« Je te vois venir avec tes gros sabots, s’exclama Malek, tu voudrais encore me lancer dans l’une de tes folies suicidaires, non il n’est pas question que je joue ce rôle. D’abord ce n’est pas mon genre et de plus si Christine l’apprend je suis bon pour les geôles de son père.
« Ne t’en fait pas nous nous occupons de tout ! affirma Gérard pour qui l’idée n’était pas si bête que ça « Et puis se payer une journaliste pour la bonne cause n’est pas donné à tout le monde conclut-il à la fin de la réunion.
« Où est ce qu’elle est maintenant ?
« La pauvre s’est contentée d’une chambre à l’Espéranza » ha ha …
« Vous auriez pu en profiter pour faire une descente et la renvoyer là d’où elle est venue ! Cela nous aurait épargné cette longue réunion alors que nous devrions être avec nos femmes !
« Non, officiellement elle n’a encore rien entrepris de répréhensible sur le territoire marocain et à ce titre nous n’avons pas de raison pour l’arrêter, la liberté individuelle est un point rouge pour moi, trancha le cinéaste
« Il a raison et de toutes façons cela vous aidera surement à découvrir ses liens à l’intérieur.
Les conclusions de cette réunion furent immédiatement soumises par Gérard au chef de la sureté qui en étudia le contenu mais qui restai quelque peu sceptique.
« Qui nous garantit que ce n’est pas le contraire qui arrive, d’autant plus que la réussite de la mission dépends d’une personne non contrôlable à long terme ?
« C'est-à-dire ?
« Que se passera-t-il si c’est elle qui réussit à persuader Malek de rejoindre l’autre camps ? Dans ce cas nous aurons, non seulement faillit à notre mission, mais aussi enrichi l’ennemi d’un allié de taille, l’une de nos plus belles plumes !
« Oui c’est une probabilité, mais tel que je le connais, Malek n’en fera qu’une bouchée et de plus il est fiancé à la fille du préfet de police?
« C’est ce qui me gène le plus! Mr Karbal m’en voudra surement si je touche au bonheur de sa fille unique, mais au nom de la France, je suis prêt à courir le risque !
C’est ainsi que Malek fut chargé d’approcher de plus près la jeune journaliste.