Nova
salesgirl
Je m’appelle Nova. J’ai été abandonnée par mes maîtres à l’âge d’un an. Je ne leur en veux pas. La vie est dure ici. Ce sont eux qui m’ont donné ce nom. Je l’ai gardé. A quoi bon en changer? Je m’y suis habituée.
A l’époque, j’étais pleine. J’ai mis bas dans la rue peu de temps après. Cinq petits. Heureusement, j’avais eu le temps de trouver un refuge, un coin à moi.
Mes chiots n’ont pas connu la vie près des humains. Pour eux, ils ne sont que des sujets d’observation. Pour moi, ils sont des souvenirs. Le souvenir d’un petit coin de chaleur près d’un vieux radiateur. Le souvenir d’un petit morceau de viande glané sous une table. Le souvenir d’une caresse furtive. Tout ça est bien loin.
Moi et ma famille, on s’est d’abord installés dans une gare de banlieue. Ni trop près, ni trop loin de la ville. Je veux dire la grande ville. Moscou. On ne gênait personne. De temps à autre, les gens nous donnaient à manger. Surtout les vieilles femmes qui venaient travailler là. Celles qui vendaient de vieux bouquins à la sauvette. Elles s’occupaient de nous, ça trompait leur solitude.
On vivait à hauteur des rails, sous les quais. C’était tranquille mais dangereux. Un jour, deux de mes petits sont morts happés par un train. Il sont restés là, sur place, pendant plusieurs jours. Personne n’est venu ramasser leurs petits corps sans vie montrés du doigt par des passants trop curieux. Cela me rendait triste de les voir ainsi mais que voulez-vous? Il fallait que je veille sur les autres. Eux, ils étaient déjà morts. Ils n’avaient plus besoin de moi.
Peu après, j’ai quand même décidé de changer de coin. J’avais trop peur. On est donc partis. Moi et ma tribu. On s’est installés avec d’autres chiens. C’était plus sûr. Ils nous ont bien acceptés, tant et si bien que j’ai donné naissance à d’autres chiots peu après notre arrivée.
Nous vivons désormais en bordure de la ville près de la route de Iaroslav dans de vieux bâtiments désaffectés. Nous avons appris à ne sortir que la nuit pour trouver notre nourriture. Les poubelles sont une source sûre, les rats un gibier recherché. Nous ne nous aventurons plus en ville comme autrefois, tous ensemble. Cela fait peur aux gens et ils nous chassent, alors à quoi bon? On reste à l’écart, entre nous.
Je ne fais plus confiance aux hommes. Même ceux qui nous nourrissent. Quelquefois c’est pour nous piéger alors maintenant je me méfie. Je ne m’approche plus d’eux sauf de cette vieille femme qui nous apporte de vieux croûtons rassis et du lait. Elle, elle nous aime bien. Ça se voit dans ses yeux. Je mendie une caresse, un mot. Elle me les donne de bon cœur. Elle aussi, je la sens abandonnée. On se réconforte l’une l’autre.
Je m’appelle Nova et ma vie est rude. J’ai un nom. Mes compagnons d’infortune n’ont pas cette chance. Eux sont nés dans le froid livrés à eux-mêmes. J’ai gardé mon nom d’avant car il me plait. Il fait partie de moi. Je m’appelle Nova.