Mouroir des usagés....

Jean Claude Blanc

évocation de nos vieux, retirés dans hospices, seuls, oubliés; à eux ce témoignage d'humanité

                           Mouroir, des usagés…

La vieille chouette, chausse ses lunettes

Lorgne la rue, de sa fenêtre

Mais plus un chat, y’a belle lurette

A fait le deuil de ses terres

N’en est plus même, dignitaire

Le 3ème âge, bien dépassé

Dans un mouroir, on l’a collée

Maison de retraite, foyer-logement

Vous passe les ronflants slogans                         

Dans sa chambrette, sont entassés

Les souvenirs d’anniversaires

Du temps où l’on se souciait

De plaire en courant les bruyères

Dans son fauteuil, elle rumine

Pique du nez, puis se ranime

Quand en patois, une voisine

Vient lui tenir compagnie

« Tenez, Mémé, c’est vos cachets

Oubliez pas, les avaler »

Sur un plateau, repas servi

Mais tellement seule, plus d’appétit

Quand la carcasse, se déglingue

On se maudit, à devenir dingue

Question cerveau n’est pas en panne

Y’a que ses jambes, qu’ont besoin de cannes

De congénères, n’y en a plus

Car la plupart, ont disparu

Elle est vicieuse, la nature

Nous change lentement, en pourriture

N’a que ses larmes, pour pleurer

Se sent de trop, sur cette Terre

Bien obligée, de tout bouffer

Pour faire plaisir, aux infirmières

Pour la distraire, y’a la télé

Les bavardages, ça l’étourdit

Pas au courant d’actualités

C’est dans son crâne, qu’elle survie

Ainsi finit, comme elle commence

Histoire passée, comme une romance

Tout doucement, perdons conscience

Que l’on, « retombe en enfance »

Mamie ridée, riche d’idées

On vient la voir pour les étrennes

S’empresse d’ouvrir son gousset

Pour espérer, qu’encore on l’aime

Passe ses journées, à rêvasser

A regarder, le temps qu’il fait

Au bout du compte, satisfaite

Qu’elle a mérité la retraite

Son avenir, loin derrière

Gagné la joie d’être grand-mère

Photos des gosses, elle en est fière

Ressemble à elle, petite dernière

Courbaturée, souffre-douleur

Flambeau cédé aux successeurs

Sa peau flétrie, part en lambeaux

Pas Elzheimer, déjà bien beau

Inquiète ses nuits, de calculer

Que va-t-on faire de sa bicoque

Maison de pierres, où elle est née

Cernée d’orties, les jeunes s’en moquent

Ce monde moderne, lui fait peur

A perdu sens des valeurs

Préfère crever, que d’assister

Au défilé des héritiers

On a pris soin de la garer

Comme une bagnole à protéger

Des vieux, on ne sait plus qu’en faire

On les regrette, qu’au cimetière

Fête de Noël à l’hospice

On entonne « le temps des cerises »

On améliore le menu

N’en profitent pas, les vieux perdus

Comme à l’Auberge de Peyrebeille

Lèvent les broches, ses clients

Pension pas chère, pour vieux et vieilles

Désemplit pas, d’agonisants

Ma centenaire, vive d’esprit

Bientôt va souffler ses bougies

Il faut faire vite, de la fêter

D’un jour à l’autre, peut nous quitter

Chacun son tour, au tourniquet

Ce qui nous guette, nul ne le sait  JC Blanc janvier 2014 (hommage à mes vieux d’Auvergne)

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