Ne saute pas Mathieu

valerie-lemelin

Le réveil sur la table de nuit indiquait dix heures et demi, mais Noémie ne dormait toujours pas. “Impossible de trouver le sommeil cette nuit...impossible” murmura-t-elle à elle-même. Elle se redressa dans son lit, passa la main dans ses longs cheveux bruns pendant que le flash du jeune garçon sur le quai, aperçu plus tôt en soirée, lui traversait de nouveau l'esprit.


C'était une nuit d'automne sombre et froide. C'était la première fois qu'elle se retrouvait seule à cet endroit: habituellement Marie l'accompagnait toujours, mais ce soir, elle avait eu un empêchement. Le soleil disparaissait lentement à l'horizon ne laissant derrière lui qu'une légère trainée de lumière dorée. C'était grâce ce faible halo que Noémie l'avait remarqué: sa longue et mince silhouette se découpait parmi les derniers rayons orangés. Il était penché à l'avant, se cramponnant au montant de métal uniquement par la force de ses deux bras. Il avait déjà enjambé la balustrade sans que personne ne le voit et, il ne lui suffisait que de lâcher prise, pour se retrouver perdu, à la merci des eaux noires. Il aurait été d'ailleurs impossible de le sauver avec ses vêtements ayant eux-même la couleur de la nuit.


À cette pensée, Noémie réprima un frisson. Il lui avait fallu prendre une décision immédiate. Elle se tenait à une dizaine de pieds de distance du jeune garçon. Par contre, à ce moment-là, elle ignorait parfaitement s'il s'agissait d'une fille ou d'un garçon. Elle avait accéléré le pas, n'osant pas crier de peur qu'il ou elle ne prenne peur et ne lâche la barrière. Elle ne savait pas pourquoi mais elle s'était mise à siffloter doucement, puis de plus en plus fort, sa mélodie se mélangeant au son des vagues en dessous.


Le jeune adolescent avait relevé lentement la tête et Noémie avait alors réalisé qu'il s'agissait d'un garçon.  Il fixait un point droit devant lui. La secousse de ses épaules prouvait qu'il pleurait. Puis, il avait tourné son regard vers Noémie qui arrivait à sa hauteur. Il devait avoir quinze ou seize ans. Peut-être l'expression de son visage était-elle de la surprise ou de la peur, elle ne savait quoi en penser: il faisait presque noir à présent.


Noémie avait cessé de siffler et avait ouvert la bouche pour lui parler. Avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit, le jeune garçon avait pointé quelque chose en dessous de l'endroit où ils se tenaient maintenant tous les deux. Noémie avait tendu le cou pour regarder.


Dans les derniers rayons du soleil, sur le béton soutenant le quai, on pouvait lire “Ne saute pas Mathieu” inscrit à la bombe rouge.


Noémie avait observé le garçon un moment. Il essuyait bruyamment ses larmes avec la manche de son pull, secoué de sanglots incontrôlables.


-Mathieu..?” avait-elle tenté, "...c'est toi?”


Il avait secoué la tête avec conviction. Puis, sans crier gare, il avait fait rapidement volte-face, grimpé la balustrade en métal, et s'était enfui à toutes jambes sur le quai.


-Mathieu, attends!” avait hurlé Noémie, mais sa plainte s'était perdu froidement dans le vent.


Maintenant assise dans son lit, Noémie était abasourdie. Elle se questionnait au sujet de cette mystérieuse inscription qui avait sauvé la vie du jeune Mathieu. Comment une personne avait-elle bien pu écrire cela à cet endroit et comment avait-t-elle su? Ceci lui semblait tout simplement inexplicable.

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