Mon Voeu Embouteillé

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Chapitre 8

763ème année de l'ère de La Rose Blanche 

  Pour Noël, c'était une journée tout à fait ordinaire. Comme tous les matins, il s'était levé à l'aube pour s'occuper de ses bébés, tâche qui lui prenait toute la matinée, et, après un déjeuner frugale composé d'un morceau de pain et de soupe qu'il faisait réchauffer au poêle que Cathy lui ramenait la veille, occupait son après-midi à lire divers livres qu'on lui apportait de la bibliothèque en attendait l'arrivée de sa sœur. La seule chose qui avait changé, c'était l'énorme tas de paille que Lucille avait entreposé dans un coin du jardin afin d'”effacer leur trace” au moment de leur départ comme le disait cette dernière. Pourtant, aujourd'hui, les choses se déroulèrent différemment. 

Bien avant 16 heures, le jeune garçon entendit des pas précipités près de la porte de son jardin. Un cliquetis retentit, la porte s'ouvrit, et sa sœur apparut, essoufflée, pour aussitôt refermer la porte. 

« Changement de plan, s'exclama-t-elle sans même laisser le temps à Noël de réagir, on doit partir sur le champ. 

- Que se passe-t-il ? Répondit ce dernier, inquiet. 

- On m'a piégé. Je ne sais pas qui, mais on m'a piégé. Quelqu'un a offert du thé à la l'hibiscus empoisonné à Antoine de ma part, et maintenant les gardes sont à ma recherche. Si on m'attrape, je ne pourrais plus repartir. 

- Mais... Mais pourquoi on ferait ça ?! Tu es la seule et unique fille de l'ancien Roi d'Armanria ! 

- Comme si je pouvais le savoir... » 

Lucille se dirigea vers le tas de paille, en pris une bonne quantité et commença à en disperser dans tous le jardin, recouvrant même les précieuses fleurs de son frère. 

« Qu'est-ce que tu fais ?! S'étonna-t-il. 

- J'efface ton existence. On risque de se faire remarquer, mais si on découvre cet endroit, on sera foutu. Ce ne sera plus une personne qu'on cherchera, mais deux, et ta vie sera en danger ! 

- O-On... On est vraiment obligé d'en arriver là ? 

- Oui Noël. Je suis désolé pour ton jardin, je sais que tu y tiens énormément et qu'il renferme beaucoup de souvenirs, mais les gardes vont fouiller absolument tout le palais, et ils finiront bien par atterrir là. Alors dépêche-toi de m'aider, on n'a pas beaucoup de temps. » 

À contrecœur, le garçon prit de la paille et imita sa sœur. Ne pouvant de toute évidence pas supporter ce silence pesant, il reprit : 

« On va bien finir par trouver des preuves pour t'innocenter non ?! Jamais tu ne ferais une telle chose ! 

- Des preuves ? Parce que tu penses qu'on m'accuserait d'une tentative d'assassinat comme ça, sans préparatif ? Comme tu l'as dit, je suis quelqu'un d'importante pour ce royaume, personne ne m'attaquerait sur un coup de tête. Et bon sang ! Je suis la personne la plus suspecte qui soit ! Je disparais tous les jours à 16 heures, j'entretiens une correspondance avec l'Empire de ShÌ alors que les relations sont tendues, je consomme une grande quantité de thé à l'hibiscus qui, je te le rappelle, vient de ce même Empire, et si Antoine meurt, le Grand Conseil n'aura d'autre choix que de me donner la couronne ! Même si on ne m'avait pas accusé, les soupçons se serait portés sur moi ! » 

Après avoir terminé de disperser toute la paille dans le jardin et la maisonnette, Lucille saisit deux capes brunes dans l'armoire ainsi qu'un paquet d'allumettes. Elle se dirigea vers le vieux coffre, l'ouvrit et, sous le regard ébahi de Noël, en sortit une large plaque de fer. 

« Un double fond ? 

- Cathy m'a révélé son existence il y a quelques temps. Dessous, il y a un accès aux égouts de la ville. Elle ne m'a pas dit ce qu'il faisait là, mais il nous permettra de sortir du palais, voire peut-être même de la ville, sans encombre. Elle nous rejoindra plus tard avec l'argent. Passe en premier, je te rattraperai. 

- D'accord, » dit-il en mettant sa cape. 

Lucille retourna dans le jardin, craqua une allumette et la jeta dans la paille avant de rejoindre son frère dans les égouts. 

« Allons-y, » ordonna-t-elle à Noël en tendant une lanterne devant elle. 

