Nourriture(s)

_wendy_

Avant- propos Ce récit n’est en aucun cas pro-anorexique. Il s’agit de mon cas particulier, et je ne mets pas avec certitude et conviction absolue le mot « anorexie » sur celui-ci.

Mon comportement alimentaire ne doit en aucun cas être reproduit. Il était dangereux pour ma santé physique et mentale.

Les poids, nombre de calories, IMC indiqués ne doivent pas faire penser aux lecteurs de ce récit « qu'ils ne sont pas assez malades » ou « pas assez/trop minces »). Les personnes souffrant de Troubles du Comportement Alimentaire ou TCA sont en danger à n'importe quelle taille, poids, apparence physique.

Vous pouvez, si vous craignez que vous ou un proche souffrez d'un TCA, vous renseigner sur les effets très graves de ceux-ci ici : http://www.anorexie-et-boulimie.fr/articles-427-risques-somatiques-de-l-anorexie-mentale.htm

Enfin cette charmante jeune fille : https://thebrindilles.fr/ qui souffre elle-même d'un TCA propose des solutions pour s'en sortir.

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Quand mon petit frère est né, j'avais trois ans. J'étais jalouse. Je refusais de manger. Je ne m'en souviens pas, mais ma mère m'a rappelé qu'un jour, à l'heure de se mettre à table, elle a mis le couvert pour tout le monde sauf pour moi. Je m'en suis insurgée, elle m'a répondu que puisque je ne mangeais pas je n'en avais pas besoin. J'ai recommencé à m'alimenter.

 

A l'adolescence, vers quinze ans, très dépressive, j'ai lu « Le Pavillon des Enfants Fous » de Valérie Valère, où l'auteure raconte son anorexie. Je me suis dit, bêtement, que ce serait un moyen comme un autre d'exprimer mon mal-être. Je n'étais pas grosse et je ne me trouvais pas grosse. Ça n'avait rien à voir avec l'image de mon corps. Et même l'ironie veut qu'avant que je ne prenne cette décision, quand je mangeais normalement donc, on me traitait d'anorexique avec mépris au lycée parce que j'étais naturellement très mince !

 

Donc, au lycée, j'ai commencé à ne plus aller à la cantine. Je ne mangeais rien à midi. Enfin, ça dépendait : mes amies me faisaient parfois un « pain surprise » : elles mettaient un petit mélange de la nourriture de leur plateau repas dans un petit pain pour me le rapporter ; je craquais, je le mangeais.

 

L'organisme ANEB Québec propose un test pour détecter un Trouble du Comportement Alimentaire (TCA) http://anebquebec.com/troubles-alimentaires/questionnaire

 

Je n'ai jamais été diagnostiquée anorexique. Je vais tenter d'y répondre selon mon état d'esprit et mes comportements de l'époque où je me soupçonne d'avoir eu un TCA, de l'âge de 16 ans à 23 ans.

 

Les personnes plus minces que moi sont plus heureuses : non, je ne le pensais pas. Je suis de plus en plus préoccupé par mon apparence physique et par mon poids : à partir du moment où j'ai remangé trois vrais repas par jour, oui. Je compare continuellement mon corps à celui des autres : oui, je me sentais supérieure si j'étais plus mince et envieuse si la personne que j'observais était plus mince, sauf si elle avait l'air vraiment malade, là elle m'effrayait. Je me pèse continuellement : Quand j'ai recommencé à manger normalement, oui, tous les jours. J'ai extrêmement peur de devenir gros : « extrêmement », non, mais tout de même, ça m'a inquiétée  Quand j'ai recommencé à manger normalement. J'ai de la difficulté à maintenir un poids approprié à mon âge, mon sexe et ma grandeur : au plus bas de ma forme, je pesais 43 kilos pour 1,62 mètre, soit un IMC de 16.5 (le minimum requis est 18.5). j'étais en sous-poids. Mon poids a changé drastiquement au cours des derniers mois : J'ai maigri, c'est sûr ! Je compte la quantité de calories et de gras des aliments que je mange : le coup du comptage de calories, ça n'a pas tenu longtemps, c'était trop fastidieux ; je regardais surtout sur l'emballage si c'était « trop calorique » ou « ok », sachant par exemple que pour un plat cuisiné je préférais que ça ne dépasse pas 300 kcal. Certains aliments (les produits laitiers, la viande et les sucreries) sont proscrits afin que je perde du poids : Bizarrement, non, pas quand je mangeais très peu, ça ne m'empêchais pas quelquefois de manger une glace, je ne rejetais pas les yaourts, je mangeais moins de viande c'est vrai, mais j'en mangeais et je m'octroyais un ou deux carrés de chocolat. Par contre quand j'ai recommencé à manger normalement je limitais énormément les sucres et les graisses si j'atteignais les 50 kilos. Ensuite, je me suis autorisé à me stabiliser à ce poids et aujourd'hui mon poids de forme est 51 kilos, en mangeant de tout, en faisant même « des écarts » (grignotage le soir). Je mange parfois énormément de nourriture en très peu de temps : non, la pire goinfrade qui me soit arrivée c'est une glace suivie d'un pain au chocolat. On est loin de crises boulimiques ! Je me sens coupable après avoir mangé : Quand j'ai recommencé à manger normalement, parfois, oui. Je mange parfois en cachette ou je mens quand on me demande ce que j'ai mangé : Je mentais régulièrement à ma mère quand je disais que j'avais mangé alors que j'avais jeûné. J'ai très peur de ne pas pouvoir contrôler mon poids ou de perdre le contrôle quand je mange : A nouveau, oui, quand j'ai recommencé à manger normalement. Je m'entraîne de façon excessive; si je manque une journée je suis très contrarié : non, je n'ai jamais été sportive ! Je fais de l'exercice physique même si je suis blessé ou malade : encore moins ! Je n'ai plus de menstruations ou celles-ci sont très irrégulières : un médicament m'a mise en aménorrhée pendant 5 ans, même à un poids correct je ne les avais toujours pas, donc difficile de déterminer si l'alimentation était également en jeu. J'ai de brusques sautes d'humeur, je suis émotif, irritable, dépressif ou anxieux : Oh ça oui ! C'était plus qu'une simple crise d'adolescence. Je n'aime pas manger avec ma famille : au contraire, avec eux, je retrouvais le goût de manger. Je m'isole de plus en plus et je passe moins de temps avec mes amis et ma famille : Oui, tout à fait. Mes amis et mes parents me disent souvent que je devrais arrêter de faire des régimes : ils me disaient surtout de manger ! Il m'arrive souvent d'avoir froid, d'être fatigué et étourdi : oui, j'ai compris plus tard que ces symptômes étaient dus à la malnutrition. Je perds mes cheveux : Ma mère m'a dit plus tard qu'elle retrouvait mes longs cheveux noirs éparpillés un peu partout dans la maison. La malnutrition rendait ma chevelure jadis si belle fragile, cassante.

