Nos amis les assureurs
Kanon Gemini
Aujourd'hui, un petit billet sur les relations tripartites clients, professionnels de santé, assureurs. Je vais en traiter via un secteur d'activité que je connais particulièrement bien: l'optique lunetterie.
Il n'y a pas si longtemps, la santé en France se passait comme dans n'importe quel pays civilisé, à savoir un parcours de soin simple et clair pour tout le monde: tu sentais que quelque chose clochait, tu prenais rapidement rendez-vous avec ton médecin généraliste, qui identifiait le problème et soit le traitait lui même, soit t'orientait vers un spécialiste. Soit tu allais ensuite à la pharmacie chercher tes médicaments ( Big Pharma approuve), soit, si pépin plus grave, tu rentrais à l'hôpital.
Pour les petits soins de ville, tu avançais la caillasse et envoyais ta feuille de soin et ta facture, et sinon, quand ça commençait à chiffrer, tu donnais ton numéro de sécurité sociale et ton assureur. Haaaaa, qu'est ce donc ce bordel? En fait, en France, nous avons plusieurs intervenants. La sécurité sociale, qui est une sorte d'assurance publique, pour laquelle tu cotises de force, via des prélèvements toujours plus délirants sur ta fiche de paye, et la mutuelle, pour laquelle tu cotises, bahhh de force aussi maintenant, toujours via ta fiche de paye. Car oui, tu n'es pas libre de dépenser ton pognon comme tu le souhaites, allons. L'Etat sait mieux que toi comment gérer ta vie.
Je te propose un voyage dans le temps (via planète Marseille). La sécurité sociale est apparue en 1945, par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945, qui fusionne toutes les anciennes assurances (maladie et retraite), garantissant à chacun qu'il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Bon, pour la subsistance, on expliquera au SDF et autres pauvres de France qu'ils ne sont pas réellement des citoyens. Ils apprécieront… Quant aux mutuelles, elles sont beaucoup plus anciennes et remontent au 17 ème siècle. il s'agissait alors des caisses de corporation, supprimées par la Loi Le Chapelier en 1791, et se sont ensuite organisées en société de secours mutuel.
Comment un achat de lunettes se passait en 2000? Tu allais chez l'ophtalmo (cette espèce en voie de disparition, mais que fait le WWF?), tu ressortais avec ton ordonnance et allais chez l'opticien qui te plaisait, tu décidais de ce que tu souhaitais, en montures et en verres, tu payais, tu ressortais avec des yeux tous neufs, une feuille de soin à envoyer à ta caisse de sécurité sociale, et une facture que tu envoyais à ta mutuelle. Simple et limpide, tu savais ce que tu payais, tu savais où envoyer tes papiers, tu étais le maître de la matrice.
Comment cela se passe en 2021? Tu galères 1 an à avoir un rendez-vous chez l'ophtalmo, car tu as la malchance d'habiter un « désert médical ». Pas de chance, en France, on a pas mal de littoraux, du vent et ces déserts s'étendent dangereusement. Ou alors est-ce peut être lié aux décisions ubuesques du gouvernement de ne jamais changer le tarif de convention de la sécurité sociale et de baisser le numérus clausus du nombre des soignants, en leur promettant plus de clients, heu patients pardon ( ils n'ont jamais aussi bien portés leur nom). Puis, tu rentres chez un premier opticien qui te dit qu'il n'est pas partenaire de ta mutuelle. Tu te grattes la tête et appelles ton assureur. Après 20 minutes d'Aya Nakamura au téléphone, tu tombes sur un télévendeur qui te conseille d'aller dans le réseau de soin qui a négocié de super remises juste pour toi. Tu te dis chouette, ça ne va rien me coûter. Grave erreur petit padawan. Déjà, ce que la mutuelle appelle négocier ressemble comme deux gouttes d'eau à un vote à main levée en URSS. Tu t'inscris sur un site pour être partenaire, tu donnes toutes les informations du magasin, même les plus confidentielles, puis arrive la fameuse grille tarifaire, qui, si elle ne te convient pas, stoppe toute « négociation ».
Mais quel est le but pour les assureurs de fonctionner ainsi? Très simple, la Loi Leroux en 2014 a autorisé assureurs comme mutuelles à pratiquer le remboursement différencié. Kesako? Tu n'as pas le même remboursement selon si tu vas dans le réseau ou pas. Donc, à cet instant là, tu te dis que c'est tout bénèf' pour toi, meilleurs remboursements et tarifs négociés, génial. Sauf que le seul gagnant dans l'histoire, c'est l'assureur. Je vais prendre un exemple concret. Tu as un remboursement maximum de 600€, 100€ sur la monture et 250€ par verre. Si tu vas en dehors du réseau, ton remboursement tombera à 300€. Et dans le réseau, le meilleur verre possible, toute option, te sera facturé au tarif de 150€, soit un prix maximum de 400€. Et oui aimable assuré, soit tu perds 300€ de remboursement en dehors du réseau, soit tu perds 200€ dans le réseau. Dans tous les cas, tu cotises pour un contrat que tu ne peux pas utiliser. J'en profite pour mettre un cheh aux idiots utiles qui nous expliquaient que c'est parce qu'il y avait eu des abus des forfaits mutuelle. Je ne vois pas trop comment c'était possible, dans le sens où le rôle d'un assureur est de prévoir une cotisation en fonction du risque. De plus, le remboursement est passé à tous les deux ans, au lieu d'un, sans pour autant baisser les cotisations.
Notons enfin que les mutuelles sont devenues obligatoires via les entreprises, par ce qu'on appelle les contrats responsables, dont les planchers et plafonds sont décidés par l'Etat, les assureurs ayant eux un rabais fiscal en échange, et l'assuré une ligne de prélèvement supplémentaire sur sa fiche de paye. Cette ligne rentrant dans les « avantages », elle est fiscalisée. Sympa non? On peut d'ailleurs se poser la question de l'efficacité des mutuelles, car, si elles deviennent obligatoires, c'est que tout le monde ne se ruait pas dessus. De plus, n'étant plus en concurrence, quid de l'évolution toujours à la hausse des cotisations?
En bref, nous nous targuons d'avoir le meilleur système de santé au monde. On oublie juste, que chacun le paye très cher, bien plus qu'une assurance aux USA ou en Angleterre, que les coûts ne sont absolument pas maîtrisés et que la qualité du service baisse de plus en plus, via les fameuses coupes budgétaires. La vraie question est: Quand les français vont ils s'apercevoir de la supercherie?