Mon corps

Nicolas Pellion

29 septembre 2020

La flûte entonne son chant, inonde de notes les torrents, les rivières, les fleuves de sang qui irriguent l'univers de mon corps. Les forêts de mes poumons résonnent sous l'émotion, les prairies frissonnent sur ma peau, les sources perlent de mes paupières, contournent les monts de mes narines, pleuvent sur mes lèvres, rivages qui donnent et prennent, ourlent le cénote de ma bouche, doline d'effondrement, qui délivre la parole, le rire, retient ou laisse échapper le cri, puits d'offrandes pour rassasier le monde qui m'habite, me crée, fait vivre les pensées bâties dans les replis de mes entrailles, dans les palais de mon âme, érodés, détruits, anéantis et qu'inlassablement je reconstruis, cellule après cellule, case après case, blanchis d'ivoire, auréolés d'espoir, enluminés par les astres de mon regard. Je recompose le puzzle, échange les pièces, refonde mon histoire pour que, de l'aube au crépuscule, renaissent le sourire, l'envie, le désir. Un monde s'épanouit dans le silence sans pouvoir détailler l'extraordinaire composition de la chair, trop de fulgurances, trop de sensations, que les mots et les gestes ne peuvent pas traduire, alors je laisse les ondes le traverser, l'eau glisser, la brise l'envelopper, pour aider mes pieds à danser, mes mains à caresser, mes bras à s'élever, mes hanches à onduler, mes ailes à repousser, ma vie à avancer. Mon corps est un océan animé de calme et de tempêtes qui masquent la lune, ruinent les dunes, ravagent les plages, violentent les paysages, submergent les campagnes, réduisent les montagnes, noient les bêtes, assassinent la fête, redessinent les continents et inventent sous le firmament des îles où volent des pétales, éclosent des étoiles, des fruits en ribambelles, corps moelleux à la pulpe étrangère, insoupçonnés mirages, abandon du diable, pour étancher la soif sur le sable…

Signaler ce texte