Mon amant aveugle

Jaap De Boer

Je m’appelle Caroline, j’ai décidé de vous raconter mon témoignage pour prouver que même dans les périodes les plus sombres de notre existence, il demeure toujours une lueur d’espoir.
Prenez mon cas :
En me voyant, bien des personnes ne pourraient penser par quelles affres j’ai du passer pendant plusieurs années. En effet je suis jolie, très jolie. J’ai les yeux vert émeraude, la taille bien fine, les seins généreux et de grands cheveux blonds que je ramène en queue de cheval, très haut sur la tête. Quand je suis seule chez moi et nue, je les laisse alors libres. Ils ondulent alors sur mes reins et mes fesses en une caresse érotique qui finit par être insupportable et j’ai bien souvent du m’adonner à la masturbation solitaire pour étancher le désir que cette douce sensation faisait naître au creux de mes reins.
Ma beauté est de celle que jalouse les femmes et affole les hommes.
D’aucuns diront que c’est une chance. Une chance ? je l’ai cru, adolescente, quand j’abusais ignominieusement de cet artifice. Et puis je me suis aperçue que professionnellement ma séduction de « bimbo girl » était plus un handicap qu’un avantage. Combien dans des couloirs de bureau j’ai entendu dire à mon propos :
- « Avec de tels nibards, elle doit être bandante à souhaits dans un plumard, mais  je suis sur que son Q.I n’est pas à la hauteur de son cul… »
je dois quand même préciser que j’ai en mains une licence de langues anciennes et une maîtrise de géopolitique, de quoi déjà rendre jaloux pas mal d’hommes. Vous comprendrez dans ces conditions ma fureur ! Et bien malgré tout, j’ai du pour survivre faire mille petits jobs avilissants où je sentais souvent le regard et la main des hommes sur mes fesses et mes seins. Comme j’ai un tempérament latin plutôt bouillonnant et la main leste, vous aurez deviné aisément  que j’ai bien souvent été renvoyée pour ne pas m’être laissée faire.
Pour vivre donc, il m’a fallu souvent accepter des jobs humiliants, par trop souvent en dessous de mes qualifications, mais je n’avais guère le choix.
En somme, une après-midi je faisais le triste bilan de ma vie et je me voyais sans avenir, sans petit ami et sans argent. Je décidai de balayer toutes ces idées noires et d’aller les oublier au parc Monceau, près de chez moi. M’habillant assez négligemment pour ne pas éveiller la libido dégénérée de certains hommes, je m’y rendis munie d’un livre et m’asseyais sur un banc. La journée était chaude, Je fermais les yeux un instant et offrais mon visage déjà bronzé au soleil. Quand je les rouvrais, un homme était assis à mes côtés. La trentaine virile mais romantique, il portait un jean délavé, une chemise canadienne à carreaux beiges et marrons et des chaussures du genre « Timberland ». Je bougeai, troublée et légèrement désappointée par cette intrusion dans mon petit univers. Il sourit, agita le doigt en l’air et murmura d’une voix rauque :
            - « Opium de Yves St Laurent, un parfum capiteux destiné aux femmes de caractère. »
Puis il s’excusa de m’avoir importunée.
Surprise par la véracité de ses propos, je l’examinai plus attentivement et notai avec stupeur qu’il était atteint de cécité. Le livre qu’il tenait était en braille. Une canne blanche était pliée sur ses genoux, et il portait des lunettes noires. J’entamais la conversation avec lui. Je me sentais prise de pitié pour ce séducteur aveugle mais j’étais aussi excitée car pour la première fois mes appâts sexuels ne pouvaient avoir prise sur lui, même si je l’avais souhaité. Elric, c’était son prénom, s’avéra être un homme cultivé, énergique, spontané. Son humour était drôle, et son analyse sur les gens et la vie était empreinte d’une philosophie d’un homme qui a souffert. A la fin de l’après-midi, je me sentais terriblement attirée par lui, mais ne savait comment le lui faire sentir. J’étais désorientée ne pouvant jouer ce jeu contre lequel souvent je m’étais mise en colère, arguant du fait que nous n’étions pas que des corps, mais aussi, et avant tout, des âmes. Il n’empêchait qu’en cet instant présent, mon corps le désirait et mon âme ne savait pas comment lui dire sans passer pour une allumeuse. La nuit tombait. Il se proposa de me raccompagner, je sautais sur l’occasion pour accepter. Dans le métro, il y avait  quelques passagers., pourtant pas un bruit mis à part celui des rails glissant sous le passage du métropolitain. Elric, à ses propos, me fit supposer qu’il devait se croire seul avec moi. Je sentis sa main effleurer ma cuisse. Je fus rassurée. Il était un homme et me le faisait sentir. J’allais lui chuchoter que nous n’étions pas seuls quand une panne d’électricité plongea soudain la cabine dans l’obscurité la plus parfaite. La rame hurla sur les rails, stridente, et le son métallique s’amplifia, couvrant les quelques voix surprises de mon voisinage. J’eus un petit rire nerveux et me rapprochait d’Elric. Son souffle chaud sur ma nuque me fit frémir. Le noir me faisait peur. Prise d’une pulsion frénétique, je glissai impérativement sa main de force sous ma jupe.
