Noel au balcon, Liam en position
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Il y a quelques années, Noel Gallagher, tête pensante d’Oasis, avait confié au magazine Rock & Folk qu’en dépit de leurs relations houleuses, il n’avait jamais songé à virer son frère Liam du groupe. « Comment pourrais-je le faire ? », demandait-il. « Ma mère m’en voudrait à vie. »
Ainsi allait l’existence au sein d’un des combos les plus importants (ndlr : parler d’influence avec Oasis nécessiterait un emploi de guillemets beaucoup trop massif) de la scène rock internationale à qui on peut, toutefois, reconnaître le mérite d’avoir offert une alternative sérieuse au grunge à la fin de la première partie des années 90.
En deux albums (Definitely Maybe, en 1994, et surtout (What’s The Story) Morning Glory, l’année suivante), le groupe originaire de Manchester a redonné au rock ses lettres de noblesse. Du moins, aux yeux d’une bonne partie du public. L’autre persistant à considérer les frères comme deux têtes de lard prétentieuses juste bonnes à balancer des phrases provocantes tout en pillant l’héritage des aînés (Beatles, Stones, Who ou autres Kinks).
S’il est vrai que, plus de quinze ans après sa sortie, l’intro d’un morceau comme Don’t Look Back in Anger doit faire plus crier que twister un Lennon dans sa tombe, les deux disques précités restent néanmoins deux pièces à posséder, malgré l’absence d’un Whatever, ne serait-ce que pour leur lot de mélodies efficaces (She’s Electric pour n’en citer qu’une).
Le groupe confirmera son statut de superstar, en 1997, avec Be Here Now, un album emmené par l’excellent D’You Know What I Mean ?, encensé au départ et bizarrement décrié aujourd’hui.
L’arrivée des années 2000 marque la fin de l’Oasismania et une certaine démocratisation dans le domaine de l’écriture. Jusque là principal auteur et compositeur du groupe, Noel Gallagher cède un peu de terrain à Liam qui signe son premier morceau, Little James, sur l’album Standing on the Shoulders of Giants pour lequel Alan White s’installe derrière les fûts avant de laisser sa place à Zak Starkey.
Quelques mois plus tard, paraît le live Familiar to Millions par le biais duquel le guitariste Gem Archer et le bassiste Andy Bell intègrent le quintet. Oasis renoue avec le succès avec Heathen Chemistry (2002) et surtout Don’t Believe the Truth, en 2005. Noel n’y est peut-être responsable que de la moitié des compos mais on lui doit l’un des meilleurs singles de la décennie avec The Importance of Being Mr Idle.
Les années qui défilent ne confinent en rien les deux frères à une certaine retenue verbale. Rares (les Arctic Monkeys) sont celles ou ceux à ne pas avoir subi leurs foudres, de Victoria Beckham (incapable, selon Liam, « de mâcher un chewing gum et de marcher droit en même temps »), à Radiohead (« ennuyeux et moches » toujours d’après Liam), en passant par System of a Down (Noel : « C’est fascinant d’être contemporain du pire groupe du monde. De se dire : "Je suis vivant en même temps que ces mecs-là…" »).
Fin 2008, Dig Out Your Soul témoigne du regain de forme d’Oasis qui continue de remplir les stades. Et c’est tout naturellement que les Britanniques s’imposent comme la tête d’affiche de l’édition 2009 du festival parisien Rock en Seine.
Pourtant, ce soir du 28 août, le groupe ne montera pas sur scène. La faute à une énième altercation entre les frères ennemis quelques minutes avant le concert. Peu importe qui a commencé, cette fois-là. Les Gallagher se sont envoyé tellement de mandales par le passé que chercher un responsable reviendrait à se demander qui de l’œuf ou la poule a débarqué le premier.
Pourtant, contrairement aux antécédents, les conséquences sont, cette fois, irréversibles. Pour Noel, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Son annonce sonne le glas du groupe : « C’est avec une certaine tristesse et un grand soulagement que je quitte Oasis ce soir. Les gens diront ce qu’ils veulent, mais je ne pouvais tout simplement plus travailler avec Liam un jour de plus ».
Un Oasis sans Noel
C’est la fin d’une époque. Après 18 ans d’existence, Oasis se scinde en deux. Noel, d’un côté. Beady Eye alias Liam, Archer et Bell (auxquels il faut ajouter le batteur Chris Sharrock) de l’autre. L’un promet un album solo. Mais les trois autres sont les premiers à dégainer avec ce Different Gear, Still Speeding.
En se plaçant sous la tutelle du producteur Steve Lillywhite, contacté par rapport à son travail avec The La’s qu’ils vénèrent, Gallagher and co composent instantanément.
Des premières séances naissent l’excellent Millionaire, fort de ses relents countrysants, le convenu Beatles & Stones pastichant Lennon période Rock’n’Roll et The Roller, sorte de énième dérivé d’Instant Karma dont les bords sont toutefois plus arrondis, plus pop, que l’illustre modèle.
Enregistré aux RAK Studio, Different Gear, Still Speeding donne l’image, apparemment justifiée, d’un groupe qui s’est fait plaisir. Selon Andy Bell, ce fut même un disque facile à faire, de l’écriture au mixage.
Le résultat se laisse apprécier. Si l’on part du principe que l’on n’est pas en train d’écouter le disque du siècle (mais était-ce le but quoiqu’en dise Liam qui répète ça et là que les chansons sont meilleures que celles Definitely Maybe ?), on ne boude pas notre plaisir.
Four Letters Word est un excellent morceau d’ouverture. Pêchu et rageur. Comme si les quatre acolytes avaient voulu, d’emblée, prendre leur auditoire à la gorge et étouffer un adversaire qu’on n’ose pourtant pas imaginer à ce point tétanisé par l’enjeu.
Autre bonne surprise, For Anyone ravit par sa simplicité. En à peine plus de deux minutes, la ballade folk accroche bien plus que l’ambitieux et psychédélique Wigwam qui ne parvient jamais vraiment à décoller. Pas plus d’ailleurs que le poussif Standing on the Edge of the Noise qui possédait pourtant tous les ingrédients nécessaires à sa réussite.
Le quatuor se rattrape toutefois avec deux autres perles qu’il a gardées pour la fin (passons sur le sympathique mais assez anecdotique Three Ring Circus) : The Beat Goes On et The Morning Son. Deux merveilles pop. La première estampillée british jusqu’à la moindre double-croche, mémorable dès la première écoute, et la deuxième, atmosphérique à souhait qui ne libère sa douce folie psyché qu’après plusieurs minutes et laisse augurer le meilleur pour la suite.
Même si l’on se doute qu’il en a sous la hotte, le père Noel sait maintenant à quoi s’en tenir. Mine de rien, son petit frère et ses anciens camarades de jeu lui ont montré qu’ils savaient jouer à Oasis sans lui, ce qui doit, tout de même, lui titiller le cortex. Le contraire serait étonnant, pour ne pas dire décevant.
Mars 2011