Mon petit débat à moi
Christian Le Meur
Afin de canaliser la frustration du peuple d'en bas ou, tel que nos chères élites le nommait avant l'avènement de la novelangue «des couches sociales inférieures», notre gouvernement nous invite à libérer notre parole depuis trop longtemps contenue. Pour se faire, il suffit de déposer ses doléances dans la boite à idées républicaine prévue à cet effet.
Seule condition à cette thérapie citoyenne et collective, que nos revendications soient conformes au cahier des charges préétabli.
Je ne doute pas que ce grand débat national soit l'événement majeur de la cinquième république puisque, nous affirme-t-on, en filiation directe avec des états généraux.
Des milliers de requêtes, toutes aussi légitimes les unes que les autres , seront collectées, triées, numérisées, archivées. Une synthèse conforme au fameux cahier des charges sera éditée sur du joli papier broché protégé par une couverture plastifiée. Solennellement, ce précieux document sera remis entre les mains d'une commission d'experts en tout genre qui réfléchiront, extrapoleront et finalement concluront leur mission d'études, tradition française oblige, par un mémorable gueuleton.
Seulement, aussi judicieux paraisse-t-il, ce coup de com' politicienne ne suffira pas à cacher la véritable urgence qui devrait mobiliser nos énergies. Ce grand débat se résumera à peau-de-chagrin si préalablement nous n'exigeons pas la fin du saccage irréversible de la planète, du pillage généralisé de l'ensemble des richesses produites au seul profit d'une caste dominante et de l'asservissement de la majeure partie de l'humanité en la maintenant, soit dans un état de misère préméditée, soit dans un état de servitude idéologique.
La tromperie qui nous aveugle nous vient sans doute de l'acceptation de cette doctrine triomphante qui nous martèle sans cesse : Le capitalisme répond à une loi naturelle.
Ou comble d'arrogance, ce principe serait une révélation du dieu créateur ..
Dans le domaine du droit, ce type d'affirmations de circonstance impliquent que le capitalisme libéral se situe dessus des contingences juridiques, autrement dit hors des attributions de la justice des hommes puisque par définition, la justice est demandée aux hommes, pas à la nature.
Le deuxième point et non des moindres, si l'on se place sous l'angle positiviste et donc que l'on admet son essence idéologique, on constate que l' emprise mondialisée du capitalisme l'absout de la deuxième prescription du droit, à savoir la sanction. (La première prescription étant la norme qui ordonne,autorise ou défend une conduite).
De fait, bafouant ouvertement les droits internes des états, droits élaborés afin d'assurer l'équilibre des différentes organisations sociales, le capitalisme libéral consacre sa propre et unique loi, la loi du plus fort, autrement dit la négation même du droit.
( Thème d'un colloque du Cnpf (medef) début des années 1970 : Question :De quelle manière devrait-on envisager le développement juridique des sociétés multinationales ? Conclusion finale : Ce n'est pas nous, sociétés multinationales qui sommes des monstres, c'est vous, vieux états, qui êtes des attardés) Note N° 1
Afin de discréditer les irréductibles incrédules contestant des bienfaits de ce nouvel ordre mondial, nos oligarques et de leur clique de mercenaires en col blanc nous sortent de leur porte monnaie magique, la formule imparable : Plus nous nous enrichissons, plus vous profiterez de nos excédents de richesse ( Merci Adam Smith)
En accord avec cette profession de foi,voici à titre d'exemple l'étendue des faveurs octroyées à certaines populations:
La plupart de nos vêtements sont produits dans le sous-continent Indien. Il y a quelques années le gouvernement Indien a fait pression sur ses petits paysans pour qu'ils abandonnent leur mode de culture vivrière garant d'un équilibre économico-social local et solidaire. Passant à la mono-culture ils se sont mis à produire à grand renfort de pesticides et autres cocktails mortifères, du coton.
Les Etats Unis adepte du protectionnisme commercial à sens unique ont rapidement contre- attaqué en subventionnant à outrance leur propre production afin que le coût à l'export vers le pays ciblé, à savoir l'inde, soit inférieur aux coût de production du marché local. D'où, logique et but de la manœuvre, ruine des petits paysans avec son lot d'expropriations. Altruisme oblige, certains créanciers dont on ne peut qu'admirer la grandeur d'âme ont proposé à ces braves gens d'échanger le fardeau de leur dette contre un de leur rein voir celui de leur épouse.
Ces vêtements bas-coût made in tiers monde se démodant très vite, généreusement la plupart d'entre nous en faisons don aux Africains vivant dans certaines contrées déshéritées sans même prendre conscience que ce type d'habillement se révèle totalement inapproprié à leurs contraintes de vie. De plus, cette incohérence entraînent le déclin de leurs particularismes culturels et ethniques.
Ce marché de la fripe que nous alimentons ruine les petits artisans tailleurs et avec eux un autre pan de cette solidarité ancestrale basée sur le troc qui alimentait, par les liens d'interdépendance qu'elles induisaient, la cohésion du clan et du village.
La question essentielle est la suivante: Au nom de notre mode de vie dont la finalité se résume à assouvir nos pulsions consuméristes, comment et pourquoi en sommes-nous arrivés à considérer les droits et donc l'existence de ces individus comme superflus?
