monologue
marie-jeanne
Monologue comédien
Didascalies
Une petite salle de spectacle en région parisienne. On y accède en traversant un parc
Etre + précis sur la situation ?
Un comédien s’apprête à donner un récital de poésie.
Dans les coulisses, il se prépare, se concentre. Le trac, il surveille l’heure. Le moment est venu. Aucun bruit ne lui parvient, pas ce chuchotement familier à l’avant spectacle. Il attend un peu, encore un peu.il s’avance sur la scène. La salle est dans la pénombre.il regarde attentivement.
Vide, chaque fauteuil est vide !
La salle est vide !
Ce que j’ai toujours redouté !
J’attends encore un peu…, un vendredi soir, le temps de rentrer du travail, de diner de ressortir, 20h 30 c’est trop tôt, j’aurais dû indiquer 21h. La prochaine fois, oui, 21h, ce sera bien. J’attends un peu, ils vont arriver.
Ce vide m’oppresse, m’étouffe, la pénombre inscrit dans l’espace un petit désert, il allonge le dénuement de ses sables, tout autour de moi, je suis une ile, une ile de solitude. Encerclé. Solitude, ma glaçante brûlure, détache-toi de moi ! Il me faut me laver de cette angoisse.
Il se secoue comme pour faire tomber des poussières.
Tombez scories, cendres du désert, tombez !
Ils ne viendront plus. Pourquoi ? Comment peuvent-ils délaisser la poésie ?
L’ignorer est ignorer sa propre respiration.
La parole poétique, je la porte partout, je vais au-devant de tous, ne peuvent-ils venir à elle. Même aux enfants tout petits, je l’offre.
Bien sûr, la poésie exige, mais quel don nous fait-elle ! Point de facilité mais quelle plénitude !
L’étourdissement, la distraction compulsive, la fuite en avant dans la quantité qui se donnent à nous dans l’abri clos de nos demeures, nous isolent, nous rigidifient, nous ferment à nous-mêmes.
Des mondes virtuels se créent, et nous nous inventons un univers illusoire.
Aveuglement d’une médiatisation outrancière, abondance des objets de consommation, culte de la réussite et du succès matériel occultent notre nécessité fondamentale d’harmonie entre matière et esprit.
Plaisirs éphémères, du dessus du monde, ne sont pas Joie grave où éclot la vraie légèreté de la joie.
Le vide a enfanté la patience du silence, apaisement.
Quel silence !
Si profond, si présent, qu’il est velours charnel, effleurement de caresse.
Je le touche, je le serre dans mes bras, j’y appuie mon front comme à un front ami.
Je me laisse glisser de ce menu silence au Silence d’’éternité. Son souffle rythme les battements de mon cœur. Je me laisse respirer dans la magie de sa limpidité.
Descendre en moi les degrés de la réflexion, comme ceux d’un escalier qui me mènerait jusqu’à un embarcadère de clarté. M’abandonner au bercement d’un esquif au fil de l’eau…
M’apprendre…
Il s’interroge à nouveau
Pourquoi ai-je tant besoin d’auditeurs pour dire ? L’acte de dire ne se suffit-il pas à lui-même ?
La parole que je transmets chemine d’aller-retour en aller-retour sur les routes infatigables de la terre au ciel.
Je suis son Hérault, son prête voix et vous poètes, n’est-ce pas la poésie qui vous écrit ?
Elle qui insuffle son inspiration à votre langage. Vous dépliez la poésie, la tendez comme une étoffe liquide du monde à l’homme et aux célestes royaumes. Ses trois bornes lui sont clôture qui, vers l’intérieur, ordonne de resserrer la pensée, de s’apprendre dans l’unicité de la chair et de l’esprit.
La poésie est en elle-même, en elle-même, l’ordre de la terre, l’ordre du ciel. Simultanément. Reflet de l’homme où coexistent ces deux ordres. Elle est le tout de l’homme, de Dieu, du monde, du langage. Elle est l’issue unique au drame de la condition humaine.
