Monticule d'horreur conique
bis
Les pyramides ensoleillées ruissellent de noirceur au fond. Dans la pâleur sans couleur se distinguent d’infâmes cafards puis quelques idiomes macabres sur les murs. Sur les arcanes d’une éternité de mouvements indistincts, je me tourne et me retourne dans l’infini sans retour. Embaumé depuis le trépas, la mort est la monnaie fiduciaire des malheureux. On leur a promis du soulagement sur une lettre au départ, avec un coulis d’épreuves et de cauchemars, puis l’enfer et mille déboires. Mais au bout d’un moment du soulagement…
Saigne, saigne m’a-t-on dit. Il y a un instant où le liquide coagulera. Pratiquement vidé, j’ai cru encore à ce que l’on me disait avec ardeur et croyance aveugle : que le tout guérirait bien vite, que je m’en sortirais. Mais finalement, la mort m’a susurré quelques mots doux. Depuis leur cécité de bêtes sans fond, le trépas m’a caressé de haut en bas puis de bas en haut. Et jalousement, de ses yeux sombres et démentiels, il m’a arraché à ma destinée d’être sans avenir. Sur mon dos un grand frisson a jailli et de mes veines plus rien ne sortait alors qu’un sang d’amertume et de colère pour ces mensonges enfiévrés, ces illusions fracassantes avec lesquelles on m’avait bercé.
Même ce que l’on m’avait promis n’était qu’une plaisanterie depuis le début. Les chimères alimentent les hommes et gavent d’espoirs les miséreux. J’ai bouffé aux quatre coins de mon existence les aspirations religieuses de mes pairs en croyant que je vivrais par terre mais qu’au moins je ne serais pas ravagé par les vers. Fausseté macabre, mensonge des naïfs et prières futiles.
L’embaumement terminé, je me suis retrouvé hurlant dans un sarcophage froid, dans l’insoutenable déraison d’une pénombre corrompue. Ni Anubis, ni Ra, juste monseigneur ver et les lords cafards. Frémissant tout à l’intérieur de moi, gobant dans leurs orifices ce qu’il me restait de lambeaux de peaux, de lambeaux d’espoir.
Même les larmes, ils les ont bues. Même les larmes…
J’ai prié longtemps, des années et d’interminables millénaires. Suppliant tour à tour les dieux et les insectes de me laisser partir de ce grand enfer conique. Mais rien n’y fit.
J’en ai conclu que dans cette diabolique blague écrite par un dieu fou, je devais moi-même me mettre à chercher sur mon plafond sans couleur la raison de mes tortures pléthoriques.
Et c’est à ce moment qu’une lumière transperça mon éternel gouffre de souffrances et de bruits de succion de bêtes à six pattes grouillantes et malfaisantes. Un être comme moi avant mais en blanc m’apparut, avec à ses côtés des êtres comme moi avant mais bruns et noirs.
Dès cet instant, j’ai senti sur le devant de mon crâne, entre deux trous béants de désespoir crasse, une colère presque indicible vu son intensité. Imbroglio cadavérique d’insectes mangeurs de pourriture et d’irascibilité millénaire, je me suis dressé pour la première fois depuis mon embaumement.
Et je les ai tous tués.
De mes mains j’ai brisé, arraché, éventré, égorgé, psalmodié des insanités dans la langue vernaculaire et maudite des morts. Dans ce tourbillon de colère, dans ce maelstrom de sang en suspension entre mes dents ou l’air, entre mes mains et les murs, j’ai senti bouillonner dans mes tréfonds l’érotique passion d’une nuit d’amour sans l’avoir fait. Les bandes blanches autrefois qui me gênaient retenaient à présent mon corps en putréfaction, me permettant une entière liberté de mouvement.
J’étais debout encore. J’étais vivant cette fois. Et le sang me faisait rire à gorge déployée. Et la douceur vint dans le creux de mon âme se lover.
J’avais enfin compris finalement… que les anciens ne mentaient pas, il y avait bien du soulagement au bout de la frénétique douleur aux allures d’éternelle sentence… et elle se retrouvait dans le vermeil liquide des visiteurs et mon rire en écho lézardant les murs froids.
J’attends déjà les prochaines proies...