Mon apparition
Jade Tigana
J'observais sa fuite, silencieuse, furtive. Je percevais sa silhouette qui se fondait doucement dans l'espace. Elle se glissait au travers les couloirs, puis s'infiltrait subtilement par delà les murs, par delà les choses. Elle avait le pouvoir de transcender le monde sensible, d'atteindre les esprits, de toucher les âmes. Il était impossible d'ignorer sa présence, ni de se soustraire à elle puisque cette âme errante, à la fois inspirée et inspirante, absorbait quelque chose en nous d'insoupçonné.
Je me souviens du délice que procurait son apparition, mais aussi de l'attraction que suscitait cette ombre à demi perceptible, celle que l'on approche à tâtons, d'un pas hésitant, celle qu'enfin, on ne nomme qu'à demi mot, prostrés dans la pénombre.
Lorsque je la regardais pénétrer l'obscurité, j'étais fascinée par l'indicible sensualité qu'elle propageait autour d'elle. A la fois présente et absente, ici mais ailleurs, à peine survenue et déjà repartie, à demi perceptible et pourtant visible..
Mon apparition n'était qu'ubiquité, elle était partout et pourtant nulle part. Je ne pouvais que l'effleurer, à défaut de la toucher, ou encore d'en saisir le sens. J'étais alors piégée dans une multitude d'éléments antagonistes, dans un tourbillon de confusions, dans un tout, irrationnel.
Je ne la distinguais plus, mais son souvenir fébrile subsistait en moi. Je trouvais en elle une certaine intensité, celle de sa force évocatoire. Oui, elle faisait surgir en moi des sensations nouvelles, je dirai que son aspect spectral, me donnait à penser, inexorablement.
Elle provoquait en moi, le dérèglement de tous mes sens.. Elle laissait suggérer une infinité de possibles, elle m'insufflait ainsi, un souffle allusif, qui laissait libre cours à mon imagination. « Reviens » murmurais-je, mais ce son ne trouvait pas d'écho. Ma voix ne portait pas, elle sombrait dans le vide, résonnait à peine, s'essoufflait.
Alors, je me remémorais son image. Son passage sur terre adoucissait l'air meurtrit, il apaisait les cœurs glacés, leur donnait un nouveau souffle, un élan soudain, on entendait presque les coeurs battre, on les écoutait enfin respirer, vivre.
Son souvenir laissait à l'âme une sensation d'abandon, un vif désir de se laisser porter, fiévreusement. Il fallût se laisser surprendre par la puissance que procurait ce sentiment de plénitude, qui recouvrait l'esprit d'un voile suave, invisible, mystérieux. Mes sens, quant à moi, ne me répondaient plus. Ils étaient en suspens, comme paralysés au delà des choses, bercés par l'attraction que son âme exerçait sur la mienne, engourdis par le magnétisme de son être. A cet instant précis, je m'étais évaporée à elle, et je songeais alors à une citation qui m'était chère. Quelqu'un avait exprimé un jour l'idée que l'amour, c'était avant tout trouver une personne dont la préciosité résidait en sa capacité à nous faire ressentir « l'éclaboussement d'or des instants favorisés ».