Mon coeur, ce martyr
Jade Tigana
Chère Anna,
Paris, c'est le centre du monde. On y mène une vie ordinaire dans une ville hors norme, j'y respire l'art et la musique à plein poumon, je goûte à l'émerveillement que suscite la grandeur du patrimoine, et la brume du matin ne retire en rien la joie de contempler la magnificence qui anime ce lieu. Cependant je suis triste d'être loin de toi, et lorsque le manque se manifeste plus que de raison, je déambule dans les rues désertes aux heures les plus tardives, t'imaginant à mes côtés. Paris brille alors de mille feux, ton souvenir la fait resplendir davantage, les illuminations diverses qui ornent les avenues prennent vie en moi, tu es un soleil nuit et jour, tu es ma lumière de toute heure. Tu sais, cette douce pensée me réchauffe le cœur et la nuit se fait tout à coup moins obscure qu'elle n'y paraissait d'alors. Un soir, je cherchais ta lueur avec peine, car il faisait bien trop sombre pour qu'une lumière fébrile ne transparaisse ici bas. Je me suis alors arrêté au café du coin, comme j'y avais pris quelquefois l'habitude, et y ai retrouvé avec enthousiasme mes camarades de classe. Je me répétais fébrilement que l'éclat des bougies ornant la table réconforterait sûrement mon cœur meurtri, que j'y trouverai un certain réconfort, que les rires de mes amis apaiseraient mon chagrin, qu'enfin, ton absence serait plus soutenable si je la noyais dans la multitude plutôt que si je la laissais grandir, vulnérable, en proie à ma solitude. Ici je ne risquais rien, il faisait chaud, il faisait bon vivre, les environs étaient inondés par la foule, par cette jeunesse chantante, les voix amicales résonnaient de part et d'autre de la pièce, faisant écho en moi, ils adoucissaient mon affliction, j'étais presque gai. Je pensais à toi avec cette joie d'enfant, celle de se dire, avec un brin de naiveté : « regarde mon ange, je noie ma tristesse, mieux vaut être peiné à plusieurs plutôt que d'être triste tout seul, tiens admire, je suis à moitié heureux ». Tout à coup, un bruit sourd vînt percer cette sphère chaleureuse, cette insouciance palpable, quelqu'un est venu détruire mon quart de bonheur, quelqu'un a brisé notre jeunesse sans frapper à la porte, Anna. Mon cœur est en guerre et mon corps est à terre. Je souffre sans un mot, mon cœur hurle mais c'est mon corps qui saigne ; ma douleur est indicible, elle est un hurlement sourd. Je suis venu pour consoler mon amertume et j'y ai trouvé un desespoir encore plus grand. Mes idées sont au sol et mon âme est scellée. Je crois que la balle est passée trop près, Anna. Ma justice à moi, elle est grande, elle ne tire sur personne, elle enflamme les esprits. J'ai respiré un peu trop fort et la mort s'est précipitée un peu trop vite. J'étais dors et déjà loin de toi, mais je suis désormais à l'autre bout de l'univers. J'étais à des milliers de kilomètres, et je suis aujourd'hui introuvable. Mais je t'écris quand même, mon ange, je n'ai plus d'adresse mais je vivrai toujours, là, quelque part en toi. On m'a dit que certaines personnes mouraient par amour, ou par devoir, mais moi, Anna, je suis mort pour rien, si ce n'est pour avoir hasardé ce jour là au café du coin, pensant y trouver cette chaleur humaine qui tempère si bien les âmes, mais je ne pensais pas, oh non ma Anna, y trouver un brasier.