Monsieur - Chap 1 à 3

lwsiffer

Toute similitude avec une œuvre déjà existante ne saurait ne pas être non fortuite.

Cher Journal,

 

Il y a longtemps que je n'avais pas écrit dans tes pages. Mais aujourd'hui, il s'est passé quelque chose. Quelque chose de bouleversant.

Cela fait maintenant six ans que je suis au service de Monsieur. Je n'ai pas à me plaindre, il est aimable et respectueux, les gens reconnaissent ses compétences en tant que médecin et apprécient sa sympathie.

Néanmoins, ils ignorent que Monsieur peut se montrer taciturne et qu'il lui arrive souvent de se morfondre, parfois des journées entières, à l'insu de tous. Cela ne m'a pas échappé, étant à ses côtés chaque jour depuis mes vingt-quatre ans. Cependant, je n'ai jamais su quoi faire pour adoucir ces épisodes dépressifs qui semblaient se faire un peu plus nombreux au fil des ans.

Hélas, aujourd'hui, Monsieur semble avoir trouvé solution à son problème. Je ne sais pas quand il a commencé cette nouvelle activité, qui semble-t-il lui apporte un peu de réconfort. Je n'étais sans doute pas censé l'apprendre. Mais il y a quelques heures de cela, j'ai trouvé Monsieur dans la cuisine, un couteau à la main, à cheval sur un corps inerte.

Quand il s'est rendu compte de ma présence, il s'est tourné vers moi, les yeux exorbités par la surprise et l'effroi. Je n'oublierai jamais l'expression de son visage à cet instant, ni sa chemise couverte de sang.

Il s'est jeté sur moi en hurlant et l'espace d'une seconde j'ai craint pour ma vie. Mais il se contenta de me sommer de partir sur le champ et ça aurait sans doute été la meilleure chose à faire. La plus censée du moins.

Il semblait tellement perdu, tellement désemparé. Je n'ai pas bougé. J'ignore comment j'ai pu garder mon calme. Mécaniquement, je me suis dirigé vers le corps. Il fallait le dissimuler. Nous avons donc traîné le malheureux au fond du jardin et jeté dans le bassin, dont les nénuphars en cacheront la vue aux regards indiscrets.

J'ai ensuite invité Monsieur à rentrer se changer et lui ai fait couler un bain, dans lequel il s'est plongé pendant que je nettoyais le sang dans la cuisine. A sa sortie du bain, habillé de sa robe de chambre, il semblait être beaucoup plus serein, presque jovial. Je lui ai servi son dîner près d'un bon feu de cheminée, dans lequel j'avais brûlé ses vêtements souillés. Puis je me suis excusé et me suis retiré dans ma chambre, sous les combles.

Ce n'est qu'une fois seul, entouré d'un silence pesant, que j'ai réalisé ce qu'il venait de se passer. Ce que je venais de faire. Il est quatre heures du matin. J'ai déjà vomi deux fois et je n'arrive pas à dormir.


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Cher Journal,

 

Un peu plus d'un mois s'est écoulé depuis l'incident que j'ai évoqué précédemment. Monsieur et moi-même avons agi comme si de rien n'était, sans jamais parler de ce qui s'était passé, ou même y faire allusion.

Les beaux jours sont revenus. Monsieur s'occupait de ses roses avec plus d'entrain qu'à l'accoutumée. Il était également plus enjoué lorsqu'il conversait avec ses patients. Mais il y a des signes qui ne trompent pas.

La morosité est revenue l'envelopper de son voile morne et Monsieur a perdu en vigueur un peu plus chaque jour. J'ai prié pour que ce nouvel épisode dépressif ne débouche pas sur un nouveau drame, mais mes prières n'ont pas été entendues.

A l'heure de midi, alors que je rentrais des courses pour préparer le déjeuner, j'ai entendu un bruit sourd à l'étage qui m'a immédiatement fait présager le pire. Je me suis précipité dans le cabinet de Monsieur et l'ai trouvé assis dans son fauteuil, l'air accablé, les yeux rivés sur une nouvelle victime gisant sur le sol.