Réduire les réalités ou ce que nous croyons être telles aux seules substances matérielles nous laisse dans notre clair-obscur. Ignorants de Nous, de la totalité de notre être alors que nous compilons, archivons les strates de nos connaissances dans leur multiplicités. Bien sur les nouvelles technologies nous servent mais nous y asservir de notre propre volonté, quelle sottise !
Il s’interrompt, scrute la salle une fois encore.
Personne ! Pourquoi ? Pourquoi ?
Il reprend sa réflexion.
Les tableaux numériques chassent les tableaux noirs, les livres numériques veulent se substituer aux ouvrages d’imprimerie, les mails remplacent les lettres manuscrites.
Au nom de quoi ? De l’efficacité, de la rapidité, de la modernité ! Quelle absurdité !
J’aime l’encre sur le papier, qui écrit son ombre et sa clarté, Le stylo s’y heurte. Ses fragments métalliques, féconde limaille des mots tracent l’énigme flottante d’une ligne bleue, elle m’emporte. Les mots se font bateaux, Les mots du poète se font bateaux qui tanguent. Écrivent de blancs naufrages sur des eaux froissées, frissonnantes.
Les mots du poète, se font oiseaux, nuages. Ils s’envolent, m’envolent…
Le papier est notre compagnon précieux et millénaire, préservons le !
Ah ! Le crissement de la craie sur le tableau ! Jeunes générations, vous ne connaitrez pas le grincement de dents que l’on redoute mais qu’on attend, car il nous dit que nous étions un petit écolier parfumé d’odeur de salle de classe, d’encre, de cahiers.
Ce vide ! Ce silence !
Il me faut partager, je ne peux pas ne pas partager !
Qui me dit qu’il n’y a pas des oreilles invisibles dans cette salle ?
Le vide !
L’univers fourmille d’êtres ! Alors qui me dit que…
Mais comment saurai si ces auditeurs dans leur absente présence ont apprécié les textes que je dis avec révérence. Aurai-je bien servi les poètes et la Poésie, Leur Inspiratrice-Mère.
Et si je donnais en confiance sans attente de retour ?
Simplement.
Il sort. s’avance, tend une main, l’ouvre, la referme sur une poignée de nuit.
Nuit, dans ma main, palpitent ta chair et ton cœur, nuit poreuse et bleue, ma froide-douce hospitalière.
Il lève la tête vers le ciel. Pieds ancrés dans le sol, bras le long du corps, figurant le plus possible un arbre.
O poètes, jardiniers du ciel, transplanteurs d’étoiles, laboureurs des terres arables du verbe, défricheurs des champs de haute mer et de l’infini, l’écho de vos stances résonne en tout.
Je suis homme- arbre, j’appartiens à l’humaine forêt. La poésie est tout : le sens, la sensibilité, l’intelligence, l’intuition, le terrestre et le céleste. Elle participe au Faire universel, poien disaient les Grecs et en a reçu son nom.
Mes pieds s’enfoncent dans la terre, ramifient mes racines nourricières. Ma frondaison est assoiffée des eaux du ciel. J’attends, je vous attends, poètes dans l’incantation feuillue de mon chant.
Au-dedans du dedans, au plus profond de moi, je puise la sève de la parole, elle irrigue ma voix, humblement j’en veux faire offrande à qui écoute, à qui n’écoute pas, mais entend peut être, sans savoir encore. Je m’essaye à déchiffrer le labyrinthe qui mène à la chambre secrète du Mot.
Mot, musique d’Eternité qui s’ancre aux sources du ciel.
Je dis ce qui ne peut pas ne pas être dit, je dis ce qui ne peut pas ne pas être entendu.
Non, la salle n’est pas vide. Ni ses murs, ni ses portes, ni ses fenêtres ne dessinent de limites. Elle est le dedans et le dehors, l’humaine forêt. Elle est peuplée de l’écoute de la nuit.
Il rentre, prend sa place en scène. Il dit :
A l’invisible, visible,
Aux bourgeons des étoiles
Écartelés
Par une impatiente lumière,
A l’ondoiement bleu de la mer
Comme jacinthes sauvages
Couchées sous le vent,
Aux hommes
A leur quête
A sa réponse
je dédie la poésie
il commence à dire Elévation Baudelaire