 

Il y a eu plusieurs phases : Comme je le disais, j'ai lu le livre de Valérie Valère, j'ai cessé de manger à midi. Victime de troubles anxieux généralisés, le matin j'avais l'estomac trop noué par l'angoisse pour manger quoi que ce soit. Donc j'avalais juste un café. Ne voulant pas entrer plus en conflit avec ma mère que je ne l'étais déjà (à cause de l'adolescence et des prémices d'une maladie psychiatrique encore indéterminée) je mangeais le repas du soir qu'elle me préparait. Et non, je ne le vomissais pas. Je ne me suis jamais fait vomir, car c'est quelque chose que je déteste. Pour moi, les gastro-entérites ont toujours été un cauchemar. Ce sont les seules fois où j'ai, involontairement, rendu mes repas.

A cette époque, je ne comptais pas les calories, je ne me pesais pas. Mais ma mère m'obligeait parfois à monter sur la balance : il y avait comme une euphorie en moi à voir s'afficher un poids en deçà de la normale ; J'étais une jeune fille fragile, éthérée, au teint pâle. Ça me convenait.

J'avais froid à l'intérieur du corps, mais je ne faisais pas le parallèle avec la malnutrition. Je me revois collée au radiateur à gaz de ma chambre dans le logement de fonction de mon père. Plus tard j'ai appris à superposer des couches de vêtements: sous-pull, pull, veste; collants épais, leggins, pantalon. Ma tension était faible. Je ne savais pas pourquoi en sortant de la voiture ma tête tournait et j'avais légèrement la nausée. Parfois, en me relevant, je ne voyais plus rien qu'un brouillard gris devant mes yeux et mes oreilles sifflaient.

Etrangement, je remangeais normalement sans problème lors des vacances scolaires, puisque j'avalais les plats du midi et du soir préparés par ma mère. Je reprenais un peu de poids, je n'en faisais pas grand cas. Je reperdais du poids avec la reprise des cours. L'infirmière scolaire qui me suivait me disait que j'allais plus mal quand j'avais les joues particulièrement creusées. Je ne voulais pas croire que le manque de nourriture influait sur l'état psychologique. Je l'ai appris de source sûre plus tard. La malnutrition aggrave la dépression. Ainsi lorsque j'avais jeûné plus que d'habitude, j'étais encore plus mal. Je souffrais de constipation chronique. Une fois je suis restée bloquée une semaine malgré des laxatifs, des jus de fruits et des suppositoires à la glycérine, c'était douloureux ! J'avais tout le temps des bleus, alors que je ne pratiquais aucun sport violent, voire pas de sport du tout. Et comme je l'ai dit en répondant au questionnaire, je perdais mes cheveux par touffes.

 

Deuxième phase : Je suis rentrée à l'université. Dans la même ville où j'habitais avec mes parents, donc je vivais encore avec eux. Au début, j'ai essayé d'aller manger au self, toute seule car souffrant de phobie sociale, j'avais du mal à me faire des amis. Je me sentais oppressée. J'ai arrêté d'aller manger au self. Parfois je mangeais un sandwich, parfois des barres de régime protéinées piquées à ma mère, et parfois rien du tout. Je ne sais plus si c'est à cette époque que j'ai réintroduit le petit-déjeuner : pas grand-chose, toujours l'indispensable café, des céréales, ou un petit morceau de brioche, ou de quatre-quarts, ou quelques madeleines. A la pause de 10 heures, j'étais crevée, alors je prenais un café sucré à la machine. Je ne savais pas que j'étais en hypoglycémie, et que le café aggravait mon coup de barre : en effet, cela produisait un « pic » de glycémie, puis une chute brutale. Je retournais en cours dans les vapes.

