Noël à rien
Patrice Saucier
Clovis s’activait dans la cuisine.
Seul, obstiné et bougonneux pendant que les autres regardaient la télévision.
Déterminé à vouloir tout ranger. D’abord la vaisselle propre dans les armoires, ensuite placer les assiettes et verres sales dans le lave-vaisselle. Ne pas oublier de remettre le carton de lait 2% dans le frigo et les restants de table dans un grand plat Tupperware… Finalement, mouiller un linge et essuyer le comptoir et la table.
Pendant qu’il y est, Clovis pourrait très préparer le lunch du petit pour l’école demain.
Quand il est inquiet, Clovis range. Cela l’occupe, mais plus que tout, ça le rassure. Il se sent utile. Comme lorsqu’il travaillait. Comme avant que son patron l’eut convoqué dans son bureau pour lui annoncer qu’il n’avait plus assez d’argent pour le payer.
Sa femme a beau protester envers son mari, le rassurant qu’elle va se mettre à la tâche après Tranches de vie, rien à faire : Clovis veut ranger. Il rangera.
Certes, il préférerait exploser, faire sortir le méchant, mais ce n’est pas le moment, surtout à une semaine avant Noël, un temps de réjouissance, de rires, de mangeaille et tout le reste. De bonheur aussi. Clovis est présentement à des années-lumière de tout cela, or il faut jouer le jeu…
Ranger lui permet de calmer sa colère. Alors qu’on le laisse faire. Qu’on respecte son droit au silence, son droit à l’introspection, seul moyen pour lui de réfléchir sur ses échecs récents et sa réussite, sur ses objectifs pour l’avenir, sur ses demandes d’emplois qui ont pris le chemin de la petite corbeille sur le laptop d’un responsable des ressources humaines à la recherche de candidats plus jeunes, moins expérimentés, moins exigeants, comme toujours, comme toujours…
Putain…
Un effort surhumain, donc. Noël et le jour de l’an passent vite. Faire comme si… Être comme si… Au nom des autres, de sa famille, de sa femme, de son petit garçon qui croit que son père est le plus fort du monde, de ses beaux-frères qui travaillent dans le commerce et qui vont en profiter pour le « taquiner »… Si c’est ça, Noël…
-La vaisselle est rangée, je vais aller prendre une marche.
-Oui, pas de problème, soupira sa femme.
-Je m’en vais juste chercher le courrier et je reviens… -Clovis, souris un peu, la vie est belle quand même!
-Oui, c’est ça, à tantôt.
Il sort. Il fait froid. Avoir su, Clovis aurait mis un manteau plus chaud.De toute façon, si seulement ça pouvait… Never mind.