Mon Mexicain

george-w-brousse

Je rentrais à « la maison », décidé à me faire un dernier verre avant de taper encore quelques lignes. A Montparnasse, où je prenais la ligne en route, une bande de gars et de filles, mon âge ou un petit moins, arpentait le couloir des bouteilles de mauvais bordeaux à la main – Meeks m’aurait dit « c’est un pléonasme » si j’avais partagé cette pensée avec lui : il ne jure que par les Côtes du Rhône, question de patriotisme régional. On a pris le même wagon, j’étais piqué d’une curiosité sociologique, je me répétais : « mais comment ces gros con vont se comporter ? » et je les regardais dans les yeux, moi, comme les autres passagers. Premier arrêt, ils se foutent d’une femme à l’allure de trans et je me dis « c’est gagné, au premier débordement je me les fais ». Mon regard croisa celui de deux gars, assis quelques sièges plus loin, dans le sens de la marche ; on était sur la même longueur d’onde : marre de ces connards qui nous prennent la tête sur le chemin du retour. A Odéon, mon occasion se présenta, presque trop belle pour être bien réelle. Je me demandais si moi aussi, je n’avais pas abusé du mauvais vin. Un hispanique, peut-être la trentaine, et gros, et gras, et suintant avec une gueule sortie tout droit d’un cartoon. Les zinzins de l’espace avaient le même genre de gueule quand ils utilisaient leur machine pour prendre une apparence humaine. « Ils vont pas le rater, cette bande d’enflure », je me disais. Les poings serrés dans les poches, j’étais prêt à remettre les pendules à l’heure, à leur sauter dessus dès qu’ils commenceraient à se foutre de lui. Le gars posa son énorme cul sur les deux sièges rabattables, et la bande regardait vers lui. « Allez, allez, vous me faites vomir, vous allez vous en mordre les doigts ». L’un d’eux prit une gorgée, passa la bouteille à la blondasse qui se tenait à sa droite, puis baissa son pantalon pour exhiber son cul. Je descendais à la station d’après, et ils ne faisaient rien d’autre que de faire tourner leur dernière bouteille – du blanc, cette fois – sans prêter attention à mon Mexicain. Les portes s’ouvrirent, je descendis et passai devant eux avant même que la rame ne reparte. Les enfoirés, ils auraient au moins pu se foutre de sa gueule, sérieusement, il l’aurait pas volé.

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