Munich – variations en ü
Totem De La Nuit Belle
Munich – variations en ü
"Je sais pourquoi là-bas le volcan s'est rouvert... - C'est qu'hier tu l'avais touché d'un pied agile, - Et de cendres soudain l'horizon s'est couvert."
Les Chimères, Gérard de Nerval
"Munich, un volcan s'éveille, un être s'éteint"
statut Facebook – 23 avril 2010
Ca comme ça, ça ici, là O.K, bon j'ai rien oublié… Attends voir. En vérité ce n'est pas si dur de s'envoler vers une destination étrangère. Quand je n'étais pas encore un fantôme d'aéroport, je me tracassais "mésaise". J'ai ressenti ce truc; je m'en sortirais jamais putain… Et maman qui n'est pas là pour me prendre par la main. Une to do list à la Prévert, des post-it en rang par vingt, des horaires appris par cœur, oubliés par négligence. En fait, un passeport en règle et du temps devant soi suffisent. Décollage imminent. Souvent ce qui est nouveau à nos yeux nous inquiète ou semble nous dépasser. Cerveau reptilien oblige, l'imprévu, le changement, l'étranger provoquent des stimuli de crainte car nous manquons de repères. Je me remémore les casinos de Vegas sans horloges ni signalétique… Dédales, détale. J'apparente les aéroports à des vortex. Il y a une profusion infinie d'informations, claires ou codées, pratiques ou marketées, calfeutrées dans de grands corridors de courants d'air. J'apparente les aéroports à des aspirateurs. Hoooooooooover. Je me dis tout ça avec une voix de savant allemand monocorde, ponctuant pour rire de petits ya-ya.
Je m'amuse des autres transito-passagers qui tournent la tête dans toutes les directions hormis la bonne; leur stress les stressent. Je me lasse des girouettes et commence à siffler un air caribéen en me demandant si marijuana et margarita sont des homéotéleutes, si la bière tiède à grand renfort de marketing pourrait trouver son public, je me surnomme le Prince du cool. La voix melliflue d'un haut parleur ex-machina balance son annonce qu'on pourrait résumer à tout sac laissé sans surveillance est une hypothétique bombe en puissance. Charmant. Qu'en est-il des ceintures d'explosifs que les veuves noires surveillent de près ? Le haut-parleur ne me répond pas. Le panneau d'affichage s'emballe, j'humidifie mes lentilles à grands coups de nictations pour saisir l'info. Aïe, Kaï. Je suis à la bourre pour embarquer, va falloir courir, le prince du cool est en stress et c'est bien fait pour sa gueule.
Mains qui tremblent. Décollage. Fiou. Trou noir sans trou d'air. München. Quand même. Grüss Got (Gloire à dieu) ! Enfin il paraît parce que je ne l'ai pas entendu une seule fois du séjour. Préférez Servus et ce petit côté romantique qui fleure bon le péplum. Le néoclassicisme inspiré de l'Antiquité est d'ailleurs un des styles d'architecture de la ville. Le héraut local du genre répond au doux nom de Léo Von Klenze. On lui doit la Königsplatz (Athènes de l'Isar, grands dieux !) voulue par Ludwig premier du nom. La place est encerclée de la Glyptothèque (1830 mais ionique), la Collection d'antiquités (1848 mais corinthien) et les hiératiques Propylées (encore un coup de Léo) calqués sur le portique de l'Acropole. On a échappé au Pirée. A quelques coudées de l'Isar. Vous avez dit Isar? Le fleuve fils d'un capricieux torrent des Alpes coupe la ville en deux. Il traverse pour mieux le rafraîchir l'Englisher Garten, un des plus grands havres de verdure au monde. Promenade délicieuse où les originalités abondent. Le Monopteros y trône en butte. Kiosque fixette, c'est un point de repère bien pratique. Plus loin la pagode chinoise abrite de ses 25 mètres un des célèbres biergarten de la ville – "ein helles bitte" – pouvant accueillir 7000 assoiffés assis, imaginez le tableau.
Les vertes pelouses molletonnent les amours d'avril. Humus, tendresse, fécondation – triptyque libidineux qui me flashe par la tête en voyant les étudiants. Surtout les étudiantes. Je me dis que c'est dans un moment nutella comme celui-ci que l'expression "Il fait bon vivre" a dû être inventée. Je récapitule les ingrédients : calme alentour, impression de sérénité, température idéale, pas de vent, brin de soleil, argent en poche, ventre plein, aucun empressement. A terme avec une pseudo mise en situation dotée d'une synesthésie de bon aloi, je pourrai recréer le même feeling. Pas trop longtemps non plus… Il en résulte un petit ennui affluent que je sens pouvoir grossir en un emmerdement fleuve. Une telle sensation de sécurité dans cette ville… J'en viens à me demander si les flics munichois ne sont pas surpayés. Je pense même que le gonze en terrasse qui me quémande 20 cents est un acteur. Ses yeux de teckel constipé le trahissent. Vite faut que ça crépite. Je presse le pas, volume du MP3 au maximum, je me mets en alerte sur tout ce qui m'entoure, retenant le nom des choses et les visages que je croise. Je me répète que je n'ai plus le temps, qu'il faut agir. Ca va mieux. Mon stress me calme. Les surfeurs teutons d'une déferlante naturelle de l'Isar aussi. Du haut du pont, c'est un récital urbain de l'Endless Summer auquel on assiste. Y'a des dimanches plus ennuyeux me dis-je en cherchant Surfin' Safari des Beach Boys dans mon lecteur.
