Mur de la honte

Walter Man

J'ai froid.

Depuis des heures, des jours, des semaines, je suis solidaire de mes compatriotes.

 

Arpentant les rues, les avenues, nos esprits s'échauffent.

De nombreux bâtiments sont déjà à la proie des flammes.

Des barrières sont parquées contre les édifices de l'État.

 

Je ne pense qu'à une chose ; notre objectif commun : renverser le gouvernement.

Je pense tout haut : « Putain ! J'espère que ce gouvernement va finir par capituler ! »

Je veux rejoindre tout ce monde qui se dirige vers la frontière.

 

Me frayer un chemin est très difficile. Les autorités, même affaiblies, résistent à mon avancée.

Des petits groupes révoltés tentent de percer ce barrage. D'autres essaient de parlementer.

Les militaires, comprenant la situation, savent qu'il est inutile de nous retenir.

 

Maintenant, le mur est à ma portée.

 

Certains m'ont déjà devancé. Je les aide à dégager la clôture de barbelés.

 

Un fil de fer me taillade au bras gauche. Je jette un œil à ma blessure : « Ça va, rien de grave… ». Je déchire un morceau de ma chemise et m'en sers comme garrot.

 

Les autres ont progressé. La clôture est presque détruite sur une dizaine de mètres.

J'escalade le mur.

 

Le seul fait de mettre un pied sur la première pierre me touche terriblement. Je réalise que je suis entrain de franchir ce mur infranchissable, mur solidement ancré depuis presque 30 ans.

 

Même si le mur n'est haut que de quelques mètres seulement, il culmine par son symbole.

 

A l'aide de pioches, de barres de fer, certains tentent d'extraire une à une ces pierres de la honte. D'autres, à mains nues, creusent les joints de leurs ongles noirs d'acharnement et de phalanges ensanglantées.

 

J'atteins enfin le sommet.

 

Un de mes camarades tient dans ses mains une de ces pierres qu'il a dégagée avec difficulté. Il l'observe, la tourne, la retourne. Il la souleva au-dessus de sa tête, comme s'il voulait hisser le drapeau de la liberté.

Je suis très fier de notre révolution.

                                                                           Berlin-Est. 9 novembre 1989
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