Neptune et l'Aigle du Caucase

marethyu

"Neptune et Cupidon" nouvelle 2

Le vase du salon de Mme Terrier représentait une scène de bataille entre Neptune - et son ami Cupidon - et l'Aigle du Caucase. Le vase était grand, noir, et les dessins y étaient peints de couleur orange. Dans la mythologie grecque, la légende raconte qu'Héraclès livra bataille contre le rapace et le tua. Cependant, ce réceptacle qui date de l'époque romaine prouve que l'aigle avait survécu à cette rencontre. Madame Terrier racontait cette histoire à toutes ses amies qui venaient prendre le thé chez elle. Voici la véritable légende de l'Aigle du Caucase…

            « Neptune se leva. Il venait de terminer sa séance de musculation matinale et se dirigea vers la mer pour se rafraîchir. Il trouva Cupidon en train de se reposer sur le sable, à quelque distance de l'eau, laissant les vagues l'effleurer à peine avant qu'elles ne retournent se fondre dans la mer.

-          Comment vas-tu ce matin, Cupidon ? demanda Neptune de sa voix de stentor.

-          Ça va, répondit Cupidon sans ouvrir les yeux. La mer est calme, le ciel est bleu, et aucun problème en vue ; tout va bien.   

Le Dieu de la Mer entra dans l'eau fraîche et s'immergea totalement, se livrant ainsi à un plaisir routinier. Il aimait, chaque matin, passer une heure ou deux sur la plage à ne rien faire d'autre que se reposer.

            Soudain, des battements d'ailes se firent entendre. Neptune se tourna vers Cupidon, mais ce dernier était assis sur le sable, cherchant lui aussi la provenance de ces bruits. Ils regardaient en l'air lorsqu'Hermès, le Dieu messager, se posa devant eux. S'adressant à Neptune, il dit :

-          J'ai un message pour toi, Dieu des Eaux vives et des Sources. Jupiter m'a chargé de vous prévenir, Cupidon et toi, que « le Chien ailé» est revenu sur le Mont Caucase.

-          L'Aigle du Caucase est toujours vivant ?! s'étonna Cupidon en s'approchant, Héraclès ne l'avait donc pas tué, il y a quelques années ?

-          Non, lui répondit Hermès, Jupiter avait chargé Héphaïstos d'attacher Prométhée sur un rocher du Mont Caucase et l'Aigle devait dévorer chaque jour le foie du Dieu pour punir ce dernier d'avoir donné le feu aux hommes. Héraclès voulait anéantir l'horrible bête, mais le rapace a réussi à prendre la fuite.

-          Et pourquoi est-ce un mal que l'Aigle du Caucase réapparaisse ? demanda Neptune.

-          Il enlève et tue des humains sans défense pour les manger. Jupiter n'aime pas ce genre de comportement de la part de ses créatures. Aussi vous demande-t-il de mettre fin au plus vite à ce qu'il appelle des meurtres.

-          Doit-on tuer l'Aigle ?

-          S'il le faut.

-          Très bien, fit Neptune, retourne voir Jupiter et dit lui que nous partons immédiatement pour le Mont Caucase.

Hermès hocha la tête et s'envola. Neptune se tourna vers Cupidon et, d'un commun accord, se dirigèrent vers la mer dans laquelle ils s'enfoncèrent. Quand l'eau arriva enfin à la taille de Neptune, Cupidon flottait depuis longtemps. Le Dieu de l'eau siffla et deux dauphins se dirigèrent vers eux. Les deux Dieux grimpèrent sur leur dos et le voyage commença.

            Les dauphins de Neptune étant d'une rapidité incomparable, quelques heures à peine suffirent aux divinités pour atteindre la Géorgie. Ils marchèrent ensuite jusqu'à atteindre le Grand Caucase.

-          Nous y voilà, constata Cupidon, et maintenant, que fait-on ?

-          On se renseigne.

L'apparence de Neptune étant un peu trop remarquable, ce dernier se transforma en humain ordinaire. Avec son nouvel aspect, il était méconnaissable. Cupidon fit de même, prenant l'apparence d'un jeune homme. Grâce à leur nouvelle physionomie, ils purent interroger tranquillement tous les paysans qu'ils rencontrèrent. Ils apprirent ainsi que les enlèvements se produisaient plus au Nord. S'étant rendus à l'endroit indiqué, ils purent parler à une mère éplorée qui avait perdu son fils la veille, ravi par un monstre volant alors qu'il jouait dans la rue avec ses amis. Elle leur indiqua la direction vers laquelle le rapace s'était envolé. Les deux amis s'y rendirent au pas de course.  A bonne distance du village qu'ils venaient de quitter, ils trouvèrent un petit sentier qui montait en lacet jusqu'en haut de la montagne.

