Mon Zèbre - Petit traité de la Douance VI

sadnezz

Posté le: 04 Mai 2019 20:57 Sujet du message:

"Mon drame c'est mon ombre 
Une ombre, une géante voilée 
Qui grimpe et qui pousse le long de mon corps 
Comme du mauvais lierre, comme un mauvais sort 
Mon drame c'est mon ombre 
Elle c'est le diable qui l'a cousue à mes pieds 
Mon drame c'est mon ombre 
Était-ce le diable le jour où je suis né?"*

Mai. 

Cinq mois sans retour avaient laissé Nicolas en latence. Revenir et revoir Saint Front, s'apparentait à revenir voir s'il n'avait pas fait un mauvais rêve. Il le savait. Ce retour calme et paisible que les autres avaient sans doute tant souhaité avait laissé la place aux courses, aux rendez-vous, aux allers et retours perpétuels des nécessités marchandes. A la nécessité impérative de fixer une échéance de nouveau départ. Zèbre n'avait pas permis le repos, entraînant Alphonse et les gens de sa maison dans un enchaînement de rendez-vous tambour battant . Limoges. Uzès. Bordeaux. N'importe où pourvu que ce soit loin d'une réalité qu'il avait tenté d'oublier. Loin d'Archibald, qui sortait lentement mais sûrement de sa vie. Effaçant au profit d'un rigolard de façade et feignant de ne rien voir, la bonhomie sincère du meilleur ami. Loin du clocher fumant encore dans ses terreurs nocturnes, et dont il ne supportait plus la proximité. La cave de Saint front était un tombeau dans lequel Montfort avait tenté de reconstruire. En vain. Périgueux devenait le jour, la crypte de ses souvenirs les plus tendres. Peuplée d'ombres du passé et dépeuplée de perspective d'avenir pour un être tel que lui, zébré de trop de fêlures, qu'il était devenu incapable de soigner. Seule la nuit avait encore parfois ses faveurs, quand la proximité chaleureuse du corps Parisien venait le maintenir contre lui, dernière bouée où sa main crispée se figeait, survie faite Homme. 

Mais même ce soir là, le jour avait perduré. Interminable bouffée délirante. Douleur vrillée au palpitant cachectique. Sonné de ces détails qu'il accueillait, lui, comme de violentes claques. 

Ces gens qui l'appelaient Monseigneur. Ces gens qui lui rapportaient son Père vivant. Ces gens qui baisaient sa soeur, après l'avoir baisé lui. Ces gens aux mots-surins. Ces gens qui n'étaient finalement pas que des gens. Tous ces gens. Trop de gens pour un esprit en surcharge mentale. En décompensation pure. 

Les crises le repoussaient pantelant contre ses propres douleurs, de plus en plus fréquentes, de plus en plus nébuleuses, de plus en plus profondes. Des crises le laissant exsangue des jours durant, apathique ou colérique, boulimique, caustique ou premier degré, tourmenté ou désorienté. Des crises pour exister ou pour s'anéantir, faire de ses talents de la purée de désolation. Alternant les façades les plus recherchées, les sourires les mieux accrochés, les moments les plus joyeux pour brutalement le faire chuter d'un moindre retournement de vent dans les abysses de son état. Inégal. Inconstant. Accidenté. Chassant à la serpe tout et tout le monde. Camisolé en lui-même. Unique représentant de son genre et de son idiome. S'isolant pour ne pas causer et se causer plus de dégâts. Persuadé en secret de devenir à l'image de Dôn, lentement fou à lier. 

Il n'y avait aucun mystère à cet état. Faust Nicolas depuis Saint front avait érigé un cairn de chaque contrariété. Un édifice fragile de pierres, inégales, calcifiées et intestines. Blondin se broyait au fond des mâchoires tenaces d'une lente et insidieuse dépression, comme on l'appellerait plus tard, laissant son entourage désœuvré. Désemparé. Décontenancé. 

La promesse d'être heureux en phare dans l'épaisseur de ses noirceurs, Faust se laissait faucher irrémédiablement à chaque alternement jour-nuit. Comme le noyé au fond d'un puits tendant une main à une corde qu'il sait qu'il n'atteindra jamais. Zèbre. Haut potentiel à la manque. 

L'enfant ramené aux bagages de leur voyage avait pris sa place à Petit Vésone dans la dissimulation générale de l'état du maître des lieux. Soucieux de bien faire, ce dernier lui avait cédé la chambre de Narcisse, comme pour conjurer le sort d'un Jorgen depuis longtemps éloigné. Mince équilibre à cette maisonnée de garçons, Antoine avait pris une place de choix dans la triangulation de ses priorités. Il fallait l'éduquer, il fallait que chacun s'y trouve contenté, et que surtout, surtout l'enfant pousse le plus naturellement possible. Sans être une pièce rapportée. Sans se sentir être le soucis d'un Père qui courrait après le temps perdu et d'un Nicolas avec qui il partageait le lit. Antoine Tabouret se faisait malgré lui l'exorciste du malheur religieux qui avait frappé cette maison là. Et comme si cela ne suffisait pas, il lui faudrait bientôt accueillir le rôle d'aîné. Car chacun faisait ici bas un enfant pour se soigner. Quoi qu'on en dise. Car chacun se cherchait à tâtons, dans le noir de la nuit. Chacun se disant " Et toi.. Toi mon Amour, où es tu dans tout cela? Pardonne. Pardonne-moi." 


Mon drame c'est mon ombre 
Une ombre profonde comme la nuit 
Qui gronde et ronronne 
Mon drame c'est mon ombre 
Une ombre tentaculaire spectaculaire 
Qui crache son encre épaisse et rance 
Sur ce qui restait de mes espérances*

*Clara Luciani 

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