N E X

kerrevan

La première fois que je me suis retrouvée nue devant un inconnu, j'ai éprouvé un sentiment de libération totalement inattendu, quelque chose que je n'avais jamais ressenti auparavant. Depuis, c'est devenu comme une drogue. Je fréquente des sites de dialogue en direct et je m'expose face à ma webcam. Sans me faire prier, sans même qu'on me le demande. C'est même ça que j'adore : surprendre mon interlocuteur, le clouer de stupeur avant qu'il ait eu le temps de manifester le moindre désir pervers. De toute façon, ce n'est un secret pour personne : tous les hommes qui fréquentent ce genre de sites rêvent de tomber un jour sur une fille comme moi. Sauf qu'ils n'y croient pas vraiment. Ils s'attendent à devoir user de beaucoup de patience avant de pouvoir obtenir une simple vision un peu plus plongeante sur le décolleté. Beaucoup sont prêts à passer des heures pour seulement quelques centimètres carrés de chair. Moi je leur offre beaucoup plus, directement, sans fioritures, sans perte de temps. Beaucoup plus que tout ce qu'ils n'osaient espérer. J'adore voir leur tête lorsqu'ils me découvrent ! Leurs yeux qui s'écarquillent, leur bouche qui reste bée, leur paralysie momentanée. Parfois, je m'exhibe devant eux pendant trente secondes à peine et puis bye bye ! Adieu la compagnie et ils ne me revoient plus jamais ! Car je ne m'en prends jamais deux fois à la même victime. C'est la condition sine qua non : il faut que ce soient de parfaits inconnus, afin que la surprise soit totale. Je pense qu'ils gardent de moi un souvenir impérissable. J'aime les imaginer en train de penser à moi, de fantasmer sur moi et de errer comme des âmes en peine dans le labyrinthe du Net dans l'espoir fou de retrouver celle qui ne fut qu'un rêve fugitif. Je veux marquer leurs esprits d'une empreinte indélébile et me sentir vivre dans leurs pensées.

J'essaie de me limiter. Une ou deux victimes de temps en temps, cela suffit en général pour me satisfaire. (J'aime parler de « victimes », surtout pour qualifier ces pauvres petits hommes qui ont si vite fait de se prendre pour de redoutables prédateurs !) Après cela, je me sens apaisée. Mais ce n'est pas toujours facile. Parfois, il m'en faut plus. Il m'est arrivé de passer des soirées entières à pratiquer ce sport. Heureusement, la planète Internet est vaste et le nombre d'inconnus qu'il me reste à visiter ne faiblira jamais. J'ai à ma disposition une réserve inépuisable de victimes potentielles ! Mon style de proie préféré : un jeune homme de type intellectuel, bien habillé, aimable, bien élevé, voire un peu timide. Mais j'aime aussi les vieux et même, occasionnellement, les gros dégueulasses. Je fais mes choix au feeling, selon mes envies du moment.

Aujourd'hui, j'en suis déjà à mon troisième. J'ai commencé par un chinois aux grosses joues, qui n'a pas eu le temps de m'écrire quoi que ce soit ; j'ai enchaîné sur un barbu d'une quarantaine d'années, très souriant, avec qui j'ai échangé deux trois mots ; et maintenant me voilà face à un jeune homme à qui je donnerais 27 ans, plutôt beau gosse, avec des lunettes assez stylées. Son pseudo : Nex. (Le mien, c'est Thara, une espèce d'anagramme de mon vrai prénom : Martha.) Il reste calme, un léger sourire sur les lèvres, comme s'il voulait me faire croire qu'il en a déjà vu d'autres et de bien meilleures. En fait, je suis sûre qu'il est en train de se demander ce qu'il va bien pouvoir me dire pour me faire rester. Dépêche-toi, mon ange : dans quelques secondes ce sera déjà fini... Ah, ça y est : le voilà qui écrit. Je suis d'humeur indulgente ce soir, je vais lui laisser une chance. Voyons ce qu'il raconte.

- Merci pour le show ! Il ne me reste plus qu'à poster la vidéo sur les réseaux sociaux...

Oh, ooh ! Il passe directement en mode « menace » ! Pas très gentil ça !

