Notre porte close

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Je regarde tout autour de moi, je regarde le champ de bataille. Il y a des tas ici et là, des tas de secrets, de dénis, de non-dits.

Dans cette famille cocon-maladif, dans cette famille renfermée pour ne surtout pas affronter les problèmes, je erre sans jamais que l'on me demande de mes nouvelles, je erre en voyant petit frère doucement faner sous le regard absent de mes parents.

Oui, il y a des tas ici et là, des tas de soucis entremêlés, ceux des parents, ceux des enfants, c'est tout un chantier sans ouvriers, c'est le silence aussi, le silence plutôt que la communication, c'est l'ignorance des problèmes des uns, des autres, d'eux, de nous, de tout. Parce que personne ne va bien. Parce que tout le monde s'ignore.

J'ai tant de fois essayé de secouer la grenade mais jamais elle n'a explosé. L'abcès reste vif et brûlant.

 

Je vois maman qui ne mange rien, comme moi à l'époque où j'ai suivi ses traces anorexiques, je la vois aussi obsessionnelle, je l'entends me répéter toujours le même refrain, je sais nos cris au téléphone, nos hurlements, et cette froideur, cette tension tellement palpable. Mes troubles et ceux de petit frère : tabous. En parler ? J'ai tout essayé déjà…

Je vois papa, qui aimerait quitter le village pour voir du pays mais qui ne partira jamais seul, je le vois tenter d'occuper sa retraite, mais tellement malheureux. Il vit en apesanteur, il tue le temps, il attend la fin. Mes troubles et ceux de petit frère : tabous. En parler ? J'ai tout essayé déjà…

Je vois petit frère, renfermé, et enfermé sans cesse dans sa chambre, avec ses crises de nerfs, ses rituels.

Mes parents m'ont dit que, les enfants, si c'était à refaire… (soupir) Un fils au syndrome d'Asperger, une fille bipolaire, borderline et très anxieuse socialement, non, ils n'ont pas mérité ça. Mais comment pourrions-nous aller bien si eux-mêmes vont mal ? Comment aurions-nous pu nous épanouir alors ?

 

Je regarde tout autour de moi, je regarde le champ de bataille.

Je tente d'aider un frère qui ne veut pas de mon aide. Parce que personne ne le comprendrait, parce que personne ne pourrait rien pour lui. Au fond de moi je me suis protégée, j'ai déjà fait ma préparation si un jour il se tue. Je suis prête. Je suis préparée. Je l'ai confié à mon père, mon inquiétude. J'ai pas envie qu'il saute du barrage du coin ai-je glissé. Papa a répondu que ça ne serait pas le premier. J'ai eu envie de pleurer.

 

Celui-que-j'aime m'a ouvert les yeux sur cette famille-grenade-abcès-silencieuse-tueuse. Il m'a fait remarqué que mes parents ne m'aidaient que matériellement. Que cela ne remplacerait jamais des conversations. Mais comme dit ma mère : dans la famille, tu sais bien, on ne se parle pas… en douce je crève, en douce je crève oui. L'argent, si j'en ai besoin, ils m'en donnent. Mais petite j'aurais tant aimé de gros câlins. Des compliments, des attentions. Et maintenant. Qu'on me questionne sur mes thérapies, qu'on me questionne sur ma maladie. Juste une fois. Juste vite fait. Mais non, c'est tabou, c'est mal, forbidden et c'est tout. Pareil pour petit frère qui vit encore chez eux. Comment fera-t-il quand ils ne seront plus là ?

 

Ca me rend triste. Les malheurs des uns, des autres, ce manque de soutien, alors que l'on devrait tous se soutenir. Pourquoi refuser les évidences et les vérités, pourquoi fermer les yeux de la sorte ? Papa, maman, allo, allo c'est moi et ça va pas, regardez-moi, regardez-moi bon sang, demandez-moi comment je vais, putain de merde ! Et petit frère ? Pourquoi le laissez-vous survivre comme il peut, tout seul ? Et petit frère, pourquoi ne me laisse-tu pas t'aider ? Pourquoi ce refus de répondre au téléphone, aux mails, aux SMS ? Que dois-je faire putain…. ?

 

Je regarde tout autour de moi, je regarde le champ de bataille.

Y'a tant de morts cachés sous d'autres morts là entre deux ruines. Famille malade jusqu'à la moelle. Et non, je le crains, ça ne changera jamais. C'est comme ça désormais.

Mais ça finira mal. Faut-il en arriver aux drames pour ouvrir les yeux ou même les drames n'y changeront rien ? Je repense à mes nombreuses tentatives de suicide. Rien n'a bougé. Personne n'a cillé. Personne n'a parlé, ne m'a parlé, ne m'a demandé, ou questionné, on fait comme si, comme si rien, comme si de rien n'était. Et les autres. Les autres ne doivent surtout pas savoir.

 

Alors j'écris ce soir, parce que ça me tue. Parce que je ne sais plus quoi tenter, quoi faire. J'écris pour que ça sorte. J'écris sans espoir, sans idées, sans issue.

 

J'écris les travaux qui jamais ne se termineront.


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