Nous sommes 3

ake

Souvent il m'arrive de me regarder dans le miroir, comme tout le monde je crois, mais la fille que je vois, je ne la reconnais pas.

Le reflet qu'il me renvoie n'est pas celui que j'ai de moi.

J'ai parfois l'impression qu'on est plusieurs. Non, je sais qu'on est plusieurs.

Déjà, il y a celle que je vois dans le miroir et celle que j'imagine.

Celle que je vois, elle est forte, elle réconforte les autres, les soutient, les encourage et il y a l'autre, la pleurnicheuse, celle qui se plaint tout le temps qui ne veut pas avancer, qui est fatiguée.

Parfois elles discutent entre elles. La forte demande à l'autre ce qui lui fait peur, pourquoi elle n'avance pas, pourquoi elle se cache ; l'encourage à tenir le coup, à avoir confiance ; lui dit que le monde est moche mais qu'il faut quand même avancer, se battre et ne jamais abandonner. Pendant que l'autre l'écoute sans se départir de son air fatigué.

Et moi je suis là entre elles, je ne dis rien. Je me demande si elles savent que j'existe, si elles savent tout ce que je sais.

Je sais par exemple que la forte n'est pas seulement forte de caractère, elle est forte de corps aussi et c'est parce qu'elle est comme ça qu'elle a du répondant, quand on est hors norme soit on se cache, soit on se bat elle a choisi de se battre, de s'affirmer, de faire comme si ces kilos elle s'en fichait, comme si elle en était fière, qu'ils étaient son étendard mais la faible et moi savons qu'elle se cache derrière, qu'ils ne sont qu'un paravent, qu'un moyen d'amortir les chocs de la vie et des autres.

La faible est juste pulpeuse, elle est ce moi idéal que j'aimerais être et que je ne serais peut être jamais. Elle est douce, sensible, peut être même trop. Elle se fatigue vite la faible mais ce n'est pas de sa faute. Elle ne sait pas toujours ce qu'elle veut, ne croit pas en ses possibilités et souhaite parfois ne jamais exister.

Parfois quand la forte la rabroue un peu trop, la faible l'envoie valser en lui disant que ces kilos et ce caractère dont elle est si fière ne sont qu'un paravent, une illusion, un moyen de faire fuir les hommes mais que le seul qu'elle voulait justement chasser ça ne l'a pas repoussé... au contraire !

Je vois les larmes perler aux coins des yeux de la forte, je la vois inspirer, essayer de fermer la porte que la faible vient d'ouvrir, voulant refouler la tristesse, la colère, le dégoût qui laissent sur la langue un goût particulier.

La faible sent que la forte vacille, l'équilibre des forces est en train de changer. Alors elle continue, enfonce le clou en lui disant que cette personnalité dont elle est si fière n'est qu'un leurre, qu'elle n'est ni gentille, ni généreuse, ni désintéressée, que son côté libéré ne sert qu'à cacher ses vils désirs, qu'elle n'est rien, qu'il faut qu'elle abandonne ses envies de faire quelque chose de sa vie, de vivre de ses passions, de réaliser ses rêves.

Je vois la forte se ratatiner et les larmes qui n'étaient que perles il n'y a peu, deviennent rivière. La faible est debout maintenant, elle vocifère, maudissant la forte de ne pas avoir eut le cran de remuer la boue, de se laisser marcher dessus par peur de se faire rejeter, de ne pas avoir su la protéger, elle la traite de moins que rien, l'injurie, la frappe presque, enivrée par ce trop plein de pouvoir, par sa colère, par sa tristesse aussi.

Alors la forte relève le visage vers son alter ego...je vois la faible s'arrêter, regretter, et tendre une main hésitante vers celle qui est à ses pieds puis s'asseoir à ses côtés. Plus aucun mot n'est prononcé et je les regarde en silence, La faible regarde la forte avec admiration car elle sait que malgré ce qu'elle vient de lui infliger elle se relèvera et la forte jette sur la faible un regard plein d'envie car être forte ce n'est pas toujours facile.

Il y a deux femmes en moi. Celle qu'on voit et qu'elle qu'on aperçoit, celle que je livre et celle que je tais, celle dont je suis fière et celle qui me fait honte, celle que je suis et celle que je voudrais être.

Il y a deux femmes en moi, l'une qui se croit forte et une autre, qui sans le savoir, l'est tout autant.

Je passe de l'une à l'autre sans raison, au gré de mes humeurs, ou plutôt devrais-je dire au gré de leurs envies.

Deux femmes...et moi qui les contemple en espérant qu'un jour peut être, apaisée j'arriverais à accepter l'idée qu'être femme c'est être forte mais aussi intégrer qu'être faible n'est pas un péché, c'est regarder les ténèbres que l'on garde cachées et les embrasser.

Le jour où je me pardonnerai, le jour où je m'accepterai, on ne sera plus qu'une....

N'est ce pas ?

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