non, ça ne me fait pas plaisir

Lucie Labat

Si tu tombes un jour sur ça, juste par hasard petite blondinette, on aurait pu être amies

J'ai toujours adoré ma couleur de cheveux. Un brun profond, qui accompagne un regard noir de jais, ténébreuse, à ce qu'on dit. Pourquoi diable troquer une telle splendeur pour le minois d'une blondinette ? Bon d'accord elle est jolie, mais elle a des joues de hamster (mais tu as toujours aimé ça). Elle a pas de sein aussi (mais là encore, tu aimes les physiques –uniquement ?- enfantins). Ses grosses lunettes lui donnent un air original, elle a l'air très sympa. C'est loin d'être une poufiasse en fait. C'est dommage les « voleuses d'hommes » ne ressemblent pas à ça dans les films. C'est rassurant quelque part, tu peux m'avoir trompée, m'avoir refilé une MST, et me l'avoir caché pendant des mois, mais au moins c'était par amour. Pas pour moi, mais pour elle, penses-tu qu'elle s'en glorifie ?

Le pire, c'est que je suis sure qu'on s'entendrait bien elle et moi. Ça se sent à la façon dont on se croisait parfois, par ton intermédiaire. Une ombre que j'avais hâte de connaître, tu m'en parlais si souvent, comment ne pas devenir curieuse ? Le jour où elle a joué les intermédiaires entre toi et moi, je peux dire que là vous avez fait de gros efforts pour vous convaincre que rien ne se passait entre vous.

Mais tu vois elle et moi on ne sera pas amies. C'est dommage parce qu'elle a l'air sympa sur les photos facebook que tu likes systématiquement. C'est dommage de savoir que sur cette terre, si j'apprécie une personne, cette personne en particulier, ça me fera mal. Que ma confiance en moi dépend du caractère de quelqu'un d'autre. Est-elle plus drôle, plus fantaisiste (prodigue-t-elle de meilleures pipes/solutions à tes problèmes ?). J'ai expérimenté pour la première fois de ma vie la haine, un sentiment que je ne connaissais pas, pour une personne que je ne connaissais pas. L'amertume est toujours là, mais la haine je n'ai pas tenu une journée : trop épuisant. Cette rage qui s'est emparée de moi, et que je serais capable de me reprocher car c'est peut-être un manque de maturité de ma part (non), s'est envolée au moment où j'ai compris que ç'aurait été quelqu'un d'autre ç'eût été pareil. Que ce n'était ni les cheveux, ni le physique enfantin, ni même sa merveilleuse personnalité qui t'a fait la préférer.

Et il semble que j'avais raison puisque récemment tu m'as dit l'avoir trompée. « ça a été très difficile pour elle », m'as-tu-dit. Outre le fait que tu ne sembles pas te rendre compte à quel point ça a été difficile pour moi (aussi), je m'interroge. Tu semblais vouloir me faire plaisir en disant cela et en ajoutant un peu après que tu sentais que tu pourrais retomber amoureux de moi (mon dieu comme j'aurais aimé entendre cette phrase quelques mois auparavant ! et comme aujourd'hui je suis triste du peu de considération dont tu fais preuve). Je me demande si tu m'as jamais connu un jour pour penser que ça me ferait plaisir. Ou plutôt que j'accorderai une quelconque importance à ce plaisir (coupable) de la savoir en train de souffrir. C'est vrai que c'est difficile de ne pas porter attention à tout ce que tu me dis quand tu insistes, l'air de rien, comme si on avait une discussion cordiale sur le beau temps, et que tes paroles n'étaient pas, encore, le cri désespéré de celui qui a besoin de tout avoir.

Le fait est que ça ne me fait pas plaisir de savoir que ça a été son tour. Le fait est que je suis désolée. Désolée qu'elle ait cru qu'elle aurait un meilleur sort que moi (à quoi s'attendait-elle, elle a été sa maîtresse), et désolée aussi que tu sois si paumé. Désolée d'avoir à te dire non quand je sais que je pourrais te récupérer comme ça, d'un claquement de doigt. Pour la première fois depuis longtemps, je regrette de savoir toute la vérité. Parce que ton monde qui tient, on ne sait comment, sur des explications complètement imaginaires, et que tu maîtrises si bien, il est magique. Ton déni de la réalité est magique. Et parfois j'aimerais me retrouver à nouveau dans cette innocence romanesque et naïve qui te caractérise si bien. « je t'ai trompée par amour ». Te quitter c'est quitter une part d'enfance, c'est quitter quelqu'un qui te dit uniquement ce que tu as envie d'entendre. Qui te baratine mais qui te baratine bien (ça aurait marché si je n'avais pas découvert le pot-aux-roses). Est-ce que le couple est ce refuge dont on a tous besoin pour échapper au poids de la vérité ? Est-ce que moi, comme elle, avions besoin de croire qu'on était l'élue ? Ça ne me dérangeait pas d'être aveugle avec toi. Pour qu'elle soit surprise de s'être fait avoir faut qu'elle soit perchée elle aussi, et bien aveuglée. Tu vois, on a déjà un gros point commun elle et moi.

Donc non, ça ne me fait pas plaisir que tu l'aies trompé elle aussi, à vrai dire, j'aurais préféré que tu nous rejoignes dans cet enfer qu'on nomme la vérité.

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