- Ton frère la verra, tes parents aussi.

Ha, ha ! Il a réussi à me faire rire. Puisque c'est comme ça, je vais prendre la peine de lui répondre :

- Je n'ai pas de frère et mes parents ne surfent pas.

- Si ce n'est pas ton frère, ce sera ton voisin. Et tous tes amis.

- Vu le nombre de vidéos qui circulent sur le Net, c'est peu probable.

- Mais possible tout de même...

- Admettons. Et après ? C'est censé me faire peur ? Peut-être au contraire est-ce que ça m'excite... Peut-être est-ce précisément ce que je recherche !

- Ce n'est pas vrai.

- Quoi ?

- Je ne vais pas poster la vidéo.

- Petit joueur !

- N'empêche : tu n'as pas peur que cela t'arrive un jour ? Tu devrais être plus prudente.

- Oui, Papa !

- Ce que je crois, c'est qu'une partie de toi en aurait envie mais l'autre partie n'oserait jamais. La question, c'est : laquelle des deux parties l'emportera sur l'autre ?

- Bonne analyse, docteur Freud !

- Merci. Comme quoi on peut être pervers et intelligent à la fois.

- C'est ça ! Eh bien bonne soirée, Monsieur le Pervers Intelligent. Adios amigo !

- On se reverra ?

- Non, jamais. Ca ne servirait à rien : la deuxième fois, tu ne serais plus surpris de me voir, donc ça ne m'exciterait pas.

- Je suis sûr que je parviendrais tout de même à t'exciter.

- Vantard !

- C'est simple : donne-moi l'adresse de tes amis et je leur envoie des photos de toi prise « en flagrant délit ». Je serai très soft au début, promis ! Toi qui aimes t'exhiber, tu vas adorer !

- Ca, je peux le faire moi-même, je n'ai pas besoin de ton aide, c'est gentil.

- Oui mais tu n'oseras jamais franchir le pas. Alors laisse-moi t'aider...

- Bien essayé. Mais non : adios mi amor !

Fin de la conversation. Adieu Monsieur Nex !

*

Ces idées me tournent dans la tête. Je suis tout à fait consciente du risque de voir des vidéos de moi circuler sur des sites pornos. Cela ne m'a jamais inquiété outre mesure pour deux raisons : d'abord je « frappe » très rapidement, prenant mes victimes par surprise, ce qui ne leur laisse que peu de temps pour enregistrer les images, si tant est qu'ils maîtrisent la technologie nécessaire pour le faire. Ensuite, que m'importe de figurer parmi les dizaines de milliers d'images pornographiques qui inondent le Net ? Après tout, ceux qui fréquentent ces sites le font dans un but bien précis, pour satisfaire un besoin bien naturel et que m'importe que ce soit sur mon image ou sur celle d'une autre ?! Je dirais même que ça me fait plaisir. Si je peux leur faire ce petit cadeau, après tout, tant mieux ! C'est ma modeste contribution à l'équilibre psychique des hommes de cette planète.

Mais en ce qui concerne les gens que je connais, c'est une autre affaire. Tout le monde ignore ma double vie. Personne ne se doute de la nature un peu spéciale de mon hobby, de mon péché mignon. Comment réagirais-je si on venait à l'apprendre ? D'un côté, je dois bien le reconnaître, cela m'excite. Mais cela relève uniquement du fantasme : dans la réalité, ça poserait beaucoup trop de problèmes !

Cela fait deux jours que je pense à cela sans cesse. A tel point que j'ai voulu tester... J'ai rassemblé quelques photos de moi dénudée que j'ai jointes à un message. Comme texte d'accompagnement, j'ai écrit : « JE SUIS MARTHA, JE SUIS UNE GROSSE COCHONNE, J'AIME QUE TOUT LE MONDE ME VOIE TOUTE NUE ». Puis j'ai sélectionné tout mon carnet d'adresses. Il m'aurait suffi d'un seul petit clic, un seul... et tous mes contacts auraient reçu ces photos, envoyées d'une des adresses anonymes que j'utilise pour mes frasques. Bien sûr, je n'avais pas l'intention de le faire vraiment. Je voulais simplement savoir quel effet cela me ferait.

