Mortelle routine

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Ça doit être le temps.

Ça doit être la vie.

 

Je sens que l'on s'éloigne, tout doucement, au ralenti. Ils sont loin, les débuts explosifs et passionnés, il est loin, l'éclat lumineux d'une relation qui débute. Les papillons se sont épuisés dans nos ventres, je le crains. Leurs ailes ne volètent plus autant, s'engluent, se collent et perdent leurs couleurs. Oui, ça doit être ça. Le temps. La vie.

 

La routine monotone du quotidien est en train de nous tuer, mon Amour.

Je ne sais pas si toi, tu t'en rends compte. Mais moi, je le vois, jours après jours, semaines après semaines.

Les mots se font rares, on ne s'effleure plus, parfois on sourit, mais c'est devenu rare. Tu rentres du travail, tu allumes la télévision. Et moi je n'ai qu'une envie, la détruire, oui, trouver une masse et la réduire en miettes. J'essaie de regarder un peu cet écran qui nous sépare, et puis je m'isole. Je vais lire, dessiner, écrire… ou m'allonger en attendant que file le temps. Et toi tu restes captivé par l'écran, ou tu joues à la console, et nos corps qui se repoussent, ceux qui avant s'attiraient comme des aimants…

 

Je me sens triste de ce constat. Je me demande comment on finira. Ou, disons, comment ça va continuer, déjà.

Est-ce que cette routine va continuer de séparer notre unité, est-ce qu'elle va nous laisser aigris, au mieux des colocataires ?

 

Ça doit être le temps.

Ça doit être la vie.


C'est sûrement la même chose pour nombre d'autres couples, me dis-je pour me rassurer. J'espère, secrètement, que d'autres ressentent ce vide. Où est passé le manque d'autrefois ? Où sont les papillons chatoyants qui me chatouillaient en dedans ?

 

Nos baisers sont secs, comme ceux des vielles personnes. Je ne distingue plus de folie amoureuse, de folie, tout court. Nous avons nos habitudes, toi c'est la télévision, la console de jeu, moi… moi j'en sais rien, en fait. Je ne sais plus où j'en suis, d'entre mes groupes et mes rendez-vous chez le psychiatre.

Je suis toujours en quête d'un sens à ma vie. Tu étais ce sens, auparavant. Mais c'était nocif, pathologique, c'était de la dépendance affective pure et simple. Et comme tu le disais : tu dois vivre pour toi, pas pour moi, cesse de tourner autour de mon nombril.

Alors j'ai commencé à me détacher. A prendre de la distance. Je te laisse seul autant que tu me laisses seule. Et ça me rend tellement triste, nos deux corps séparés mais dans le même appartement. Doucement, j'ai appris à vivre sans toi, à vivre dans ma bulle, doucement, je me suis éloignée... et peut-être qu'un jour je n'en reviendrai pas. Je serai partie trop loin. Qui sait.

 

Je me couche et me lève avant toi. On se dit des « je t'aime » qui à force ne veulent plus rien dire. C'est surtout moi qui le dis. Pour me rassurer, pour m'accrocher à quelque chose, désespérément. Tous les jours : je t'aime.

A force, oui, à force, peut-être que ça ne veut plus rien dire.

 

Tu es rentré du travail. Je t'ai tenu compagnie dix minutes. Et puis, je suis montée à l'étage où désormais j'écris.

J'écris sur notre relation qui s'évapore, qui s'amenuise. J'écris mon chagrin, ma peine, ma douleur.


J'ai toujours été quelqu'un de passionné, j'ai toujours essayé de casser cette routine, te surprendre, pour que la flamme continue de rougir dans le noir. Mais voilà je suis désormais à court d'idées. Je ne sais plus faire. Alors le temps s'écoule et nous nous transformons en étrangers.

 

Je me demande si l'on se retrouvera, un jour.


J'aimerais tellement te dire : aller viens, on se barre, on s'en va, on s'en fiche, on laisse tout tomber et on se tire. J'aimerais tellement que cela soit possible... Mais il n'en sera rien. Tu continueras de fixer la télévision, je continuerai de me poser des questions, entre mes humeurs qui vacillent et crépitent.


Je ne parle pas même de mes crises, que ce soit de nerfs, de larmes, mes crises maniaques ou dépressives, tu sais, ces crises qui nous fragilisent davantage à chaque fois. Parce que je suis comme ça, parce que j'ai ces troubles psychiques, dont un qui ne s'éteindra jamais, dont un pour lequel je serai toujours sous traitement et qui continuera de nous atrophier. Ça nous rajoute un risque, ma maladie. Quand j'explose ou implose, quand surgissent les mots cruels et les idées noires, alors je nous sens nous fendre en deux, je sens les failles, je sens que ça nous fragilise douloureusement, et je me demande alors : alors-nous tenir…. Vas-tu tenir ?

 

Tu m'as dis que si tu avais su… tu ne serais pas sorti avec moi. Tu n'imaginais pas cela si dur, si terrible, si destructeur. Si tu avais su, on ne serait pas là, sous le même toit, avec les années qui ont passé et les failles qui deviennent béantes, gorgées d'un sang épais et noir comme du pétrole.

 

La routine… je me demande comment font les autres, encore. S'il y a une solution à la monotonie. Je suis en manque d'idées, tu vois.

Je crois que je m'éloigne lentement, très lentement de tout… je m'isole, de toi. Nos deux corps, là, sous le même toit, ces corps qui ne savent plus se retrouver. Si tu savais comme je suis triste.


Tu sais, même quand je suis à tes côtés.... tu sais, souvent, très souvent, trop souvent, c'est comme ça : tu as beau être là, tu me manques... quand même.


Alors oui, je crois que je peux le dire, je suis triste. Infiniment triste.


Comme au seuil d'une histoire d'amour.


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