Monsieur - Chap 6 & Fin

lwsiffer

Toute similitude avec une œuvre déjà existante ne saurait ne pas être non fortuite.

Cher Journal,

Déjà huit mois ont passé, huit mois pendant lesquels nous avons gagné en expérience. Les passages à l'acte de Monsieur, auparavant si anarchiques, sont devenus un exercice régulier auquel nous sommes rompus, une véritable routine intelligemment mise au point et opérée consciencieusement, comme s'il s'agissait d'une tâche tout à fait naturelle.

Lorsque le besoin se fait trop pressant, Monsieur me demande simplement de préparer l'automobile pour le soir. C'est là une sorte de code qui implique une sortie nocturne précédée de quelques préparatifs nécessaires : deux lampes de poches dans la boîte à gants, des vêtements de rechange sur la banquette arrière, et dans le coffre, une pelle accompagnée d'une bâche.

Nous attendons que le soleil soit couché avant de nous mettre en quête d'une proie dans les rues de la ville. Lorsque Monsieur trouve une personne à son goût, nous nous assurons qu'elle soit suffisamment isolée avant que Monsieur ne mette pied à terre. Moi je reste au volant, moteur allumé, prêt à barrer la route si la victime s'enfuyait, prêt à démarrer si nous devions nous enfuir.

Il semble que Monsieur se soit trouvé une prédilection pour la strangulation. Son outil préféré reste la ceinture de cuir mais il se permet parfois la fantaisie de varier les plaisirs avec un foulard, une cravate et même une fois, une corde à piano. Je ne suis jamais présent lorsqu'il ôte la vie à ses victimes, mais bien avant cela, je peux voir la délectation sur son visage, comme s'il jouissait déjà de son exécution. Au début cela m'horrifiait, mais maintenant j'y suis habitué. L'Homme s'habitue à tout.

Dès qu'il a terminé, il me fait signe de le rejoindre pour l'aider à déplacer le corps que nous installons confortablement dans le coffre. Monsieur ne choisit que des hommes, ce qui est peut-être mieux, même si la charge de travail peut s'en trouver renforcée par le poids du cadavre à transporter et la taille du trou à creuser. Nous avons décidé de changer de lieu d'inhumation et avons fait du bois de Meudon notre cimetière. Bien entendu c'est moi qui m'occupe des basses besognes.

Ce que Monsieur ignore, c'est que j'ai pris l'habitude de conserver un objet personnel de la victime, briquet, mouchoir, pipe, boutons de manchette… Une sorte de trophée, ou plutôt un souvenir, que j'enterre sous les églantines du jardin, enfreignant ainsi l'une de mes propres règles. Je ne sais pas pourquoi j'ai commencé à faire ça. Parfois, je me fais peur.

Ces crimes atroces que j'avais du mal à supporter, je les ai couverts, je les ai perfectionnés, élevés au rang de discipline, j'y prends part d'une certaine façon et surtout, j'ai fini par y prendre goût. Tout ceci est devenu une seconde nature, pour moi comme pour lui. La mort ne nous touche plus. Monsieur qui auparavant s'accablait devant le fait accompli, ne perd plus son sang-froid. Il est toujours de fort bonne humeur les jours suivants et les visiteurs l'en félicitent.

Les voisins, les patients, ces gens que l'on croise dans la rue, s'ils savaient… S'ils savaient que l'homme qu'ils saluent chaleureusement, l'homme qui les soigne, cet homme qui aide l'aveugle, qui secoure l'enfant, n'est en réalité qu'un tueur chronique guidé par d'obscures pulsions inhérentes à sa personnalité mélancolique. Mais pourrons-nous encore continuer longtemps cette mascarade ?


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Cher Journal,

 

Tout est terminé. Il aurait été insensé de croire que tout cela aurait pu durer éternellement et pourtant, nous sommes passés au travers des mailles du filet pendant près de deux ans. Nos agissements avaient fatalement fini par attirer l'attention des forces de police, néanmoins nous étions plus vigilants, nous avions espacé nos sorties nocturnes et diversifié nos lieux de prise et de dépose, tellement habitués qu'il nous était inutile de parler pour savoir ce que nous avions à faire.

Pourtant, il y a deux nuits de cela, alors que nous approchions d'un de nos « cimetières », un barrage de police s'est dressé devant nous, nous aveuglant de ses phares. Paniqué, j'ai brusquement fait demi-tour et enfoncé l'accélérateur. Était-ce là ma première erreur ?

En arrivant à la demeure, j'ai immédiatement cherché un moyen de camoufler le corps. Cette fois, nous ne pouvions prendre le risque de nous en débarrasser à l'extérieur, si jamais la police nous avait suivis. Nous l'avons donc caché dans une valise de Monsieur, que nous avons délibérément laissé dans un coin de sa chambre, pour éviter qu'elle n'attire l'attention en étant trop dissimulée.

Trop tendus pour dormir, nous avons passé la nuit à scruter la rue par les fenêtres, les sens en alerte, sursautant au moindre bruit inhabituel. Lorsque le jour s'est levé, nous avons enfin pu prendre un peu de repos, mais se poser toujours la question du cadavre que nous hébergions. Avec l'accord de Monsieur, je décidai de me débarrasser de la valise avec ce qu'elle contenait, et quoi de mieux pour la faire passer inaperçue que de l'embarquer pour un voyage sans retour dans un train longue distance.

Je pris donc un taxi en direction de la gare et consultait le tableau des destinations étrangères. L'Italie. C'était parfait. Je me suis approché du train en adoptant une attitude que je voulais la plus naturelle possible et déposai mon fardeau parmi les autres bagages. Puis je rentrai sans encombre à la maison.

Alors pourquoi ? Cette visite à la gare a-t-elle été ma deuxième erreur ? Les voitures de police bouchent le portail de la demeure et les voilà qui approchent d'un pas décidé.

Monsieur a refusé de fuir. Je l'ai pourtant supplié ! Mais il a pris mon visage dans ses mains sans rien dire et a posé ses lèvres sur les miennes, comme pour me faire taire. C'est là que j'ai compris. J'ai compris pourquoi j'étais resté. Et pourquoi il ne me dénoncerait pas et porterait seul la faute de toutes ces années.

Je m'en veux terriblement. Je ne sais comment ils sont remontés jusqu'à nous mais je me sens responsable. Je n'aurai pas dû céder à l'affolement devant le barrage routier. Ou peut-être aurais-je dû me débarrasser du corps autrement ? Maintenant, je me dis qu'il aurait été si simple de l'enterrer dans le jardin, pour une fois. Mais il est trop tard pour les regrets.

On frappe à la porte. J'écris ces dernières lignes avant de cacher ce journal sous le plancher. Je prie pour qu'ils ne le trouvent pas. Nous allons être arrêtés, mais il fallait s'y attendre…

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