Notre Dame des Victoires

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Certains lieux, drapés d’humilité ont un cœur pompeux. D’autres, chargés d’ornements n’en sont que plus humbles. Paris est une ville mouvante et rapide. Le monde s’y retrouve, y transite, y échange tant et si bien que «quiétude » est un mot qui semble disparaître du langage. On le murmure, comme l’on conte à voix basses les légendes de Brocéliande. Et comme le conteur à voix basse fait le récit des mille actions, le promeneur en errant cherche à trouver le havre idéal. L’on dit souvent que ne désirant point un objet il se présentera à nous et ce n’est qu’au prix d’une marche longue et lasse que l’on pourra trouver, au détour d’une ruelle : le silence et le vide. Pour ma part, je cherchais un lieu hors du temps, hors de tout, hors d’ici. J’arpentais sentiers escarpés, ruelles étroites, galeries abandonnées. Tout pourtant respirait la fausseté. Quelques marches d’une pierre d’or, une grille et un mur : cela m’aurait suffi, je m’y serais endormi.

Mais ces marches, cette grille, ce mur…qui supportait mes soupirs et mes plaintes ? Un coup d’œil vers le Ciel violacé pour discerner quelques volutes, des courbes bien dessinées, un vitrail : j’y entrai. L’antre était si calme que chacun de mes pas résonnait comme les tintements d’un célesta. Au loin, quelques chuchotements furent par l’écho relayés jusque mon oreille. Une plainte rasait les murs, une louange se logeait sous les arches. Ici, chaque bruit était un son et chaque son, une mélodie de sorte que bien vite j’ouï une symphonie. Célestielle antienne qui me tira de l’ombre dans laquelle je restai caché.

Soudain, la majesté dans sa quintessence me heurta. Telle Sémélé frappée par les foudres de la gloire, mes pensées se taisaient face à tant de beauté. Pourtant, si le Soleil au dehors irradiait la place de ses rougeoyants rayons, ici tout n’était que sombreur. Les vitraux masquaient la lumière de l’Astre vénérable, pour n’en garder que l’essentiel et faire paraître des beautés plus étincelantes encore : ici des Saints, là des Evangiles. Sous une lumière changeante ils semblaient s’animer à l’image de ces flammes vacillantes dont les danses sauraient envoûter tout Homme. Ces cierges nous éclairent lorsque le Soleil s’éteint et l’on préfère leurs flammèches timides et modestes aux feux des lustres de cristal. Je me rappelle avoir entendu dire que plus les cadres étaient somptueux, plus les œuvres le seraient. Il est vrai que ce cadre est magnifique.

Passez ses portes : vous ne pourrez qu’admirer les stalles d’un bois si sombre et pourtant si ouvragé. Passez ses portes : vous ne pourrez que pleurer devant les autels dorés et les effigies de joyaux couronnées ! Passez ses portes : vous ne pourrez qu’être envoûté par le son de ses orgues, dont l’immensité pourtant étonne ! Passez ses portes : vous ne pourrez que tâter le velours de leurs chaises et convoiter le confort de la cathèdre ! Passez ses portes : vous ne pourrez que rester pantois face aux peintures merveilleuses qui ornent ses murs, tout de marbre couverts ! Mais tout ce faste ne brille pas. Ces ors n’éblouissent pas. Ces beautés n’étouffent pas. Ce cadre est une œuvre dont l’intérêt est sublimé par ces cierges si humbles. Et sur l’œuvre se promènent les nuances et les ombres, suavement, mystérieusement, comme pour nous attirer en ce lieu irréel.

Que ce lieu est une merveille pour tous les sens : l’on y entend le firmament résonner, l’on s’y voit dérouler les plus timides beautés, l’on y caresse les tissus les plus doux, l’on y sent la cire, le bois et l’encens. Ici nous sommes tous innocents, nous sommes tous des enfants : infimes face à l’immense, ignorants face à la connaissance. Dans la vie, jusque que la mort, ce sont nos sens que l’on aimerait exalter, pour se sentir vivant. L’on y entend le firmament résonner, l’on s’y voit dérouler les plus timides beautés, l’on y caresse les tissus les plus doux, l’on y sent la cire, le bois et l’encens…Et l’on y goûte enfin à l’éternité.

Passez ses portes : vous saurez !

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