muse

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MUSE

 Bourdat, allée 8, rang E, stand 19.

 J’allais à ce rendez-vous aux Puces de Saint-Ouen les mains dans les poches. Mon éditeur m’avait tanné toute la semaine pour que je change un peu de musique. La mienne ne lui chatouillait plus les oreilles.

Il fallait que je trouve un thème de travail. Je me suis dit : « Tiens, et pourquoi pas à partir d’un tableau ? ». C’est plaisant et inspirant . Décidé, je devais trouver un tableau pour mon prochain bouquin. Je suis parti sur un thème classique ou plutôt antique, la mythologie grecque. C’est inspirant, ça. Avec de la femme si possible. C’est inspirant aussi, la femme. De la déesse, le la nymphe, de la muse. C’est inspirant, ça, une muse. C’est même un peu son boulot, d’ailleurs.

Je m’avançais donc sur le stand de ce brocanteur. Un certain Paul Bourdat. Allée 8, rang E, stand 19. Je me suis vite arrêté sur un Corot. Un truc en pleine nature, bucolique à souhait, exactement ce qu’il me fallait. « La Danse des Nymphes. » Parfait. Le genre de tableau oublié qu’on finit par retrouver dans une ferme paumée aux fins fonds de l’Ardèche et qui fait office de porte pour le poulailler. Plus communément, le style de croûte reproduite en série sur les boîtes rectangulaires de crottes en chocolat.

 Je négociais le prix. Une copie très bas de gamme. Un cadre en fausse dorure, une toile bon marché avec en plus une faute d’orthographe dans le titre, « La danse des ninfs », fallait le faire. Ca valait pas 10 euros. Allez, 8 et je suis sympa !

Je retournais chez moi et observais le tableau dans le détail. Des nymphes dansaient sous les arbres avec des toges aux couleurs passées. Dans l’une des rondes, un gars était couché par terre, un dénommé Stavros ou quelque chose dans ce goût là. Je passais la journée à décrypter chaque mouvement, chaque scénette, à essayer d’en tirer une idée, une piste. De ces rondes, il devait bien sortir quelque chose. Cette gaieté, cette explosion de vie allait me donner de la matière. Je fixais de nouveau le tableau, étourdi par l’énergie qui s’en dégageait.

Cette verdure me flanquait la nausée.

 A la fin de la journée, lessivé, j’allais à la cuisine me couper une petite tranche de saucisson. Mon opinel campé dans la main droite, je scrutais toujours le tableau qui, décidément, ne m’inspirait guère. Epuisé par tant d’attente déçue, d’un coup brusque et ferme, je plantai le couteau au beau milieu de la toile.

 Je commençais à écrire.

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