Problème : cela m'a fait un peu plus d'effet que prévu.

J'ai peur qu'un jour je ne sache pas me retenir et que je le fasse vraiment.

J'ai peur que la « vilaine » qui est en moi devienne un jour trop forte, que je ne sache plus la contrôler.

*

J'ai repris contact avec Nex. Contrairement à mes habitudes. Parce que j'avais besoin de lui parler ; il me fallait me confier à quelqu'un. Je lui ai tout expliqué et il a eu l'air de comprendre.

Du coup, j'ai été plus loin. Je lui ai raconté tous mes fantasmes les plus intimes, des choses que je n'aurais jamais imaginé dire un jour à quelqu'un.

D'une certaine manière, c'est encore plus excitant que de me foutre à poils. Ca peut se comprendre : livrer ses secrets les plus intimes, n'est-ce pas une manière de se mettre encore bien plus à nu ?

Nous avons pris l'habitude d'avoir de longue conversation. Cela me fait beaucoup de bien.

Concrètement, il ne sait toujours rien de moi, pas même mon vrai prénom. De lui par contre, je sais tout, ou presque. Il m'a donné l'adresse de son profil Facebook, de sorte que je peux suivre sa vie à distance et explorer son univers. Il est officiellement célibataire, informaticien, a deux sœurs, un frère et il habite à une centaine de kilomètres de chez moi. Il est fan du groupe R.E.M., aime le bon whisky, les bons cigares et les belles voitures.

Drôle de relation que la nôtre. J'ai l'impression d'être un fantôme qui s'amuse à hanter sa vie. Qui peut voir sans être vue.

Je lui ai dit qu'un jour, je lui ferai une surprise : je viendrai lui rendre visite. Je ne porterai pas de sous-vêtements et il pourra faire de moi ce qu'il veut. Mais il ne devra pas dire un mot. Nous ne parlerons pas ; ce sera purement sexuel et après l'acte je disparaîtrai comme je suis apparue. Il ne devra pas non plus chercher à me revoir.

Au début, je disais cela par rigolade, sans l'envisager sérieusement. Mais petit à petit, l'idée a fait son chemin dans mon esprit.

Ce vendredi, je vais passer à l'acte.

Il se rend à une soirée dans une boîte que je connais. En attendant, je ne lui dirai rien qui puisse lui faire deviner mes intentions.

*

Nous y voilà. Dans ma petite robe moulante, je ne passe pas inaperçue. J'ai déjà dû repousser les avances de plusieurs types. Je leur dis que j'attends quelqu'un, ce qui n'est pas faux, même si lui ne m'attend pas. Ah. Le voilà. C'est lui. Il ne m'a pas encore vue. Il est accompagné de trois autres types. Il y a deux filles avec eux. Je me sens très nerveuse. Accoudée au bar, j'ai commandé un verre pour me donner une contenance.

Ca y est. Il m'a vue. Il m'a reconnue.

Il ne vient pas tout de suite. Que se passe-t-il dans son esprit ? Est-il nerveux lui aussi ? Ou bien gêné ?

Il glisse quelque chose à l'oreille de ses camarades puis se dirige vers moi.

Nous nous faisons face. Sans dire un mot, comme prévu. On ne se dit même pas bonjour. Il me prend par la taille et m'entraîne avec lui. Une fois à l'extérieur, il m'emmène sur le côté, dans un endroit calme. Là, contre un mur, il se met à me caresser. Il soulève ma robe, découvrant ma nudité. Puis il me l'enlève complètement et prend mon sac à main. Il s'éloigne de quelques pas. Puis encore quelques-uns. Je reste immobile. Il continue à reculer, sans me quitter des yeux, sans dire un mot. Je comprends à quel jeu il joue : il veut me faire avoir des frissons. Il ne va pas se contenter de simplement me faire l'amour. Trop banal. Il sait que j'ai besoin de plus que ça. Progressivement, il disparaît de ma vue.

Je reste seule dans ce terrain vague, vêtue de mes seuls souliers. Non loin, je peux voir le va-et-vient des clients de la boîte et j'entends leurs exclamations. Quelqu'un pourrait venir ici à tout moment, n'importe qui, pour n'importe quelle raison. Pour uriner, par exemple.