Haus der Kunst ; monumental, édifié en 1937. Hitler y conspuait les dégénérés aux pinceaux et toute l’avant-garde fantasque. Aryen ou rien. Glop, pas glop. Sous les voûtes qui m'obombrent tournent figées des swastikas d'époque, seuls vestiges des partouzes nazies qu'abritait le palais. On respire moins l'excitation du capiton et le secret d'alcôve.
Aujourd'hui, c'est un musée – la Maison de l’Art – dédié aux civilisations et mouvements picturaux du monde entier. Raté Dolphie. Je m’engage cône à la main dans Marienplatz, le cœur piéton de la ville où clinque le marché de Noël quand décembre s'enneige. La gigantesque et gothique Frauenkirche me toise austère. Plus tard, je découvre ébahi les toiles sublimes de Asamkirche, l’église baroque aux sept confessionnaux finement sculptés dans le style rococo. Les anges ont des bouilles de poupons ou des têtes de mort. Je me dis que David la Chapelle aurait été ringard à l’époque.
Residenz enfin. Terrasse. Non loin des anciens jardins royaux de Hofgarten, Résidenz fut le home-sweet-home des ducs de Bavière de 1508 à 1918. Ca brasse, ça rit, ça joue ; l’apaisement munichois dans toute sa splendeur. Contrairement à l’aller, je n’ai aucun mal à respirer, j’attends Claire qui me surnomme M que je surnomme U. Je dirai quelque jour sa naissance latente… Je culpabilise de me sentir bien. Replongeant plus de 80 ans en arrière, je repense au putsch de la Brasserie (Bürgerbräukeller) et à la marche qui s’en est suivie avec les historiques du national-socialisme ; Hitler et Ludendorff en tête de cortège et les nervis Göring, Röhm, Himmler qui leur emboîtaient le pas. Innamoramento nazi**. Face à moi les arcades de la Feldherrnhalle où les milices gammées affrontèrent la police. Il y eut le 9 novembre 1923 vingt morts et Adolphe se retrouva en geôle, le temps de dicter Mein Kampf à Hess. Quatorze mois de taule qui n’auront pas suffi à enrayer le plus grand traumatisme mondial du siècle où nous sommes nés. « Quatre années et demie de lutte contre les mensonges, la stupidité et la lâcheté », c’était la baseline chic et choc que Adolphe donnait à « son combat ». Tous les ans jusqu’à sa balle dans le crâne (thèse officielle) il commémora à cet endroit le sacrifice de sa vieille garde, Blutfahne* en berne. Il existe un « 3rd Reich tour » qui vous emmène de la fameuse brasserie « où Hitler a embrassé sa destinée » au camp de concentration de Dachau en banlieue de Munich. « A truly fascinating experience » stipule la brochure. Je me suis contenté de finir ma bière.
Claire est à mes côtés à présent. La langueur munichoise ne cesse de bercer la discussion. Partout au dehors, les promesses de l’été, les prodromes de la joliesse. Si seulement on pouvait miser sur l’infini… Elle part, elle quitte la ville pour retourner à Paris. Elle quitte Munich en bloc pour à Paris vaquer. Je m’envole également le lendemain. Enfin je dois… Un vendeur de journaux fait alors irruption. J’aperçois ses unes. Eruption. Des coulées de lave et de la grisaille de fumée épaisse. L’Enfer qui se réveille. J’écoute Claire d’une oreille distraite. J’évite de faire un parallèle douteux avec d’autres nuages de cendres. Impossible de me détacher de cette une dont je ne peux déchiffrer aucun mot. Je pense tout de suite à l’Etna et ne pige pas pourquoi on en fait les gros titres… Ce n’est pas la première ni la dernière fois que son cratère crache le magma… Des morts dues à l’éruption peut-être… Une fois revenus à l’appart’, Google actualités finira de nous alerter sur l’ampleur du nuage de fumée et de son responsable : Eyjafjöll ! En mot compte triple, c’est le genre de nom qui pourrit une partie de scrabble. Mais j’ai béni ce volcan islandais. Pagaille monstre dans les aéroports, évolution minute par minute de journalistes dépassés, cohues, rumeurs, retards puis annulations. Maelström jouissif, laissant à la langueur le soin de s’étaler. Une langueur inespérée dont la fin est voilée par un immense nuage de fumée. J’ai le temps. Enfin. Le temps de miser sur l’infini.
Totem
*Le Blutfahne (littéralement drapeau du sang) est le nom qui désigne le drapeau à croix gammée utilisé lors du Putsch de la Brasserie commis par Adolf Hitler et son parti le 9 novembre 1923. Le drapeau est devenu par la suite un objet de culte du NSDAP.
** L’Innamoramento : « L’amour naissant ». L’étincelle dans la grisaille quotidienne. Le bonheur mêlé d’inquiétude parce qu’on ignore si ce sentiment est partagé. Un état transitoire qui débouche parfois sur l’Amour. Un phénomène comparable aux mouvements collectifs révolutionnaires ». Source : Innamoramento e amore du sociologue italien Francesco Alberoni.