Norma

arthurm

La portière, en se refermant, fit un bruit mat et sec dans l’air brulant. Un semblant d’écho résonna au loin. La ford shelby de 65 couverte de poussière du shérif, garée sur la bande de terre tassée par les passages incessants des camions de chantier, était une telle merveille que les habitants de la petite bourgade de Burroughsburg l’avaient surnommée « the lady » en référence sans doute à quelque film à petit budget projeté ça et là dans les espaces aménagés en drive-in du coin.

Je le regarde avancer vers moi, dans son costume impeccablement tiré, comme un cintre doté d’un mouvement binaire, comme un mannequin, comme pendant un défilé de je ne sais quel créateur. Comme Hugo Boss, lorsqu’il a crée les uniformes du IIIeme reich. Je le regarde, sous son chapeau grotesque, sorti d’un autre âge, d’une autre époque, où pourtant il signifie encore quelue chose ici. Ce mec va me donner du « monsieur » du « s’il vous plait » et autres banalités polies d’usage, parce que son insigne l’y contraint, parce que ses parents l’ont éduqué de cette façon, parce que la société, cette foutue société, dans laquelle ce crétin se croit libre, lui a dit qu’il fallait traiter la pire des vermines et la plus basse des putains comme si c’était Jesus ou Marie en personne.

Adossé sur le capot de ma pauvre Chevrolet, je me sens misérable. Je fais l’inventaire de mes possessions, pour moi et pour savoir ce qui pourrait bien me poser des problèmes face à cet homme qui s’approche au ralenti. 10 dollars dans la poche arrière de mon jean, un paquet de cigarettes, souple pour le pas laisser de traces, un téléphone datant de l’époque où le beebop était encore à la mode, et sur la banquette arrière, ma carabine, ma boite de cartouche. J’oublie momentanément les cuisses arrières du bison dans mon coffre, animal tué pendant la nuit, le reste étant resté chez les indiens m’ayant autorisé à braconner chez eux.

Il est 10 heures du matin, et je reviens de chez Norma. Norma est la plus belle fille du coin, et elle est la Marie Madeleine de la bible de Burroughsburg. La plus belle gagneuse à des lieues à la ronde. Mon ange.. Sa peau d’ivoire, douce et ferme, marque le pli sous mes doigts quand ils l’agrippent, et quand sa respiration se fait brulante, dans le creux de mon cou, je crois que je l’aime. Elle ne me fait plus payer, elle planifie pour nous notre fuite de ce trou. Je l’aime. Je l’aime ! Je l’aime.. quand mon sexe entre en elle, quand son cœur bat si fort qu’il fait trembler son corps, quand ses ongles mordent ma chair, quand ses dents marquent mes lèvres, quand ses mains, dans mes cheveux, retiennent mon visage plongé dans ses reins, quand elle descend à son tour et que je viens prendre résidence au fond de sa gorge faite tout spécialement pour mon sexe. Je sais que l’homme qui s’avance vers moi la baise aussi, ce crétin fini, empli de bonnes manières et qu’il veut ma peau pour avoir son corps.

Le ciel imbécile n’est que bleu azur, sans un nuage à l’horizon, et malgré l’heure matinale nous étouffons sous la chaleur et les tourbillons de poussière qu’une brise pourtant légère amène à nos naseaux. Je colle, de ma chasse, de mes amours, de cette attente insupportable. Cela fait bien cinq minutes qu’il marche vers moi, alors qu’il s’est garé à moins de vingt mètres. Ne peut-il accélérer le pas ? Il est flagrant que l’homme prend son temps, savoure l’instant, celui de me coincer. Peu lui importe le motif, et là tel un flash me revient l’animal à l’arrière du véhicule. Merde. Pour deux jambons d’une vache sauvage. Le bestiau protégé va me faire aller au trou. Je prends position plus avachie sur mon capot, comme pour dire que je ne crains rien. Le contact froid du métal contre le métal dans mon dos me fait transpirer. J’ai un flingue. Aussi. Calé entre mon jean et ma chemise entré dans mon caleçon. Mes reins en témoignent, il est lourd. Comment ai-je pu l’oublier ? Je ne peux pas décemment tirer sur un flic. Non. Le voilà qui sort son arme.

L’écho retentit.

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