L'idéologie du libéralisme n'est pas le libre échange mais bien du laissez-faire. Dans libre échange il y a association entre liberté et réciprocité. Or la liberté est indissociable de droit équitable. Quant à la réciprocité elle n'apparaît que dans les discours d'intention, pas dans les faits.
Par manque de lucidité ou tout simplement par égoïsme combien d'entre nous s'ampute d'une partie de leur humanité à seule fin de satisfaire leur convoitise.. Cet abandon nous rend responsables et complices de ces multinationales agissant illégalement au regard des droits fondamentaux, tout simplement parce que nous en sommes les commanditaires .
Ce que nous refusons d'admettre c'est que l'idéologie libérale qui trouve son ancrage dans les trois piliers du marxisme à savoir : planification/ rationalisation/normalisation, n'est ni plus ni moins qu'un système totalitaire auquel nous adhérons. Ce système, de part sa capacité de propagande modèle notre consentement jusqu'à nous faire accepter l'inacceptable. Du haut de notre arrogance nous bafouons notre respectabilité et œuvrons à l'anéantissement progressif de toute forme de vie sur notre planète.
Pour nous désendoctriner de cette idolâtrie du dieu profit, qui paradoxalement ruine notre humanité , Jean Ziegler prédit un réveil des peuples qui aboutira à la révolution, une révolution de type 1789. (Note 3)
Mais est-ce réellement souhaitable ?
A en croire Lénine, la révolution exige un abandon total. Or dans ces îlots de prospérité où nous agitons frénétiquement, qui serait prêt à abandonner son univers de possession pour une aventure aussi incertaine?
Sans doute Mao détient la réponse quand au début des années 1920 il écrivait ceci aux cadres du Kuomintang «la révolution n'est pas une partie de plaisir… la révolution n'est pas une poésie. La révolution, c'est un acte par lequel une classe opprimée détruit une autre classe. Une révolution agraire c'est une révolution où les pauvres détruisent les propriétaires» (Note n°2) Cette classe dont il parlait était celle des petits paysans opprimés, plus particulièrement les Pitzous , misérables parmi les misérables qui n'avaient rien à perdre puisqu'ils ne possédaient rien .
Sans doute, notre déni des réalités nous empêche de prendre conscience qu'aujourd'hui encore, un tiers de l'humanité ne possède rien. Spolié de leur terre, de leur dignité ils survivent coupés des racines qui les liaient à leur histoire, à leurs ancêtres;
Soyons clair, aujourd'hui lorsque un être humain meurt de faim ou des suites de malnutrition cette personne est une victime, non pas de la fatalité, mais des choix stratégiques de ce totalitarisme économique globalisé
Seulement il serait illusoire de nous croire à l'abri d'un tel destin sur nos îlots de prospérité précaire., Sournoisement cette idéologie conquérante gangrène progressivement toutes les branches de notre société. A titre d'exemple, sans la moindre objection, nous approuvons l'instauration du facteur temps/coût financier accordé aux services d'aide des personnes âgées invalides dans les Ephad . Résultat, nos anciens, nos parents et un jour nous, victimes d'une forme insidieuse de maltraitance approuvé institutionnellement, finissent parfois par décéder des suites de malnutrition ou de déshydratation.
Mes propositions:
Depuis des décennies on constate avec impuissance que l'énergie dépensée pour s'opposer ou lutter contre ce système suprémaciste est bien supérieur aux résultats obtenus et bien souvent ce combat, aussi louable soit-il, finit par occulter la cause initiale que l'on défend;
A mon avis l'opposition frontale ne peut qu'aboutir à l'échec et au fatalisme. Nous devons calquer notre stratégie sur un principe de la science physique appelle ‘ le moindre action »
La règle est la suivante: Le meilleur chemin pour obtenir une transformation ou changement est celui de l'économie des moyens .
Grâce à la lucidité et l'expérience de citoyens responsables nous savons qu'une autre voix est possible . A nous de la rendre cohérente en replaçant l'éthique, gage d'un avenir solidaire et juste au centre de nos préoccupations.
La difficulté réside dans le fait que cette société pour qu'elle puisse se construire et s'épanouir en parallèle, et non en marge, de notre société actuelle devra, de par sa légitimité s'inventer une cohérence globale et institutionnelle tout en s'affichant une identité propre et immédiatement reconnaissable. L'état étant fait pour l'individu et non l'individu pour l'état, notre premier devoir est d'exiger le respect des constitutions déjà existantes.
L'article 35 de la constitution de 1793 dit ceci « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs »
(Photo de l'auteur)
1 ) Entretien avec Georges Vedel : livre Collectif Justice et droit édition Robert Laffond
2) Mao par lucien Bodard édition gallimard 1970
3) Jean Ziegler Le capitalisme expliqué à ma petite fille édition Seuil
Analyse étayée de notre système de production capitaliste. « Produire ! Produire toujours plus ou mourir. » Et tant pis si c’est cette production aberrante qui nous tue. :o))
· Il y a plus de 5 ans ·Hervé Lénervé
Merci Hervé pour ton commentaire. Mais j'y pense, peut-être devrions-nous appeler l'inspecteur Hercule Foireaux pour savoir où passe-passe tout notre pognon!
· Il y a plus de 5 ans ·Christian Le Meur
Bonne idée d'enquête, pour Foireaux, C'est un fin limieu. :o))
· Il y a plus de 5 ans ·Hervé Lénervé