Je suis resté pétrifié de longues minutes avant d'oser lui demander ce qu'il s'était passé. J'espérais qu'il me dise que le pauvre bougre avait fait une attaque, mais il a gardé le silence. C'est en contournant le bureau pour m'approcher que je vis les marques de strangulation et la ceinture qu'il tenait toujours dans sa main. Il avait recommencé.

Comme la dernière fois, je voulus dissimuler le corps dans le bassin, mais à cette heure de la journée, je craignais que quelqu'un puisse nous voir, et Monsieur était tellement abattu qu'il n'aurait pu m'aider à couvrir son méfait. Aussi, j'attrapai les pieds du cadavre et le traînai jusqu'au placard du couloir dans lequel je le cachai tant bien que mal.

Quand je revins dans le cabinet, Monsieur n'avait toujours pas bougé. Une fois encore, l'adrénaline me fit prendre les devants et j'entrepris de remettre la pièce en ordre car l'homme avait dû s'y débattre, renversant tout sur son passage. Lorsque j'eus terminé, je secouai Monsieur pour qu'il retrouve ses esprits. Il devait absolument se reprendre pour assurer ses rendez-vous de l'après-midi.

Avec tout ça, je n'ai pas eu le temps de cuisiner, mais j'avais perdu l'appétit et je pense que Monsieur aussi. Le reste de la journée, je le passai dans l'angoisse que quelqu'un ne découvre le corps caché à l'étage et je ne fus vraiment soulagé que lorsque nous le fîmes disparaître dans l'eau sombre à la nuit tombée.


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Cher Journal,

 

J'ai atteint le point de non-retour. Il se trouve que la dernière victime de Monsieur était, comme je le craignais, l'un de ses patients, et la femme de ce dernier, le sachant en rendez-vous ici, est venue s'enquérir de sa personne. Je l'ai renvoyée en lui disant que nous n'avions pas vu son mari, mais elle n'a eu de cesse de revenir.

Peut-être suis-je un piètre menteur, quoiqu'il en soit, elle devait suspecter quelque chose pour s'être aventurée sur la propriété et alors que je m'occupais des églantines dans la partie est du jardin, elle est allée fouiner du côté du bassin.

Malheureusement pour elle, Monsieur était à proximité, s'occupant des roses, et s'est précipité vers elle lorsqu'il entendit son cri alors qu'elle découvrait la dépouille de son époux, gisant au fond de l'eau. Le temps que j'arrive de ce côté-ci du jardin, il était trop tard et la pauvre femme s'était retrouvée avec un sécateur planté dans le cœur.

Voici le dialogue qui s'en suivit :

« -Ce n'est pas vrai ?! Qu'avez-vous donc fait ?!

-Elle a trouvé le corps ! Je n'avais pas le choix !

-Quelqu'un l'a peut-être entendue ! Il faut s'en débarrasser au plus vite !

-Mettons-la dans le bassin !

-Non ! Ce n'est pas prudent, il faut l'éloigner de la propriété, je vais m'en charger.

-Assez ! Pourquoi me couvres-tu ? Tu aurais dû me dénoncer depuis longtemps !

-C'est trop tard, je suis complice de vos meurtres à présent.

-Ils n'ont pas besoin de le savoir ! Je ne dirai rien, mais il faut m'arrêter !

-Vous voulez finir vos jours en prison ?! Et moi, que vais-je devenir ? Non, ma décision est prise ! Aidez-moi ! »

 

A la suite de cet échange mouvementé, nous transportâmes le corps de la femme dans la maison et l'enveloppâmes dans un drap avant de le disposer dans le coffre de l'automobile. Je partis aussitôt pour le bois de Boulogne non loin de là et, heureusement pour moi, le soleil fut quasiment couché au moment où j'arrivai. Avec une pelle, j'ai creusé une tombe sommaire dans un endroit aussi reculé que possible, avant de rentrer à la demeure, complétement exténué.

En retournant près du bassin, je m'aperçus que la femme avait laissé tomber son sac que, dans la précipitation, nous avions oublié sur place. Le bassin étant déjà bien occupé, je retournai auprès des églantines et profitai d'un des trous creusé un peu plus tôt pour enterrer cet objet compromettant. Me voilà à présent totalement impliqué dans les meurtres de Monsieur.

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