-          Bon, et bien tu me rejoins au sommet, lâcha Cupidon en faisant brusquement apparaître ses ailes dans le dos et en décollant aussitôt, sachant pertinemment que son ami ne pouvait pas voler.

Mais Neptune avait plus de réflexes que ne le croyait son compagnon. Il saisit Cupidon par la cheville et le tira brutalement vers le sol avec son bras incroyablement musclé même dans son apparence humaine.

-          Hors de question, fulmina le Dieu des Eaux vives, on monte ensemble par ce sentier.

Cupidon fit disparaître ses ailes et se remit en route à pied, bougonnant et vexé de ne pas avoir réussi à piéger son ami.

-          J'y serais déjà depuis longtemps, maugréa-t-il au bout de dix minutes de marche.

-          Qu'est-ce que tu viens de dire ? le menaça Neptune, néanmoins amical.

-          Rien, rien.

Il aurait fallu à des humains normaux une demi-journée environ pour gravir le chemin jusqu'au sommet. Les deux Dieux, eux, mirent un peu moins d'une demi-heure.    

-          Nous y voilà, fit Cupidon quand ils furent au sommet, et maintenant, que fait-on ?

-          Tu radotes, constata simplement Neptune avant de se mettre au travail.

Il examina les murs rocailleux, se pencha dans le vide pour étudier la paroi rocheuse et finalement s'exclama :

-          Cupidon, viens voir !                                         

Le Dieu ailé s'approcha, se penchant à son tour par-dessus le sentier.

-          Regarde, là. Je ressens l'énergie de Prométhée sur ce rocher. C'est forcément là qu'il était supplicié.

-          Oui, je perçois aussi son énergie. Comment se fait-il qu'elle n'ait pas disparu au bout de ces quelques années ?

-          Prométhée est très puissant. Quand il va quelque part, il laisse une trace involontaire de son passage car son corps dégage continuellement sa magie. Cette dernière se fixe sur l'environnement. Mais elle finit quand même par s'effacer, normalement au bout de quelque temps. Comme il a été attaché très longtemps ici, il est normal qu'une petite partie de sa magie y soit encore présente. 

Ils cherchèrent ensuite un peu partout mais ne trouvèrent pas le nid de l'Aigle du Caucase.

-          Bon ! s'exclama Neptune, Cupidon, un petit vol de reconnaissance ne serait pas de refus !

Le visage de Cupidon s'éclaira. Ayant gardé comme son ami son apparence humaine, le Dieu de l'Amour dut faire apparaitre ses ailes pour décoller. Il plana dans le ciel, examinant les cavités de la roche. Au bout de quelques minutes de recherches, il crut apercevoir une grotte habilement camouflée d'où s'échappaient quelques brins de paille.

-          Neptune ! s'écria le Dieu de l'Amour, je crois que j'ai trouvé le nid.

Une ombre passa au-dessus de Cupidon et l'Aigle du Caucase s'abattit sur le Dieu Volant. Ce dernier sentit une serre comprimer férocement sa gorge. L'Aigle se posa violemment sur la roche dure et plaqua son butin au sol.

-          Tiens tiens, qu'avons-nous là ? s'exclama le Chien ailé de Jupiter. Un Humain qui vole… Comme c'est curieux !

-          Peut-être parce que je ne suis pas un Humain, haleta Cupidon, étranglé.

Sous les yeux abasourdis de l'Aigle, il reprit son apparence de divinité. Son corps normal étant plus petit que celui qu'il avait revêtu pour passer inaperçu, Cupidon put échapper aux serres qui ne comprimaient plus son cou. Il en profita pour reculer précipitamment. L'Aigle voulu se jeter sur lui mais un coup de poing puissant le projeta de côté. Neptune se tenait devant lui, imposant, ayant repris son apparence céleste.

-          Neptune ! cracha le Chien ailé. J'aurai donc le plaisir de me repaitre de ton foie !

-          Tu oublies que je ne suis pas enchainé à un rocher, moi ! s'exclama le Dieu des eaux en lui décrochant un coup de pied vigoureux dans l'estomac, le propulsant à nouveau au sol alors qu'il venait de se relever.

-          Jupiter t'ordonne de cesser de t'attaquer aux Humains !

-          Je ne reçois plus d'ordre de Jupiter depuis des siècles, gémit résolument l'Aigle, le souffle coupé.

-          Et il nous a aussi chargés de te tuer si tu ne revenais pas à la raison.

