new york boogyman blues
Belise Next
Ce matin, New york est encore plongée dans un brouillard aussi carabiné que le putain de mal de tête qui me poursuit depuis la veille.
J'ouvre un peu la fenêtre avec l'espoir crétin de prendre quelques taffes d'air frais, mais les sirènes démentes de bagnoles de police me font saigner les tympans.
Je peux vous garantir un truc, les mecs qui ont composé cette symphonie de fin du monde n'étaient pas musiciens pour un sou.
Je traîne mon immense carcasse à travers le mouchoir de poche qui me sert d'appart.
Ouais, ici, si tu veux vivre au cœur de l métropole la plus bandanteet la plus salope de l'univers faut être prêt à toutes les bassesses.
Moi, j'ai pas eu peur de lâcher ma cambrousse perdue, l'immense maison campagnarde pour ce trou à rat que je partage avec les cafards et les punaises.
Remarque, comme colocataires, j'ai connu plus encombrants.
Je carre mon énorme cul dans le sofa éventré que j'ai remonté du caniveau et j’attrape ma gratte.
Mes battoirs jonglent avec délicatesse sur les cordes en nylon et je pars dans un délire.
Jimmy, Zappa..
Je ne suis plus là.
Tu pourrais tambouriner à ma porte pendant des heures, je te calculerai même pas.
Et ce serait tant mieux pour toi.
Parce que quand j'ai ma lady dans les bras, il fait pas bon me déranger.
C'est pas tout, mais arrive un moment où la nature reprend ses droits.
J'ai une faim de tous les diables.
Tu as déjà entendu parler de ces ogres qui sont capables de tout engouffrer?
Et bien moi, c'est pareil.
Je me remplis avec application.
Mon frigo est plus gros que mon pieu, et j'y ai entassé tout ce que l'agroalimentaire américain est en mesure de produire.
Je recule devant rien, le King n'a qu'à bien se tenir.
Une fois mon ventre rempli, je me prépare à sortir.
La tête, le cœur exigent aussi leurs aliments.
Et ils consomment en masse.
J'enfonce mon chapeau sur la tête, je drape mon cache poussière autour de mon corps éléphantesque et je me glisse dans le flot des passants.
J'ai un truc imparable pour me garantir ma bulle de vide et d'indépendance.
Regarde comme les gens me bousculent en me jetant un regard mauvais parce que je ne prend pas la peine d'aller aussi vite qu'eux.
Je mets la main dans ma poche et j'en sors le cigare le plus puant et le plus énorme que j'ai pu trouver sur le marché.
Il faut pas moins de trois allumettes en cèdre pour enflammer cette saloperie.
Je souffle d'impressionnants panaches de fumées noire.
On dirait une putain de locomotive.
Là, c'est mieux, plus personne n'osera se frotter à moi maintenant.
Je grimace, les dents fermement accrochés à mon barreau de chaise.
La perspective d'un cancer en échange d'une immunité totale et plénière en plein Manhattan. Le jeu en vaut la chandelle.
La tête entourée de mes nuées ardentes personnelles, je m'approche d'une silhouette toute menue qui file en direction de la 5ème avenue.
Mes oreilles sont grandes ouvertes.
La mélodie qu'elle me flanque des frissons et colle parfaitement à la peau de cette journée embrumée.
J’emboîte le pas à ce petit brin de voix velouté, un peu fêlé comme je les aime.
Mes mains tripotent des manches et des cordes invisibles, tentant de tricoter les notes triste et suaves que la passante laisse dans son sillage.
Ouais, je sais ce que tu penses.
Tu me vois comme un gros orage noir menaçant lancé à la poursuite d'une innocente qui ne se doute même pas de l'enfer qu'elle traîne dans son sillage.
Bon, tu n'as peut être pas tout à fait tort.
La miss semble glisser à tout allure sur les larges plaques gris dégueulasse qui forment le trottoir de la ville.
Je pourrais pas dire si elle est vieille ou jeune, moche ou jolie.
Pour tout dire, je m'en cogne.
C'est sa musique qui me fait bander.
Au moment de traverser, je la prend par le bras.
Attention, j'y vais doucement, il s'agirait pas d'abîmer la source d'une aussi jolie mélodie, quand même.
Pour la faire disparaître au yeux de nos congénères totalement obsédés par leur course contre le temps, rien de plus simple.
J'aspire à plein poumon les humeurs âcres de mon infâme cigare et je les expectore autour de sa silhouette, un peu comme un calamar monstrueux qui aveuglerait sa proie.
Visiblement, la jeune fille est délicate et les effluves presque physiques de ma fumée l'ont étourdie.
Tant mieux, j'ai aucune difficulté à l'entraîner dans une de ces petites impasses dont regorgent la cité.
Je m'assure que nous sommes hors de vue et je la pousse contre le mur.
Elle a les yeux écarquillés de frayeur mais elle ne moufte pas.
Elle a du cran cette gosse.
Je croise les bras contre mon ventre de barrique. Je fume en silence quelques bouffées.
La gamine me jette un regard en dessous de son bonnet péruvien.
Elle murmure de sa drôle de voix douce et râpée à la fois.
« Vous voulez quoi au juste? »
J'incline un peu mon chapeau pour mieux me dégager les esgourdes.
« Ta voix »
Ses yeux se sont écarquillés comme d'immenses flaques de chocolat chaud.
Elle pige rien à ce qui lui arrive.
« Chante »
Méthodiquement, je sors un antique magnéto des profondeurs de mon cache poussière.
Le truc est tellement ancien qu'il aurait plus sa place dans un musée que des mes pognes.
Mais que veux tu, je suis un vieux de la vieille et les nouvelles technologies, j'ai jamais pu les sentir.
Courageusement, la biquette fredonne.
Ses hésitations me font plisser les yeux.
Puis elle ferme les yeux et elle oublie où elle se trouve, sa voix se déploie enfin, libre et puissante.
Et moi, je suis là pour la capturer.
Quand le bande se met à claquer dans le vide, je touche délicatement le bras de la petite chanteuse en transe.
« c'est bon, miss, j'ai tout ce qu'il me faut. »
je rallume mon barreau de chaise et remballe mon magnéto.
La petite me lance un sourire mouillé comme des pavés sous la pluie.
Je pars sans me retourner;
Je traverse nonchalamment le fleuve humain perpétuellement pressé qui obstrue les trottoirs.
J'ai hâte de rentrer chez moi pour décortiquer et digérer toute cette matière précieuse que la rue m'a apportée.
Une pluie glacée joue un air de blues usé jusqu'à la corde sur le rebord de mon chapeau huilé par la pollution de cette bonne vieille Pomme.
Je repense à la fille et au sourire radieux qu'elle m'a offert.
Dire que c'est la seule chose que sa bouche est capable de produire désormais..
Tu pense que je suis un monstre?
Je suis pire que ça, je suis le brocanteur de sons de cette putain de ville, l'archiviste en chef des bande sons officielles de cette cité pourrie.
Et c'est du boulot, crois-moi.
Ya plusieurs façons de prendre son pied en suivant une gamine dans une rue et la coinçant dans une ruelle sombre. En voici une des plus improbable!
· Il y a plus de 12 ans ·L'argot mêlé à la poésie et au style Belise, je commence à y prendre sérieusement goût!
5 coeurs pour moi!
axyohm