 

Troisième phase : J'ai continué mes études dans une autre ville à 2h de train de chez mes parents : mon premier pas vers l'autonomie. Je vivais 5 jours sur 7 seule dans un petit studio, je rentrais le week-end pour travailler dans ma ville natale et revoyais donc mes parents à ce moment-là : mon père et ma mère s'inquiétais de ma maigreur. Je n'avais pas de balance au studio. Le weekend j'avais droit à la pesée hebdomadaire : entre 45 et 46 kilos. Je me souviens que je petit-déjeunais dans mon studio mais je sautais souvent le repas de midi, et à présent, régulièrement, celui du soir ! C'est à cette période que j'ai atteint mon poids le plus bas : 43,8 kilos avec mes vêtements sur moi !

Je faisais en sorte de reprendre un peu de poids puis de me stabiliser. J'aimais bien le chiffre 45, mais j'ai dû me rendre compte que c'était trop bas. Je crois, mais n'en suis pas sûre, que j'ai choisi un poids de stabilisation de 48 kilos. Je me rappelle que je jonglais entre « trop maigre » et « trop au-dessus de MA norme ». Ainsi, quelquefois je mangeais gras et sucré pour reprendre du poids, d'autres jours je refusais de mettre de l'huile ou du beurre dans mes pâtes !

Un beau jour, j'ai réalisé, grâce à mes lectures et recherches sur l'anorexie, que mon état psychologique déplorable (j'étais suicidaire) pouvait fortement être induit par la malnutrition. Alors j'ai remangé trois vrais repas par jour, comme ça, d'un claquement de doigts ! Et même un goûter ! Ce serait porter préjudice aux vrai.x.es anorexiques que de dire : « Voyez ! C'est juste une question de volonté. » Je n'étais tout simplement probablement pas anorexique. Je ne souffrais pas de dysmorphophobie : J'étais maigre et je me voyais maigre ; les anorexiques se voient toujours grosses même si elles sont émaciées. Je n'étais pas obsédée par la pensée de mon poids, des calories avalées, brûlées…

Il existe une appellation anglo-saxonne EDNOS ou Eating Disorders Not Otherwise Specified soit en français « troubles alimentaires non spécifiés ». Selon http://anebquebec.com/troubles-alimentaires/troubles-alimentaires-non-specifies les troubles alimentaires non spécifiés englobent les problématiques qui ne répondent pas précisément aux critères des troubles alimentaires spécifiques tels que l'anorexie nerveuse, la boulimie et l'hyperphagie boulimique. Malgré ce fait, les personnes souffrant d'un trouble alimentaire non spécifié peuvent vivre également avec une faible estime de soi et une obsession de l'image corporelle. Les personnes atteintes de ces troubles peuvent compter les calories, instaurer des régimes amaigrissants, adopter des habitudes de surentraînement, etc. Il est important de prendre cette problématique tout autant au sérieux que les autres troubles alimentaires. http://anebquebec.com/troubles-alimentaires/troubles-alimentaires-non-specifies

 

Passons à la quatrième phase : Je remangeais donc normalement, trois repas par jour et un goûter et restais bloquée sur le chiffre 49. Je me pesais souvent. Je pouvais aller jusqu'à 49,9 kg, mais passer au chiffre 50 me faisait angoisser, et au self de l'université, quand mon amie choisissait avec la viande ou le poisson les frites, et le brownie au dessert, je choisissais des haricots verts, et de la salade de fruits. Puis j'ai atteint 50 kilos et je me suis dit : Bon finalement, 50, c'est bien. Attention à ne pas atteindre 51. Je me suis rappelée la règle « 10kg en-dessous de sa taille », soit pour moi, 52 kilos pour 1,62m. Mais au jour d'aujourd'hui je me maintiens sans régime ou privation quelconque autour des 51 kg. Alors bien sûr mon corps a changé. Je suis toujours mince, mais avec des formes. Ça a été dur a accepter sachant que j'avais eu des jambes et des cuisses toutes fines, un ventre toujours plat. Mais niveau bien-être et santé, ça n'a pas de prix ; je ne souffre plus du froid continuellement ; je n'ai plus de problèmes de transit ; plus non plus la tête qui tourne, la vue floue et la nausée en me relevant. Je ne perds plus mes cheveux. Je n'ai plus ces coups de fatigue quotidiens. J'ai un meilleur moral et une meilleure estime de moi-même.

 

La nourriture n'est pas un ennemi, des calories en trop qui font grossir, une option dont on peut se passer.

La nourriture est une alliée, du carburant pour notre organisme, un besoin vital.


 

Bibliographie

 

La Faim du Petit Poids, Alexia Savey, Editions Kawa

ANEB Québec http://anebquebec.com

 

 

 

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