Moi, j'suis pas prêt.

Marguerite De Branchus

Assise sur la cuvette des toilettes, tu as les pieds dans le vide et la tête qui tourne. Ou la tête qui se vide et les pieds qui tournent. Un trait qui annonce la couleur.

Palpitations cardiaques, oreilles qui bourdonnent, vue qui se brouille. Assise sur la cuvette des toilettes, tu as les pieds dans le vide et la tête qui tourne. Ou la tête qui se vide et les pieds qui tournent. Un trait qui annonce la couleur. Puis c'est l'onde de choc. Entre pleurer ou rire, on est obligé de choisir ? Ton cœur balance mais tu te dis que c'est peut-être ça, la vie qui avance. Quand tu l'annonces, le masque tombe : de la fierté, de la joie, de la surprise, de l'émerveillement et puis aussi de l'inquiétude. Toi tu te dis : «Tu ne sauras pas mieux faire demain ou dans 10 ans alors aujourd'hui ou demain ». Et il y a ceux qui te disent : «Moi, je ne pourrai pas, je ne suis pas prêt ».

C'est bien connu, toi un matin, tu te réveilles en te disant : tiens, et si je troquais tous ces apéros entre potos pour des séances rototo, toutes ces nuits pleines de sommeil pour des yeux pleins de cerne, toutes ces délicieuses grasses matinées pour des couches bien grasses ? Soyons honnête, toi non plus, tu n'es pas prêt. T'es comme tes potes, tu veux rester jeune, beau, innocent et surtout libre. Libre de tes mouvements. Libre de tes deux bras. T'es comme tes potes, tu veux profiter à fond de la vie. Croquer la vie. T'es comme tes potes à un tout petit détail près : t'es pas prêt mais maintenant t'as plus le choix.


Neuf mois c'est bien, finalement. 


La rupture avec ta vie fraîche et innocente se fait en douceur. A part le verre de rouge et la cigarette que tu as dû quitter précipitamment au détour d'une ruelle, un soir de beaujolais nouveau, tu as le temps de dire au revoir aux dimanches loques-lendemain de cuite-canapé, de remercier les bains-manucure-gommage pour tout ce qu'ils ont pu t'apporter et leur dire comment ils ont pu te relaxer…et surtout oh combien ils vont te manquer. Tchao tchao plaisirs individuels. Goodbye moments égoïstement bons. A bientôt peut être, rendez-vous dans 1 an ou dans 10 ans sur  la place des grands hommes devenus adultes responsables…


Un ventre qui gonfle, un cœur qui bat là tout bas, un visage qui se dessine, un prénom qui se devine… On peut le dire, on peut le penser, on peut l'imaginer mais réellement, on est encore bien loin de la réalité. C'est la prise de conscience que j'ai eu hier soir en imaginant des petits bras et un grand sourire derrière chaque mini vêtement que l'on me donne : « Merci, c'est joli mais c'est pourquoi faire ? C'est pour qui ? ». Je viens à peine de prendre conscience de ta future existence mais j'ai encore pas réalisé que je vais devoir t'habiller, t'endormir, te faire vivre, te nourrir, te voir grandir…. C'est peut être au programme du second trimestre de la grossesse ? Ou dans le dernier chapitre du bouquin «Comment devenir Mère » ? Ou j'ai peut-être raté un cours fondamental de biologie quand j'étais en 5ème ?


Finalement, on n'a plus le choix mais il nous reste encore le temps. Neuf mois, c'est le temps qu'il te faudra pour arriver et nous, pour nous préparer.


Merde, il ne reste déjà plus que 4 mois.

Signaler ce texte