Mort d'une vocation

billie-baker

Chronique d'un chômage annoncé...
Fut un temps, dans mon esprit, il côtoyait le sublime. Journaliste : une passion, une vocation même. Je m'imaginais en Rouletabille, reporter infatigable, pourfendeur de l'humanité. Mes articles allaient, au bas mot, révolutionner le métier. Je serais de tous les conflits, tutoierais les diplomates, sauverais la veuve et consolerais l'orphelin. L'idée d'appartenir à un clan me faisait vibrer. Mes confrères allaient devenir ma vraie famille. À nous les reportages au bout du monde et les rédactions enfumées.


Mes premiers pas sur le terrain furent en tout point conformes à mes espérances. Grisé par l'actualité, je passais d'un sujet à un autre, enchaînais les interviews, empilais les articles. Les années filaient. Lors des quelques soirées d'ordre privé qu'il m'était donné de faire, j'éprouvais toujours ce même vertige au moment de dévoiler ma profession. « Journaliste ». Je lâchais l'information à mi-voix, dans un hochement de tête, comme s'il s'agissait d'une confidence de haute volée. Mes interlocuteurs se révélaient tantôt admiratifs, tantôt critiques. Je ne prêtais évidemment du crédit qu'à la première catégorie, refoulant l'autre. Je me sentais uni aux confrères par le lien des justes, ceux qui oeuvrent pour la vérité.


Insidieusement, un doute a dû s'installer, une lassitude peut-être. Je me suis réveillé à l'approche de la cinquantaine, aigri. Le stylo en travers de la gorge et l'angoisse de la page blanche ravivée. Mes confrères n'avaient rien d'une famille. J'avais beau passer en revue les différentes rédactions traversées. Rien ne nécessitait humainement que l'on s'y attarde. J'avais bien sûr une tendresse particulière pour mon premier employeur, celui qui m'avait encouragé et mis le pied à l'étrier. Les autres s'étaient montrés bien trop exigeants au vue du peu de reconnaissance accordée. Je leur avais pourtant sacrifié mes années de jeunesse, un mariage et combien de week-ends, combien de vacances, combien de soirées. À 36 ans, j'avais eu une première alerte cardiaque. Celle qui est devenue mon ex-femme y avait décelé un avertissement, une raison de lever le pied. Il fallut attendre la seconde alerte, à 42 ans, pour l'écouter.


Vient un moment je crois où l'information vous emmerde. Le prix de l'essence fluctue, mais vous n'avez pas de bagnoles. La grève des aiguilleurs du ciel bloque tous les avions sur le tarmac, mais vos congés dorment sur un compte épargne temps depuis des années. Madame Michu se demande où va le monde. Vous aussi. Dans un sursaut d'espoir, vous luttez. Pour la noblesse de la plume, pour Albert Londres, pour ces années passées à étudier l'histoire de la presse sur les bancs de l'école, pour cette petite carte de plastique au bandeau tricolore qui a longtemps fait votre fierté. Mais force est de constater que le cœur n'y est plus. Vous avez perdu de votre superbe. Vous enviez les libraires qui déambulent parmi les mots sans avoir à suivre les cours de la Bourse, vous jalousez les postiers qui apportent dans les chaumières un tout autre genre de nouvelles (« Bons baisers de Chypre », ça véhicule tout de même plus de plaisir que « Guérilla urbaine à Grenoble : Sarkozy nomme un nouveau préfet »).


Le dimanche, vous souhaiteriez presque que le tourbillon de l'Information s'arrête. Le temps d'un break dominical, une respiration dans la semaine. Au lieu de cela, vous vous retrouvez à couvrir votre trentième fête des mères. En mal d'inspiration, vous reprenez un jeu de mot éculé et assommez votre lecteur. Il ne vous en tient pas rigueur. L'image qu'il a de vous est déjà suffisamment écornée. Vous n'êtes qu'un vendu, un fourbe, un colporteur de rumeurs.

Le temps d'une interview, l'apparent bonheur des autres vous saute à la gueule.  Cet auto-entrepreneur a la réussite tentante. Et cette réalisatrice, elle a du chien. Elle a suivi ses rêves. Où sont passés les vôtres ? À croire qu'ils ne correspondaient pas à l'image que vous vous en étiez faite. Votre vocation a pris un mauvais tour. Vous n'êtes rien qu'un petit porteur de micro.

  • On se lasse de beaucoup de choses futiles quand la cinquantaine est là ! Vous allez devoir imaginer des rêves plus grands !
    A cinquante balais, Il me semble que même quand on tombe assez bas, on peut encore se relever ! Enfin, j'espère ! Pour vous votre plume est une béquille sûre ! ;))

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Loin couleur

    julia-rolin

    • Merci! J'accueille votre commentaire avec soulagement... C'est la première fois (en dehors de mon travail) que je soumets l'un de mes textes à d'autres yeux :) Un vrai challenge. C'est assez grisant. Pour être honnête, j'ai mêlé la fiction au réel. J'etais bien journaliste, le stylo m'est bien resté en travers de la gorge, mais je suis une femme, trentenaire. Je vais tout de même devoir imaginer des rêves plus grands. Avec un peu plus de temps devant moi peut-être... Encore merci pour vos mots :))

      · Il y a plus de 9 ans ·
      P1010815

      billie-baker

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