Nicolas Président
yves
- NICOLAS -
A l'âge de 12 ans, Nicolas eut la révélation de son avenir. Il sut ce qu'il voudrait être plus tard. Président de la République. L'évidence le frappa au plus profond de lui-même, s'installa dans son cœur et ses tripes lorsqu'il vit le Président, l'actuel, en pleine campagne pour sa réélection, haranguer la foule au sein de laquelle ses parents l'avaient entraîné. Rarement meeting eut un spectateur aussi captivé, s'imprégnant du charisme présidentiel, de ce parfum de pouvoir qui flottait autour de lui. Le ton du discours, les gestes du leader, les élus et notables locaux autour de lui, relégués au second plan tels des disciples, les hommes de la sécurité, le cortège présidentiel puis les motards d'escorte ouvrant la voie tel des modernes Moïses motorisés fendant les flots humains, tout cela marqua le jeune Nicolas irrémédiablement.
Il comprit ce que serait son avenir. Délégué de ses classes successives au collège, il commencerait à s'y frotter aux adultes. Bûchant français, histoire et géographie il apprendrait la formation du monde moderne, la culture générale indispensable aux brillants discours, la rigueur d'analyse des problèmes complexes qui lui seraient présentés.
Ensuite le lycée. Du droit. Une filière ES. En même temps, choisir un syndicat étudiant. Un, deux ans pour comprendre puis postuler pour y prendre des responsabilités. Rêver d'un monde nouveau avec d'autres lycéens aussi motivés que lui. Commencer à assister aux conseils de la municipalité. Se faire repérer peut-être déjà par un représentant de parti politique. Et, comme celui qui était son exemple, commencer à collectionner les conquêtes féminines.
Après le bac, qu'il faudrait réussir avec mention, la fac. Filière AES, option droit. A cet âge-là, déjà majeur, il lui faudra absolument avoir choisi un parti politique. Des années seront sûrement nécessaires à trouver le bon mentor, à comprendre les règles subtiles des jeux d'influences. Nicolas savait qu'il n'était pas né dans une famille de notables. Il lui faudrait vaincre de multiples obstacles que des nantis de la vie, des enfants de bonne famille n'ayant jamais connu les difficultés matérielles interposeront entre lui et son but.
Nicolas savait qu'il s'engageait là dans un long parcours, quarante ans de sa vie peut-être sacrifiés à son rêve, ce Graal, ce but ultime, gouverner la France.
Mais jamais il ne renoncerait.
Et Nicolas n'a jamais renoncé. Aujourd'hui à cinquante-deux ans sa détermination est aussi forte qu'au premier jour.
Mais hélas pour lui, doté par la génétique d'une constitution et d'une intelligence très moyennes, d'un astigmatisme prononcé nécessitant le port de verres épais et dès l'adolescence d'une peau grasse rebelle aux traitements anti-acnée, Nicolas ne fut jamais élu délégué de classe.
Ses lunettes modèle Sécurité Sociale, ses rondeurs et ses dents avancées le désignèrent très vite comme le bouc émissaire facile de ses condisciples prompts à railler les rêves de grandeur du jeune collégien doté d'un physique de poulet élevé en batterie.
Enfant d'une famille fort banale, père chauffeur routier souvent absent et mère caissière à mi-temps en hypermarché, Nicolas ne trouva jamais chez lui les béquilles intellectuelles qui lui auraient permis d'aiguiser ses neurones. Pris en tenaille entre un grand frère musclé et violent décidé à ne rien faire de sa vie, comme leur oncle petit escroc du quotidien, et une jeune sœur si belle qu'elle retenait toute l'attention de la famille et des visiteurs, Nicolas était tout simplement oublié.
Terne et sans relief hormis son crédo quotidiennement répété, sa famille comme ceux qui le côtoyaient finissaient tout simplement par ne plus écouter Nicolas lorsqu'ils se rendaient compte que les moqueries glissaient sur lui sans l'atteindre.
Collégien très moyen, ses performances scolaires lui valurent une orientation banale au sein d'un flot de lycéens aussi moyens que lui. Deux classes redoublées lui permirent d'obtenir un banal bac ES sans mention.
Pendant ces années, le pauvre Nicolas lut moult ouvrages sur internet retraçant la vie des hommes célèbres, français ou étrangers, politiques ou autres, dont il voulait comprendre les parcours pour les retracer. Ses longues navigations solitaires lui permirent aussi de découvrir une multitude de sites aux contenus clairement explicites pour adolescents pré pubères ou pubères, ce qui eut pour effet de diluer encore plus le temps et les capacités qu'il pouvait dédier à son rêve.
Doté de fort peu de courage physique, et d'un caractère faible Nicolas préféra peu à peu rester ainsi enfermé chez lui ou au cybercafé local plutôt que de se confronter au monde réel. Jamais une fille ne franchit le seuil de sa tanière, jamais il ne mit le pied dans un local syndical ou politique.
Mais il n'abandonnait pas. Chaque jour, chaque semaine, chaque mois il adaptait son rêve aux circonstances. Toujours Nicolas disposait de l'exemple d'un personnage célèbre qui comme lui n'avait révélé que bien tard ses réelles aptitudes et avait néanmoins réussi à devenir « quelqu'un ».
Après le lycée, la fac. Orienté malgré lui vers les études courtes, il débuta un DUT technique de commercialisation qu'il ne termina jamais. Balloté de stages en CDD, télé-opérateur ou VRP, Nicolas n'eut jamais les moyens d'acquérir une réelle indépendance financière. Finalement viré de chez lui, son employeur du moment (une grande chaine de restauration rapide) lui permit de louer un minuscule studio où il dépensa son maigre salaire à installer une connexion internet haut-débit et un équipement informatique qui lui permirent dès lors de ne pratiquement plus avoir à sortir de chez lui. WoW, Warhammer et autres Second Life dont les abonnements plombaient son maigre compte bancaire n'avaient plus de secrets pour lui. Mais il n'oubliait pas son rêve.
NicoPrez était son pesudo, nombreux étaient les forums où il discutait de tous les aspects de la politique nationale et mondiale avec d'innombrables internautes qu'il essayait de convaincre de la justesse de ses analyses. Lorsqu'il quittaient ces mal comprenants il s'entraînait alors au management participatif sous le pseudo de NicoLeader, paladin-sorcier, à la tête (ou du moins au sein) d'équipes d'aventuriers parcourant les chemins électroniques de l'aventure virtuelle.
Trente ans se sont ainsi écoulé, d'employeur en période de chômage, sans avoir quitté son petit studio où les visiteurs se sont comptés sur les doigts des deux mains. Prématurément usé par une mauvaise hygiène de vie et une alimentation déséquilibrée, Nicolas va mourir ce soir d'un infarctus et personne ne s'en inquiètera avant que, par l'odeur incommodés, ses voisins ne fassent appel aux forces de l'ordre qui ne pourront que constater un décès naturel.
Pourtant Nicolas venait d'avoir la révélation. Sur l'écran de l'ordinateur, incrusté par une semaine d'arrêt sur image, Bodhi disait à Brice « Il ne faut pas confondre rêver sa vie et vivre ses rêves… »
- FIN -