Le temps passe. Heureusement, nous sommes en été, il fait encore chaud malgré l'heure tardive. Combien de temps va-t-il me laisser languir ? Et s'il ne revenait pas ? Il est parti avec mon téléphone et les clés de ma voiture, je n'ai plus rien. Que vais-je raconter aux gens ? Oh, et après tout, que m'importe ! N'est-ce pas précisément ce que je recherchais ? Mon destin est désormais entièrement entre ses mains, je ne peux plus rien y faire. Je me fous qu'on me trouve là, on peut penser de moi ce qu'on voudra !

Je m'allonge sur un carré d'herbe défraîchie et je me laisse aller.

Je m'abandonne.

Je m'abandonne complètement. Et cela fait un bien fou ! J'ai l'impression que je ne me suis jamais sentie aussi bien de toute ma vie.

Au bout d'un moment, j'entends des pas qui se rapprochent. Je ferme les yeux. Je tremble, un peu de froid peut-être, beaucoup de peur sans doute. Mais je garde les yeux fermés malgré tout. Les pas se rapprochent. Ce n'est que lorsqu'ils s'arrêtent tout près de moi que je les ouvre enfin.

C'est lui.

Il se baisse et me dit :

- Je te laisse le choix : soit tu restes ici, soit tu m'accompagnes chez moi.

- Est-ce vraiment un choix ?!

- A toi de voir.

Il a une voix chaude et douce.

- Tu as brisé notre vœu de silence.

- C'est moi qui dicte les règles maintenant.

Toujours nue, je le suis jusqu'à sa voiture. Durant le trajet, nous ne parlons pas. Parmi les automobilistes que nous croisons, certainement beaucoup se rendent compte de ma nudité. La ceinture de sécurité qui frotte sur mon téton augmente encore mon excitation.

Nous sommes arrivés. Mais il nous reste une centaine de mètres à marcher avant d'arriver à son appartement. Sûr qu'il a fait exprès de se garer si loin : il y avait d'autres places beaucoup plus près ! J'avance nue à la lumière des réverbères. N'importe quel noctambule pourrait me voir.

Une fois chez lui, enfin, nous faisons l'amour. C'est moi qui le lui demande, ou plutôt non : qui lui supplie de me faire l'amour. Moi qui reste d'habitude sur la réserve, je me surprends à lui crier des « baise-moi ». Cette vulgarité ne me ressemble pourtant pas, mais c'est plus fort que moi, je n'en peux plus ; le désir est trop fort.

Baise-moi ! Baise-moi, mon amour ! Oui ! Baise-moi !

Lorsque l'orgasme vient, c'est un hurlement qui sort de ma bouche. Puis aussitôt j'éclate en sanglots ; le plaisir était tellement fort que ça m'a fait mal. Je n'ai jamais rien connu de si violent. Je reste pelotonnée sur le lit, tremblant comme une feuille.

Pour une fois, on peut dire que c'est vraiment moi qui ai été surprise.

*

J'aurais tant aimé rester auprès de lui, qu'il me prenne dans ses bras puis m'endormir à ses côtés. Mais cela ne s'est pas passé comme ça. Sitôt après l'acte, il m'a demandé de me lever et de le suivre. Il m'a reconduite au parking de la discothèque. Mais sans m'avoir rendu ni mon sac ni ma robe. Je n'ai pas rouspété, je l'ai laissé faire. Je n'étais pas en état de résister ; il aurait pu faire n'importe quoi de moi. Il a démarré. J'étais à nouveau seule, nue et plus exposée que jamais. Puis une voiture est arrivée et s'est arrêtée à ma hauteur. Je ne l'ai pas reconnue tout de suite : c'était la sienne. Il avait juste fait un tour du quartier. La vitre s'est baissée et il a jeté mes effets par la fenêtre puis est parti, cette fois pour de bon.

Le lendemain matin, j'avais un nouveau message dans ma boîte :

« La prochaine fois, ma chérie, il faudra aller plus loin. Toujours plus loin... Autrement, ça n'aura plus rien d'excitant. Mais tu peux compter sur moi : je trouverai un moyen.

Tu pourras toujours compter sur moi.

                                                             Nex. »

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