Nikolaz

marjo-laine

Nikolaz habite un appartement dans l'hypercentre, près de la place du Commerce. Les bruits de la ville le rassurent, surtout le ting ting des tramways quand ils approchent d'un croisement, pour prévenir les distraits. D'ailleurs, il se réveille souvent avec le premier tram de la journée ou alors c'est le soleil, il ne ferme jamais ses volets. Il commence par se rouler une cigarette, puis il remplit à ras bord sa cafetière. Son salon est encombré de meubles hétéroclites, mélange facétieux de tradition et de récup'. Il a hérité de sa grand-mère une grande armoire bourgeoise à une porte. Il l'appelle sa bonnetière. Il le dit en détachant toutes les syllabes et en prenant un accent du sud, ça me fait hurler de rire.

On le trouve souvent dans un bistrot rue des Carmélites, pas très loin du château.  Il lit les journaux, Politis, le Monde Diplo, passe des coups de fils. Il planifie des réunions, discute tracts, donne rendez-vous à la prochaine manif. Nikolaz pense qu'un autre monde est possible.

Le jeudi, on va boire des coups dans un café près de chez moi, comme ça, je peux rentrer à pied. C'est près de la rivière, c'est beau quand il fait nuit, le reflet du pont dans l'eau, avec les lumières. Une fois, on a surpris un héron qui écoutait notre conversation en terrasse, les mains gelées, la clope au bec.  Le patron est sympa, il nous laisse nous gaver de cacahuètes. On enchaîne les verres de vin, du côte du Rhône, souvent. On glousse en se montrant nos lèvres violettes. Parfois, on dine après. Il choisit toujours le resto, mais me laisse choisir ma place, "côté salle ou côté fenêtre?  la banquette ou bien la chaise? " Il fait souvent la même blague : en dessert, il prendrait bien un supplément chantilly, 50 centimes d'euro, c'est vraiment pas cher. Les serveurs sourient, bienveillants. Il me parle de la thèse qu'il prépare, en philosophie du langage. Sa spécialité, ce sont les actes performatifs : "quand dire, c'est faire", ou quelque chose comme ça. C'est facile de se moquer.

Ses parents sont riches. Ils habitent juste à côté de la cathédrale, un appartement immense, avec des moulures. Malgré tout, Nikolaz n'a pas beaucoup d'argent. Une semaine, il a réparé un appartement dans son immeuble. Au noir. Quelle expérience. Le bonheur que c'était de planter ces clous, de changer ce carrelage. Avec mille précautions, j'avais retiré ses échardes. Pour me remercier, il m'avait cuisiné une délicieuse omelette avec des girolles. Et, toute la nuit on a parlé. En écoutant du Ligetti.

Un jour, j'errais, cafardeuse, rue du Calvaire. Je suis tirée de mes rêveries grises par la sonnerie de mon téléphone. "Retournes toi", me dit-il avec douceur. "Non.. encore un quart de cercle. Sur ta gauche. Non, l'autre gauche!! Voilà... Voilà, oui, lèves ta main et agites la maintenant, oui, bonjour,  tu me vois maintenant, non ?" Il était là, radieux, à la terrasse du Zinc, ce café sous les arbres.

Nikolaz n'est pas très grand. Il est barbu, hirsute, ses vêtements sont souvent élimés, le bout de ses doigts, jaunis par le tabac. J'aime son regard clair, son rire espiègle et son cœur pur.

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