Je le senti trembler.
            - « Caroline… » me dit-il.
    - « Chut, ne dit rien », lui répondis-je, « il n’y a plus de lumière et nous sommes seuls ».
Il n’a dit mot, mais m’a soudain retournée et j’ai senti ses baisers brûlants sur mon cou et ma gorge. Je sentais son torse contre mes omoplates et j’ai cambré mes fesses pour happer son ventre et son sexe. Ses mains relevaient ma jupe, dégageaient mes fesses, et l’une d’entre-elles s’insinuait avec fébrilité sous la ficelle de mon string. Par derrière, je dégrafai son ceinturon et sa braguette. Il ne portait pas de sous-vêtements, j’avais en main son sexe gonflé de désir, humide, brûlant et, je dois le confesser, assez énorme. J’étais en transes !
Le flux sanguin dans sa hampe semblait lui conférer une vie propre.
            - « Caroline, » répéta-t-il.
- «Continue avec ta main, branle-moi ! », quémandais-je sur un ton faisant penser d’avantage à une professionnelle du racolage, qu’à une licenciée en géopolitique.
Je ne prenais pas la pilule et ne souhaitais pas tomber enceinte, pensant que ma vie était déjà assez confuse comme cela. Je pointais le phallus sur mon anus, puis attirais le bassin d’Elric pour qu’il me pénètre. J’offrais outrageusement mes fesses à cet amant qui ne me verrait jamais et je cherchais encore plus à accentuer sa pénétration en penchant mon buste en avant. Mes mains saisirent alors mes chevilles, ma chevelure passa par dessus ma tête. Ses longs va et vient déferlèrent de plus en plus rapidement entre mes reins. Bien que douloureuse – je ne m’offre pas ainsi très souvent – la sodomie fut extatique. Son sexe se frayait un chemin à travers mes entrailles et ses doigts qui avaient envahis mon sexe m’amenaient au plaisir progressivement.
J’ai hurlé. Plusieurs fois.
Harassée, j’ai retiré son sexe de mon anus. J’ai senti mon amant se contracter, déçu. Je l’ai rassuré dans un halètement de louve et l’ai masturbé tout en fourrant ma langue dans sa bouche. Il sentait le Vétiver et le bois des forêts scandinaves. Sa sueur due à l’excitation avait même cette petite saveur de résine qui perle parfois sur les pins et les épicéas à l’approche des grands hivers.
Je me suis agenouillée et j’ai calé son gland, sa tige, dans ma bouche jusqu’aux testicules. Je l’ai sucé goulûment, et dans les ténèbres, ma salive m’aspergeait les doigts, le cou, les joues et les jambes. Et tout cela dans un bruit discontinu. Un employé nous prévint par radio que nous étions partis en glissade hors de l’un des rails, mais qu’il n’y avait aucun danger. Le bruit était normal, la lumière devait finir par revenir mais il ne pouvait nous préciser quand.
J’ai englouti voracement son sexe jusqu’à mordiller ses testicules. Mes mains tenaient les siennes, crispées. J’ai dilaté au maximum ma mâchoire et  mes lèvres pour tout avaler. Il a poussé un feulement animal. Je suis restée comme cela, mais j’ai dû arrêter très vite, ne pouvant plus respirer.
Il a joui.
J’ai aspiré.
Et les lumières se sont rallumées. Du sperme dégoulinait de ma bouche et je voyais des regards horrifiés et silencieux qui m’observaient. La gêne m’a envahie en même temps que l’excitation. J’ai voulu tout recracher, tout stopper, pour m’enfuir et me cacher, mais j’ai continué à ouvrir ma bouche en dévoilant à toutes ses personnes le sperme qui coulait dans la gorge et sur ma langue. Je l’ai savouré devant eux, mon regard dans le leur. Effrontée, audacieuse. J’ai léché bruyamment mes doigts souillés. Pas un mot n’a été dit. La rame a soudain ralenti et le bruit s’est fait moins fort. Je me suis relevée, j’ai remonté la braguette d’Elric. Hautaine, je ne les quittais pas des yeux. Je les voyais s’entasser pour ne pas perdre une miette du spectacle que je leur donnais. J’ai relevé ma robe et du bas d’un pan, ai essuyé les coulures laiteuses qui perlaient sur mon visage et mon cou. Pas ce geste, je leur ai dévoilé mon sexe ruisselant et luisant.
Un bref clin d’œil vers eux, et j’ai pris la main d’Elric comme la porte s’ouvrait. Nous avons disparu dans les lumières criardes de la station. Je ne sais combien de temps il a fallu pour que la vie reprenne son cours derrière nous.
Aujourd’hui, nous avons fondé tous les deux notre cabinet lié à l’environnement. Elric m’aime et je l’aime. Je ne vis plus ma beauté comme une gêne. Je sais aussi que malgré mes côtés « d’agréable salope perverse » comme le dit tendrement mon amant, il apprécie mon intelligence, mes capacités professionnelles et n’hésite pas à se reposer sur moi lorsqu’il le faut. Je dois confesser que je ne lui ai jamais raconté la totalité des faits qui étaient arrivés dans cette rame de métro.

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