-          Vraiment ? fit le rapace en inspirant profondément pour essayer de réguler sa respiration,   voilà qui ne m'étonne pas… Je l'ai servi fidèlement pendant des siècles, mais il n'a rien fait quand Héraclès a tenté de me tuer, alors que c'est lui qui m'avait autorisé à ronger le foie du Dieu ! Pourquoi se montrerait-il plus clément aujourd'hui ? 

Neptune ne répondit pas. L'Aigle, un oiseau de proie gigantesque, se releva et se plaça debout devant le Dieu des eaux.

-          J'ai décidé de me venger, continua le Chien ailé. De Jupiter et des Dieux en général. J'ai décidé de ne plus manger que des humains et de passer ma rage contenue ces dernières années sur eux.

-          Ils ne sont pas responsables !

-          Si tu savais comme je m'en moque ! s'écria cruellement l'Aigle, il faut bien que quelqu'un paye. 

-          Si tels sont tes projets, alors je te tuerai, prononça simplement le Dieu de l'Eau.

Vif comme l'éclair, le Chien ailé de Jupiter s'élança et planta ses serres dans le torse de son adversaire. Mais avant qu'il n'ait le temps d‘égorger ce dernier, il perçut un sifflement dans son dos et se déplaça au moment où une pluie de flèches s'abattait sur lui. Les projectiles passèrent au-dessus du corps de Neptune qui gisait maintenant sur le sol, la poitrine ensanglantée. L'Aigle du Caucase se retourna vivement et vit Cupidon qui tirait ses traits à une vitesse surprenante. Le rapace se jeta sur le côté mais une flèche magique lui transperça l'aile droite, la raidissant et la rendant inutilisable. L'oiseau de proie se jeta sur son attaquant et réussit à le faire basculer dans le vide. Cupidon déploya ses ailes et remonta à la hauteur du meurtrier, continuant de tirer ses flèches simples et magiques à une vitesse époustouflante. Le rapace parvenait à les esquiver toutes, mais il fut soudain frappé dans le dos et poussé dans le ravin. Ne pouvant voler à cause de son aile immobilisée, l'Aigle du Caucase tomba dans le ravin avec un cri déchirant et s'écrasa au fond de la gorge.

            Neptune se tenait debout, au bord du vide. L'effort qu'il avait dû faire pour se lever et se rendre jusqu'à l'Aigle pour le pousser dans le vide l'avait affaibli au point de le rendre pâle comme la mort. Sa blessure ne coulait plus et, comme Neptune était un Dieu, ses dommages ne seraient plus qu'un mauvais souvenir le lendemain. Seulement, sa convalescence - aussi courte soit-elle - lui causerait une grande souffrance.          

            Cupidon se posa alors près de son ami, tenant dans ses bras l'enfant qui avait été enlevé la veille.

-          Repose-toi, Neptune, fit le Dieu de l'Amour. Si tu le veux bien, je vais aller porter cet enfant à sa mère. Je reviendrai ensuite t'aider à supporter la terrible souffrance qui t'attend cette nuit.

Le Dieu de la Mer hocha faiblement la tête, incapable de prononcer une parole. Cupidon décolla avec l'enfant hébété dans les bras et revint enfin à la nuit tombée. Au petit matin, le torse de Neptune n'avait plus aucune trace de blessure, mais son visage exprimait clairement l'épreuve qu'il venait d'affronter. Quand le Dieu des Sources s'en sentit le courage, les deux amis se mirent en marche en direction de la mer, pour rejoindre leur île perdue au milieu de l'Océan. »  

            Madame Terrier se tût et but une gorgée de thé. Madame Mayet, son amie à qui elle venait de raconter l'histoire, prit un dernier cookie puis se leva pour aller contempler le vase.

-          Et tu dis, demanda-t-elle, curieuse, que ça s'est vraiment passé comme ça ? 

-          Oui, ce vase témoigne que Neptune et Cupidon ont aussi affronté l'Aigle.

-          Et Prométhée, qu'est-il devenu après sa délivrance ?

-          En fait, Héraclès avait libéré Prométhée au cours de ses douze travaux. Mais pour que le serment de Zeus, qui avait juré que le Titan resterait à jamais enchaîné au Caucase, ne soit pas tout-à-fait annihilé, Prométhée dut porter durant toute sa vie une bague de fer provenant de ses chaînes, avec un morceau de pierre du Caucase scellé dessus.

-          Comme tout cela est fascinant, s'extasia Madame Mayet.

Elle prit le vase dans les mains et l'approcha pour mieux voir les dessins peints dessus. Malheureusement, elle avait les mains grasses et le vase glissa, lui échappant. Il se fracassa sur le sol en mille morceaux, détruisant ainsi la seule preuve du combat de Neptune et Cupidon contre l'Aigle du Caucase.

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