Non-dits.

Marcel Alalof

   C'est un vieux modèle avec des déconnexions,mais je n'ai que ça à offrir ;c'est l'intention qui compte.La gène,c'est plutôt comment se saper pour la soirée :blanc et noir ou couleurs ?Veste de smoking croisée et pantalon de pyjama rayé.Des chaussures ?Et puis,avant de partir,s'entraîner devant le miroir de l'entrée,à ne pas parler fort.J'ai oublié l'emballage.Suis-je obligé d'y aller ?Ou alors le plus tard possible ;le Père Noel ne vient pas avant minuit.

Point de repère essentiel :le chien.Le suivre dans tous ses déplacements,vingt quatre heures sur vingt quatre.Se mettre sur son trente -et –un à l'abri des foules.Ne pas trop y penser pour que ça file,parce qu'y penser,ça freine.Un bref moment,j'ai pu l'étreindre,mais à quoi bon ?Ils sont six et le chien.C'est lui le point de repère.

Bar d'une autre époque,aux murs tapissés d'acajou,aux lumières tamisées et lampes de cuivre,aux sièges profonds couleur bordeaux,presqu'un lupanar.La porte s'ouvre,faisant entrer la lumière,qui éblouit le spectateur,habitué déjà à l'obscurité.Un homme d'une quarantaine d'années,cheveux aile-de-corbeau coiffés en arrière,gominés,descend l'escalier qui conduit vers le bar.Ce qui frappe,c'est sa tenue ;veste bleue bien coupée,à la poitrine couverte de médailles dorées.Il s'asseoit au bar au comptoir de cuivre,porte à ses lèvres une cigarette qu'il n'allume pas.La serveuse,comme prèvenue,sort de l'arrière salle,se dirige vers lui.Elle est brune,avec des reflets roux,sensuelle.Jeune,très belle,trop maquillée.

« Bonjour !Qu'est ce que vous buvez ? ».Il la regarde,marmonne ; »Il faut que je réfléchisse ! »

Pendant ce temps ;

Elle est seule au bord du lac,petite vieille apparemment frêle,en réalité,pas du tout :ancienne prof de gym,petit gabarit au sale caractère lorsqu'elle ne se dépense pas,qui n'a jamais trouvé basket à son pied.Elle porte un manteau gris assorti au pelage de son chien,un cairn-terrier,l'ancêtre de tous les terriers.

Elle voit à une centaine de mètres,une silhouette longiligne,distinguée peut-être,un homme grand à la coiffe intermédiaire entre le chapeau et la casquette(Sherlock Holmes).Piquée par la curiosité et peut-être plus,elle se dirige ostensiblement,longeant le bord du lac,vers celui-ci.Arrivée à dix mètres,elle fait mine de ne pas le remarquer,alors qu'elle l'avait fixé tout au long de son approche.Lui,le nez au vent ne l'a même pas vue.

Elle voit qu'il fume une cigarette,s'approche encore,ne sachant trop quoi faire pour qu'il la remarque,l'aborde…Elle est à cinq mètres,trois mètres.Lui est toujours ailleurs.Elle cherche quoi dire.En même temps que son chien s'accroupit pour se soulager,elle le pointe du doigt. »Monsieur ! » dit-elle « Je vous en prie.C'est un lac non-fumeur. »

 

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