Monsieur - Chap 4 & 5
lwsiffer
Cher Journal.
J'ai peur.
Avec l'arrivée de l'automne et les jours de pluie qui se succèdent, l'humeur de Monsieur est aussi maussade que le temps au dehors. J'ai cru pouvoir le raisonner et me suis présenté devant lui en cette journée de congé pour parler avec franchise de son état. Hélas la situation est pire que je ne le pensais.
En lui faisant part de mes craintes concernant un nouveau passage à l'acte, il m'a avoué qu'il y en avait eu d'autres avant. Avant ce jour fatidique dans la cuisine. Je l'ai supplié d'y mettre un terme mais il m'a affirmé ne pas pouvoir lutter contre ses pulsions et qu'il était encore temps pour moi de fuir cette situation et de le dénoncer.
Pourquoi ne puis-je me résoudre à cette solution ? Je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est qu'il m'est impossible de l'abandonner. Aussi lui ai-je proposé un compromis :
« Puisqu'il vous est impossible d'arrêter, je n'essaierai pas de vous en empêcher. Cependant, je souhaiterais que vous soyez extrêmement prudent et que vous n'agissiez pas inconsciemment en risquant de nous mettre dans l'embarras. Aussi, j'aimerais que vous suiviez ces trois règles.
Ne tuez plus à l'intérieur de la propriété. Nous sommes trop exposés ici et devons préserver la demeure où nous vivons.
Ne choisissez pas vos victimes parmi vos patients. Si les victimes sont reliées à votre personne, vous serez forcément suspecté.
Et enfin… servez-vous de moi. Faites appel à moi pour dissimuler les corps, demandez-moi de faire disparaître les preuves, utilisez-moi comme alibi si par malchance vous étiez arrêté.
Mais n'agissez plus seul. »
Lors de ce petit discours, Monsieur n'a eu de cesse de me fixer avec stupéfaction. Il m'a écouté sans m'interrompre, n'a fait aucune réflexion, n'a émis aucune objection. Mais je ne saurais dire s'il approuvait.
Avant de me retirer, je lui ai demandé s'il était d'accord de me laisser me débarrasser des deux corps du bassin, entreprise épineuse mais à mon avis nécessaire, car cette « cachette » n'est pas suffisamment sûre, comme l'histoire a pu le démontrer.
Ce n'est pas sans mal que j'ai récupérer les restes des cadavres, en grande partie décomposés par l'eau, en pataugeant dans le bassin avec mes bottes en caoutchouc, les manches retroussées au-dessus du coude. Je les ai dispersés dans plusieurs sacs poubelle que j'ai jetés en différents endroits éloignés.
Me voilà tout juste rentré de cette nouvelle escapade morbide. Je n'arrive pas à croire que j'ai moi-même proposé de m'impliquer un peu plus dans cette histoire.
J'ai peur. Peur d'une nouvelle tragédie dont l'arrivée est inéluctable.
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Cher Journal,
Ce qui devait arriver est arrivé. Monsieur s'est attaqué à une nouvelle personne hier soir à la tombée de la nuit. Tel un prédateur tapit dans l'ombre, il a attendu sa proie, caché dans une ruelle déserte.
Je lui suis reconnaissant d'avoir appliqué à la lettre les trois règles que j'avais établies, mais un cruel manque d'organisation a bien failli nous être fatal. En effet, Monsieur était sorti sans me prévenir et s'en est pris à plus fort que lui. Il est arrivé en trombe dans ma chambre, haletant, me sommant de le suivre sans plus attendre. Nous avons sorti l'automobile et en chemin, il me conta de façon décousue ce qu'il s'était passé.
Il s'était approché d'un homme qui semblait sous l'emprise de l'alcool et lui avait passé un foulard autour du cou dans le but de l'étrangler, mais sous le coup de l'adrénaline, le bonhomme s'était tant débattu qu'il avait frappé Monsieur dans les côtes et au visage, le forçant à lâcher prise. Alors qu'il tentait de s'enfuir, Monsieur s'est lancé à sa poursuite et, attrapant au passage une brique sur un tas de gravats, il l'assomma et l'acheva à même le sol.
Lorsque nous arrivâmes, Monsieur était encore fébrile et se précipita dehors pour s'assurer que le cadavre n'avait pas bougé. Dans la panique, il l'avait grossièrement dissimulé sous des ordures, mais heureusement personne ne semblait l'avoir découvert.
Lorsqu'il me montra son œuvre, je ne pus réprimer un haut-le-cœur et vomit immédiatement tout mon repas, me cramponnant au mur. L'infortuné n'avait plus de visage. Monsieur s'était tellement acharné avec sa brique qu'il avait fait explosé la boîte crânienne, laissant apparaître une cervelle elle aussi amochée.
Après un rapide coup d'œil aux alentours, nous avons embarqué le corps aussi rapidement que possible, sans oublier la brique, et avons décampé sans plus attendre pour nous débarrasser de notre cargaison au bois de Boulogne. La pelle restée dans le coffre depuis la dernière fois me fut très utile.
Sur le chemin du retour, j'ai réfléchi intensément à tout ça et il m‘est apparu la nécessité de mettre au point un plan bien défini pour éviter ce genre de mésaventure. Les trois règles ne suffisent pas. Nous devons être mieux préparés pour éviter tout risque d'être compromis. J'y ai réfléchi toute la nuit et le jour pointe déjà à l'horizon. Cette nuit encore, je n'aurai pas fermé l'œil.