Elle commença à s'avancer dans le tunnel faiblement éclairé, mais contrairement ce à quoi elle s'attendait, le garçon ne la suivit pas. Il restait là, son regard faisant des allers-retours entre la trappe et sa sœur. 

« Qu'est-ce que tu fais ? On doit se dépêcher. 

- Je... Je sais que c'est une mauvaise idée mais... Ça me fait vraiment de la peine de devoir laisser tous ces souvenirs brûler... 

- Noël ! On n'a pas le temps pour toutes ces simagrées ! Plus vite on se sera barrée d'ici, plus vite on sera en sécurité ! 

- Je... Tu as raison, » se résigna-t-il. 

Les deux jumeaux reprirent leur route, mais Lucille ne manqua pas de remarquer que son frère lançait régulièrement des coups d'œil inquiet en direction de la trappe. Au bout de quelques minutes, la jeune fille craqua, et, dans un soupir défaitiste, se retourna. 

« Bon, je t'accorde cinq minutes, pas plus, pas moins, et tu ne prends que des photos. 

- D'accord ! » Répondit son Noël, dont le visage s'était soudainement illuminé, avant de repartir en courant. 

 

Lorsque le garçon souleva la trappe, il s'étonna de trouver la pièce encore en parfait état. Il s'attendait à voir les flammes dévorer la vieille bâtisse en bois, ou tout du moins sentir une odeur de cramée, mais rien. Il regarda par la petite fenêtre pour se rendre compte avec effarement que le feu n'avait quasiment pas pris. La paille s'était bien enflammée, comme l'en attestait la fine colonne de fumée qui s'élevait d'un coin du jardin, mais pour une raison qu'il ignorait, cela n'avait pas duré. Peut-être n'y avait-il pas assez de paille. En tout cas, une chose était sûre, la colonne ne tarderait pas à rameuter les gardes, déjà sur le qui-vive d'après les dires de Lucille.  Raison de plus pour se dépêcher. 

Sans perdre une seconde, Noël s'empara d'un sac de toile et y jeta sans ménagement le plus de cadres possibles. Son regard se porta un instant sur le seul livre qui lui appartenait, celui sur le langage des fleurs que sa chère sœur lui avait offert quelques années auparavant. Il eut un pincement au cœur à l'idée de devoir abandonner un objet qu'elle avait mis tant de temps à fabriquer. Après une légère hésitation, il décida de le prendre avec le reste.  

Il retourna au vieux coffre, souleva la trappe et descendit l'échelle pour donner le sac à la jeune fille qui l'attendait en bas. Mais au grand étonnement de cette dernière, il remonta aussitôt. 

« Noël ? Qu'est-ce que tu fais ? 

- Le feu n'a pas pris, je remonte l'allumer. 

- Quoi ?! Mais on n'a pas le temps ! » 

Mais l'adolescent ne l'écouta pas et disparu de son champ de vision.  

 

De retour dans le jardin, la boîte d'allumettes dans la main, le garçon craqua une, deux, trois, quatre allumettes, et cette fois-ci, la paille s'embrasa, mais pas assez rapidement. De l'autre côté de la lourde porte de bois, Noël entendait les gardes marteler et crier. Ils essayaient certainement de défoncer la vieille porte, qui ne tiendrait de toute évidence pas longtemps vu le bruit qu'elle faisait.  

Il s'enferma à toute vitesse dans la cabane, juste au moment où les gardes parvinrent à pénétrer le jardin sous l'emprise des flammes. Et alors que l'adolescent s'apprêtait enfin à rejoindre sa sœur qui devait sans aucun doute mourir d'inquiétude, seule, dans les égouts, une pensée lui traversa l'esprit. 

S'il descendait maintenant, alors que les gardes l'avaient aperçu, ces derniers se douteraient sûrement de l'existence d'un passage secret, et ils ne mettraient pas longtemps avant de le trouver, et leur fuite n'en serait que plus difficile.  

Comme l'avait dit Lucille, les gardes ne cherchaient qu'une seule personne. Si la princesse était capturée, les recherches seraient arrêtées, non ? La jeune fille pourrait donc s'enfuir sans craindre d'être poursuivie... 

« C'est à mon tour de te protéger. » 

Résolu, Noël saisit la plaque de fer qui était restée à côté et referma le double fond. Il sortit tous les vêtements de l'armoire et reboucha le coffre avant de le verrouiller à double tour. 

 

C'est à ce moment-là que la porte céda et que la garde royale déboula dans la petite pièce. Noël leur fit face, les deux mains en l'air, et dit d'une voix qu'il s'efforçât d'éclaircir le plus possible : 

« Je me rends. » 

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