" Mon Amour Fou "

gautier

Une chronique sur une des pièces du 50 ième festival d'Avignon OFF , aujourd'hui "Mon Amour Fou" de et avec Roxane Kasperski .


Dans le titre de cette pièce tout est dit ! Tout coexiste avec une série de déclinaisons possibles. “Mon amour fou, fou mon amour pour toi, mon fou d'amour, sa folle d'amour, mon fou tout simplement et mon amour tout autant.“ Comment peut-on vivre aux côtés d'un ours bipolaire ? Un être doué et attachant qui oscille entre une humeur mal léchée et des enthousiasmes exacerbés, au mieux et au pire un désespoir destructeur pour les autres et suicidaire pour lui-même. Côtoyer le vertige de l'amour d'un presque fou, même si c'est une fois sur deux, pour aller jusqu'où ? Ce questionnement est le fil conducteur de la mise en pièce d'une femme, sur scène et dans une vie antérieure vraisemblablement.

Encore une fois nous comprenons que le théâtre est le lieu de l'expression multiple. De la scène, au jeu en passant par la mise en abîme ou plus simplement en habits d'un texte. Dans le présent le plus urgent, tout devient possible ! Parlons tout abord des mots de Roxane Kasperski, et autres aussi (maux) sous-jacents, ceux qui racontent le parcours d'une jeune femme aux côtés d'un maniaco-dépressif qu'elle tente de sauver de lui-même, en oubliant qu'elle s'y noie. Rien que dans la structure, la narration est déjà signifiante. Elle introduit une fragilité, un doute constant à l'image de l'instabilité du quotidien d'une folie dite “ordinaire“, vue de l'extérieur. Ce sentiment s'illustre par la répétition d'une phrase ou d'un adjectif, semblable à un toc de langage, qui buterait sur une émotion, cherchant une issue, une porte de sortie par un complément de causalité ou de circonstance absent: le pourquoi et le comment ?

Si elle dit “IL“ pour lui et si elle dit “JE“ pour elle et lui, cela ne sépare pas tout en deux pour autant. Semblable à un amour de ouf qui chercherait sa fusion dans le mélange des genres, le “il, le “elle“ et les “je“ s'entremêlent par contagion. L'écriture est surprenante, vive, incisive, directe, à la fois descriptive, narrative, poétique et dialoguée. Quand elle jaillit, c'est une véritable logorrhée qui a, comme la nature, une sainte horreur du vide. Parler pour remplir le néant du gouffre sous ses pieds, tenter t'expliquer l'incompréhensible, poser des jalons sur des sables mouvants, essayer de forcer le réel par toutes ses extrémités.

La mise en scène d'Elsa Granat applique le même précepte ! Pas de vide sur le plateau, mais des bribes de souvenirs sous la forme de papiers secs ou gras, de chiffons entiers ou déchirés qui jonchent le sol. Dans cette décharge à cœur ouvert, la comédienne vient rechercher son passé, des fragments d'elle-même qui lui serviront à se retrouver à se reconstruire pour l'après. C'est vraisemblablement son esprit en lambeaux qui est figuré là, comme son phantasme de Prince Charmant que l'on découvre à travers la projection de bouts de films français, de séries américaines et de diva à la voix frissonnante, mais aussi par sa robe  de laine d'une princesse d'hivers en plein cœur de l'été. C'est peut-être cela aussi la bipolarité, un pôle toujours froid plongeant en un instant dans un autre bouillant !     

                                                                                                                        Thierry Gautier (Copyright SACD Avignon 2015)


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