Nouveau Jardin

ohiro

L'enfant joue dans le sable. Autour de lui, allongés sur la plage, semblant dormir mais ne respirant plus, il y a des corps. Des centaines de corps. Ses parents, ses amis, des gens qu'il n'a jamais connus... Tous sur la plage, tous allongés. Tous morts.

L'enfant est le dernier, mais il ne le sait pas encore.

Une vague vient s'échouer à ses pieds. Il cesse son jeu, relève la tête et plonge son regard azur dans la mer s'étalent devant lui. IL a à peine sept ans et son regard est trop sérieux pour un garçon de son âge. Il n'a pas encore comprit, il est trop tôt pour cela, mais il sent que quelque chose ne va pas.

L'enfant appelle sa mère, mais elle ne répond pas. Il crie après son père et n'entend rien. IL tourne la tête vers eux et les voit allongés. L'enfant se dit qu'ils dorment sans doute, tout en sachant que ses cris les auraient réveillés. Son regard s'attarde un instant, puis se détourne. L'enfant se lève et tourne sur lui-même, cherchant quelqu'un qui ne dort pas. Et il ne trouve rien. Même les oiseaux ont disparu.

L'enfant est le dernier et commence à le comprendre.

Il retient un sanglot. Il comprend, tout en souhaitant ne pas comprendre, que les endormis ne se réveilleront plus. Le flot de larmes brise la digue de sa volonté et il pleure, simplement. Comme seul un enfant peut le faire. Il marche parmi les corps, lentement d'abord, puis de plus en plus rapidement, cherchant quelqu'un, n'importe qui, qui lui réponde. Mais à part ses pleurs et ses cris, nul bruit ne résonne sur la plage. Il quitte le bord de mer et entre dans la ville, hurlant toujours, espérant toujours. Et trouvant toujours plus de corps.

Pendant trois heures encore il cherche, sans le moindre espoir. Il s'arrête, se couche à même le sol, et s'endort, simplement. Trop d'émotions, trop de peur, trop de désespoir et d'effort vains. Son esprit lui ordonne la seule solution qu'il peut trouver. Dormit. Fuir la trop horrible réalité. Retrouver ceux qu'il aime, même si ce n'est qu'un rêve.

Lorsqu'il s'éveille, il fait nuit. Il est toujours en maillot et grelotte de froid. Il retourne vers l'appartement que ses parents avaient loué, espérant y trouver de quoi s'habiller. Et espérant les trouver, eux. En marchant, il évite de poser son regard sur les corps immobiles que l'on trouve partout. Il y a des personnes de tous âges et de tous sexes. Même les animaux sont tombés. Chiens, chats, oiseaux... Tous gisent sur le sol, foudroyés en pleine action.

L'enfant arrive chez lui et pousse la porte, qui n'est jamais fermée. La pièce reste silencieuse et personne ne vient le rassurer. Ses parents sont toujours sur la plage d'où ils ne partiront plus. Pleurant en silence, il se rend sans sa chambre et se change. Ensuite, il se couche sur son lit, pleure encore et s'endort.

L'enfant est le dernier et il ne sait que faire.

Au réveil, l'odeur lui saute à la gorge. Odeur de mort, de cadavres. Odeur répugnante. Odeur qu'il doit fuir. Cependant, l'enfant ne remarque pas ce qui aurait du être en surnombre. Pas la moindre mouche ne bourdonnait, où que ce soit. Même elles ne volent plus. L'enfant se lève et vomi. Encore et encore, bien après que son estomac se soit vidé et que seule la bile lui revienne. Lorsqu'il arrive à s'arrêter, il fuit, le plus loin possible de cette odeur, et surtout de ces morts. Il sort de la ville et il continue pourtant à fuir. Les corps sont partout. Il avance toujours, ne veut plus voir ces gens couchés. Il ne veut plus sentir cette odeur. Alors il avance.

Alors qu'il s'éloigne de plus en plus, le monde autour de lui s'efface. Plus exactement, le monde des hommes s'efface, ce qu'ils ont fait de lui. Les routes disparaissent, les bâtiments s'évaporent, le relief redevient tel qu'il était à l'origine. Et les corps, les corps disparaissent. La terre les absorbe et tout redevient comme au premier jour du monde.

L'enfant est le dernier et l'univers se purifie.

Il n'est plus triste, plus vraiment. Le monde qui change autour de lui a chassé sa tristesse, du moins pour un moment. S'il a faim, il cueille un fruit. S'il a soif, il boit l'eau d'un ruisseau. Il n'y a plus de risques, plus de peur. Quelque chose en lui lui souffle qu'il ne craint rien. 

Un chien le rejoint. L'enfant s'arrête et essaye de le caresser. L'animal recule. L'enfant cesse son geste, reste immobile un instant et recommence à marcher. Le chien le suit.

L'enfant est le dernier mais il n'est plus seul.

Il n'y a plus trace de la vie humaine sur Terre. La nature a reprit ses droits et, dans l'air maintenant totalement pur, l'enfant voit mieux, sent mieux, goûte mieux. Et surtout, il entend mieux. Il entend, loin, très loin, une voix qui chante. Un sourire s'étale sur ses lèvres. Il jette un regard au chien qui aboie et bat de la queue. Il se remet en route, plus rapidement qu'avant, et part en direction de la voix.

Il lui faudra une heure pour trouver sa propriétaire. Dans ce monde de silence, les voix portent loin. Lorsqu'il arrive, il rencontre une petite fille. Elle a son âge et c'est elle qui chante, un air beau, mais un peu triste. L'enfant l'écoute, sans rien dire. Lorsqu'elle arête de chanter, il lui tend simplement la main. Elle la saisit et ils recommencent, tous deux, à marcher, se tenant par la main, le chien à côté d'eux.

L'enfant est le premier.

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